Tunisie: Élections législatives anticipées | Des parrainages achetés et vendus - Faut-il rectifier le tir ?

11 Octobre 2022

Amendée il y a un mois, la loi électorale ouvre le débat autour de l'intégrité des prochaines élections. Et pour cause, une course vers les parrainages qui connaît malheureusement tous les dépassements. Achat et vente, abus de pouvoir, exploitation des capacités et des équipements de l'Etat : la fin justifie les moyens.

Cette situation a considérablement nui au processus électoral qui aboutira aux élections législatives de décembre prochain. Le constat est tel que certains futurs candidats à ces élections sont allés jusqu'à acheter les parrainages indisponibles pour leurs candidatures.

D'ailleurs, l'instance électorale a annoncé que plusieurs personnes ont été arrêtées à cause de parrainages truqués ou achetés. En effet, dans un communiqué rendu public, l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) a indiqué avoir découvert que certaines personnes souhaitant se présenter aux élections législatives ont procédé à une collecte de parrainages avec contrepartie.

L'Isie annonce que le parquet s'est saisi de l'affaire et a procédé à l'arrestation d'un certain nombre de futurs candidats aux législatives, qui ont fourni des sommes d'argent contre ces parrainages indispensables pour leur candidature.

"Les parrainages, une marchandise qui se vend et s'achète"

Paru au Jort, le décret présidentiel n°55 du 15 septembre 2022 portant amendement de la loi relative aux élections et aux référendums fixe les dispositions des législatives, prévues le 17 décembre 2022, ainsi que les conditions de candidature.

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Selon l'article 19 de la nouvelle loi électorale, tout électeur ou électrice ayant au moins 23 ans le jour du dépôt de sa candidature, de père tunisien ou de mère tunisienne et ne portant que la nationalité tunisienne, peut se porter candidat aux législatives dans les circonscriptions électorales du territoire tunisien. Le candidat aux législatives doit également présenter à l'instance des élections son programme électoral ainsi qu'une liste de 400 parrainages légalisés d'électeurs résidant dans la circonscription concernée.

Sauf que cette dernière condition a ouvert la voie à une course irrationnelle vers les parrainages, un constat qui n'a pas laissé le Président de la République muet. Recevant, récemment, la Cheffe du gouvernement, le Chef de l'Etat a estimé nécessaire d'amender la loi électorale au vu des pratiques illégales relatives aux parrainages.

Il a fustigé en effet les tentatives de trucage des parrainages pour les candidats de l'Assemblée des représentants du peuple. "Les parrainages sont devenus comme une marchandise qui se vend et s'achète", a-t-il dénoncé. Saïed a insisté sur la nécessité d'appliquer la loi sur un pied d'égalité et de mettre un terme à ce phénomène en lien avec l'argent. Il a appelé à la révision du décret relatif aux élections car il s'est avéré que certains membres des conseils locaux n'ont pas joué le rôle qu'ils devaient jouer, et que l'intérêt suprême de l'Etat nécessite cette modification.

Réactions politiques

Mais Kaïs Saïed compte-t-il rectifier le tir un mois seulement après l'amendement de la loi électorale ? Va-t-il procéder à l'amendement d'un amendement qu'il a effectué pour remédier à la situation ? En tout cas, cette démarche a fait réagir la classe politique.

Le parti Al Joumhouri considère que l'amendement du décret-loi électoral, en cette conjoncture, est un aveu de l'échec de ce qu'il qualifie de "l'autorité du fait accompli et de ses choix et augure un chaos législatif ". Le parti critique la recherche de prétextes pour attaquer les conseils municipaux.

Dans sa déclaration, Al Joumhouri réaffirme son total refus du processus du 25 juillet et le boycott des élections législatives du 17 décembre 2022, appelant tous les démocrates à coordonner leurs efforts pour reprendre le processus démocratique et la voie du dialogue.

Pour le parti, "l'autorité du fait accompli", en allusion au Président de la République, est responsable de l'impasse dans laquelle se trouve le pays, mettant en garde contre l'écroulement de l'économie nationale et le risque d'une implosion sociale.

Pour sa part, la coalition "Soumoud" a affirmé qu'elle ne soutient plus le processus du 25 juillet, suite aux "dérives" du Président de la République qui "impose des décisions unilatérales dans le but de mettre en place un régime politique présidentialiste et hybride".

Dans une déclaration publiée hier lundi, Soumoud appelle, par conséquent, à boycotter les prochaines législatives au niveau des candidatures, des parrainages et du vote. Pour la coalition, "le Chef de l'Etat insiste à mettre en œuvre progressivement son projet politique, à travers la mise en place d'un parlement dépourvu de tout poids devant le pouvoir exécutif".

Il faut noter également que l'Instance électorale s'oppose à l'amendement "actuel" de la loi électorale. Son président, Farouk Bouasker, explique que le nouvel amendement est toujours à l'étude, affirmant que l'Instance électorale "aura son mot à dire". "De préférence, il ne faut pas procéder actuellement à un nouvel amendement de la loi électorale, mais l'idée est de limiter ces forces de vente et d'achat des parrainages", a-t-il conclu.

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