Ile Maurice: Retour à mars 2021 ?

Les choses recommencent à bouger du côté de l'opposition, où d'importantes évolutions sont peut-être en cours. Après avoir, pendant longtemps, cultivé un certain flou sur ses ambitions nationales en attendant que l'Espoir choisisse une stratégie d'avenir claire, particulièrement par rapport à Navin Ramgoolam, Nando Bodha jette finalement son chapeau dans le ring. Il souhaite, confirme-t-il ces jours-ci, devenir comme SAJ en 1982, le "Premier ministre du changement" et être présenté comme tel par l'Espoir, puis, dans un deuxième temps, par l'opposition réunie, à la place de Navin Ramgoolam, devenant de ce fait le challenger officiel de Pravind Jugnauth aux prochaines élections générales.

Cette décision s'appuie sur deux convictions. D'abord que les Mauriciens, après des décennies de dynasties politiques et d'accaparement du pouvoir, veulent du neuf et des changements profonds dans la gouvernance du pays, changements que Bodha dit pouvoir incarner. Ensuite Nando Bodha est aujourd'hui convaincu que Navin Ramgoolam, largement décrédibilisé dans la population, ne pourra pas rassembler au-delà du Parti travailliste (PTr) et gagner en 2024 - ce qui nous vaudra encore cinq ou dix ans de Pravind Jugnauth et du Mouvement socialiste militant (MSM) au pouvoir.

Ce positionnement nous ramène plus ou moins à mars 2021, quand aux débuts de l'Espoir, Bérenger, Duval, Bodha et Bhadain prenaient position en faveur d'une non-candidature de Navin Ramgoolam, avec les conséquences qu'on a vues.

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Nando Bodha est publiquement conforté dans sa démarche par le fait que le Mouvement militant mauricien (MMM), reprenant lui aussi conscience de l'impopularité de Navin Ramgoolam, dit estimer par la voix de Paul Bérenger que Bodha pourrait faire un "bon et grand Premier ministre", même si pour se couvrir comme d'habitude le MMM garde une option MMM/PTr/PMSD "si l'Espoir s'élargit". Par ailleurs, on assiste clairement aujourd'hui au PTr à des premières manifestations de nervosité post-congrès, alors que commence à s'y développer, parmi certains, et non des moindres, un certain scepticisme quant aux chances réelles (au train où vont les choses) pour Navin Ramgoolam de faire s'écrouler un régime MSM puissamment organisé. À noter, enfin, que l'opposition extra-parlementaire, dans un intéressant réalignement de ses positions (Linion Pep Morisien, Rezistans ek Alternativ, Rama Valayden) dit aujourd'hui être prête à mettre de l'eau dans son vin pour permettre un large rassemblement dans l'opposition mais à la condition que Ramgoolam se retire.

En franchissant le Rubicon et en exposant sur la place publique ses prétentions premier ministérielles, Nando Bodha change quelques données. Ambitieux, le leader du Rassemblement Mauricien (RM) sait qu'à 68 ans, il ne peut attendre 2029 pour se présenter. Il croit, dur comme fer, que Ramgoolam est fini, que le peuple ne le suivra pas après deux défaites consécutives et qu'il sera une cible facile pour le MSM. Par ailleurs, Bodha dit à qui veut l'entendre qu'il ne va aucunement gaspiller ce qui lui reste de vie politique pour seulement travailler à la gloire de Ramgoolam et satisfaire le désir de vengeance de celui-ci. Alors, il y va crânement ! Le vin est tiré. Il faut le boire.

Jouant non pas sur les individus mais le programme, Nando Bodha est convaincu que les 50 % d'indécis dans l'électorat sont à prendre et qu'ils seraient réfractaires à la fois à Navin Ramgoolam mais aussi à Pravind Jugnauth et Roshi Bhadain et qu'ils voudraient d'une refondation de Maurice sur de nouvelles bases. Nando Bodha promet ainsi de nouvelles structures, des réformes en profondeur, la méritocratie et une autre manière de gouverner.

Si l'ambition est grande, les moyens d'y arriver pourtant manquent. Nando Bodha est un politicien d'expérience, un homme de qualité et un être sympathique, mais "expérience, qualité et sympathique" sont "just not good enough". Comme Roshi Bhadain, Nando Bodha est, pour l'heure, un général sans beaucoup de troupes. Son RM décolle péniblement. Touria Prayag, dans l'express, le qualifie cette semaine de "puny party" qui ne saurait rien imposer aux autres, encore moins au PTr ou au MMM, deux mastodontes. Le RM et son leader ne jouissent pas encore d'une image nationale.

Quant au MMM, si Bérenger est depuis longtemps à la recherche d'un premier ministrable hindou acceptable et pourrait endosser Bodha, ce dernier doit pourtant encore convaincre Ajay Gunness, Reza Uteem, Joanna Bérenger et d'autres leaders potentiels au MMM de s'effacer. Or, pourquoi devraient-ils le faire, après des années de militantisme, pour voir arriver à leur tête un ex-MSM ? Bodha entrant ou s'alliant au MMM, parachuté par Paul Bérenger, créerait encore plus de problèmes au MMM qu'il n'en résoudrait. Reza Uteem, président du MMM, anticipe d'ailleurs, dans l'express du dimanche 18 septembre, ces réticences en affirmant : "Si un accord électoral n'est pas possible entre l'Espoir et le PTr, nous aurons plusieurs choix pour le candidat à présenter comme Premier ministre. Bodha est une option mais il y en a d'autres aussi."

Enfin, chacun sait que sans l'apport décisif d'un Parti travailliste valant 30 % dans une alliance de l'opposition, celle-ci irait vers un suicide certain et n'aurait aucune chance. Or, Navin Ramgoolam, qui n'aime pas particulièrement Nando Bodha, n'a aucune intention de lui laisser la place. Demain, dans une négociation d'alliance avec Paul Bérenger et Xavier Duval, Ramgoolam pourrait même vouloir écarter totalement Nando Bodha et exiger que ce dernier ne soit pas partie prenante de tout accord.

Ce qu'il est important, pourtant, de retenir dans ces jeux et repositionnements incessants, c'est le fait que la "stratégie Bodha" qui se met en place aujourd'hui mène à coup sûr vers la réapparition d'un scénario de lutte à trois : MSM/alliés, PTr/alliés et l'Espoir/extraparlementaires/ alliés. À défaut d'aller seul, Bodha pourrait pousser l'Espoir à désigner son propre candidat comme Premier ministre afin de mieux négocier à l'avenir, de bloc à bloc, les conditions d'une coalition l'Espoir/PTr avec peut-être une alliance "à l'israélienne" qui ferait partir plus tôt Navin Ramgoolam.

C'est pourtant là un jeu dangereux : Navin Ramgoolam qui, pour l'heure, veut redevenir PM pour cinq ans, est un être obstiné et susceptible qui ne se laissera pas faire aisément. Il pourrait bien, dans ce cas, attirer vers lui son allié traditionnel Xavier Duval, briser l'Espoir bout par bout et laisser Bodha et Bérenger se débrouiller seuls électoralement, au risque de n'avoir en 2024 aucune représentation au prochain Parlement.

Vous imaginez ?

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