Afrique: De la prudence face au spectre d'une nouvelle récession mondiale

Sans doute, il ne faut pas faire preuve d'un fort excès d'optimisme face à une reprise économique qui semble encore fragile, reposant sur une projection de croissance soumise aux défis d'une crise énergétique comparable à la crise pétrolière de 1974 et porteuse des risques d'une récession à l'horizon 2023 en Europe, voire à l'échelle mondiale. Or, à entendre des principaux dirigeants du pays et les responsables d'institutions à vocation économique et financière, il y a visiblement une dissonance entre les discours officiels et la réalité des chiffres, souvent implacables, et ne devant aucunement être occultée dans un sens comme dans l'autre. On n'osera pas ici leur faire injure en s'interrogeant s'ils sont effectivement enfermés dans leur tour d'ivoire, coupés des grands enjeux économiques du moment et ne voulant entendre que leur propre musique.

Les dernières statistiques officielles sur l'état économique du pays, qui affiche un taux de croissance supérieur à 7 % en 2022, ne doivent certainement pas être prises pour argent comptant, en sachant qu'il repose sur des variables pour le moins aléatoires, dictées par des événements exogènes et souvent hors du contrôle du Trésor public ou de la BoM Tower.

En fait, en les analysant de près, on remarquera que l'hypothèse de croissance de 7,2 % pour 2022 s'appuie essentiellement sur une forte reprise de l'industrie touristique avec, à la clé, une croissance estimée de plus de 200 %, en se basant sur les arrivées qui franchiraient la barre d'un million à la fin de cette année. Certes, on ne peut contester l'analyse de Statistics Mauritius, d'autant plus que statistiquement, le calcul est bon et on a le droit dans ce secteur, comme le ministre de tutelle l'a fait récemment, de verser dans un optimisme béat. Même s'il n'a pas échappé aux spécialistes que cette comparaison est faite sur des arrivées négligeables en 2021, soit autour de 179 780.

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Or, les réalités du moment nous dictent un certain réalisme, même si Renganaden Padayachy a été plutôt mesuré dans ses propos, lundi, face aux capitaines de l'industrie, pour insister sur la nécessité de soutenir cette reprise en maintenant que l'économie, étant un phénomène dynamique, "tous les problèmes constituent ainsi des défis à gérer". En même temps, les autres secteurs, qui tirent généralement la croissance, seront moins performants cette année, avec des taux de croissance révisés à la baisse.

Le secteur manufacturier baissera à 5,4 % contre 8,2 % en 2021, la construction, 1,1 % (2021 : 22,7 %), les TIC, 3,9 %(2021 : 7,1 %) et les services financiers, 3 % (2021 : 4,6 %). Des indicateurs peu rassurants qui rappellent que l'économie n'est pas sortie de l'auberge et que la reprise demeure molle, aléatoire, aujourd'hui tributaire d'une conjoncture économique internationale peu favorable avec de nouveaux défis invitant à la prudence.

Croissance révisée

Ainsi, à en croire le rapport intérimaire publié en septembre de l'Organisation de la coopération et du développement économiques (OCDE), la zone euro frôlera la récession en 2023, avec une croissance de 0,3 %, et au sein de ce bloc, la première puissance économique, l'Allemagne, verra son économie reculer de 0,7 % l'année prochaine. L'OCDE, qui a révisé à la baisse ses estimations de croissance mondiale pour 2022 et 2023, passant à 3 % cette année et 2 % en 2023, souligne plus loin que "l'aggravation des pénuries de combustibles, en particulier de gaz, pourrait amputer la croissance européenne de 1,25 point de plus en 2023, abaisser de 0,5 point de croissance mondiale et augmenter l'inflation en Europe".

Mais il n'y a pas que l'OCDE et la zone euro. La Banque mondiale a, dans la foulée, enfoncé le clou avec une autre étude qui accentuerait le spectre d'une récession mondiale en 2023 sur fond des hausses répétées des taux directeurs pour juguler l'inflation galopante. L'étude est catégorique : cette situation est susceptible "de menacer les économies émergentes et en développement de crises financières qui engendreraient des dommages durables". Ailleurs, en Chine, aux États-Unis ou en Angleterre, la situation est loin d'être reluisante sur le front de la croissance.

Face à ces dangers économiques, il va sans dire que l'économie du pays n'est pas immunisée, comme celle d'autres pays d'ailleurs. Notamment contre les risques d'une nouvelle récession mondiale. Évidemment, les avis sont partagés sur l'imminence de cette nouvelle crise économique mais les signes sont objectivement présents et l'impact pourrait être économiquement douloureux.

Cela, vu que le pays ne dispose pas d'un filet de protection, voire d'un plan B, sachant que le gouvernement met tout le paquet sur son industrie touristique pour doper sa croissance. Si les pays émetteurs de touristes comme l'Allemagne et la Grande-Bretagne entrent dans une nouvelle récession, les dommages collatéraux pour notre secteur touristique seraient néfastes. D'autant plus que selon le gouverneur de la banque centrale, Harvesh Seegolam, les recettes brutes engrangées par cette industrie depuis le début de l'année se sont élevées jusqu'ici à Rs 34,5 milliards.

En 2020, la réponse du gouvernement à la crise sanitaire lui avait coûté 25 % de son PIB et sauvé le pays de l'effondrement de son économie grâce aux milliards de la Banque de Maurice (BoM). Et aujourd'hui ? Est-ce que l'État peut se permettre de subir l'effet d'une nouvelle crise alors que l'inflation galopante, résultat de la crise énergétique liée au conflit russoukrainien, affecte financièrement les ménages qui se voient lourdement endettés, comme le révèlent les dernières statistiques de la BoM ?

L'appel du ministre des Finances aux opérateurs économiques, lundi, pour une prise de conscience lors des prochaines réunions tripartites en décembre, sur fond d'une inflation à plus de 10 %, s'inscrit dans cette logique.

Certes, personne ne souhaite que le pays s'enlise dans une nouvelle crise mais faut-il pour autant que nos gouvernants ne soient pas déconnectés des grands enjeux mondiaux et que les urgences économiques soient appréhendées à leur juste valeur et discutées dans des forums appropriés, loin des projecteurs des pseudo-spécialistes.

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