Burkina Faso: Lutte contre le terrorisme - "Ceux qui ont des problèmes avec Wagner n'ont qu'à rester là" (Alouna Traoré, le rescapé du 15 octobre 87)

Aux premières heures du MPSR I (Mouvement pour la sauvegarde et la restauration) et du MPSR II, nombreux sont les Burkinabè qui ont pris d'assaut les rues pour témoigner leur soutien aux militaires, mais surtout encourager ces derniers à aller vers la Russie pour trouver une solution adéquate à la lutte contre le terrorisme.

Sont de ceux-là, Alouna Traoré, une figure bien connue de la Révolution burkinabè de 1983. Dans cette interview que le rescapé de la tuerie du 15 octobre 87 au Conseil de l'entente nous a accordée à domicile dans le quartier Tampouy, à la sortie nord de la capitale, le 7 octobre 2022, il ne cache pas son désir de pactiser avec l'ours polaire dans le but d'avoir des armes pour toute la population.

Vous êtes un témoin privilégié de la tuerie du 15 octobre 87. Blaise à qui le crime a profité, a été chassé par la rue, ensuite, il y a le jugement sur la mort de Thomas Sankara où Compaoré a été condamné à la perpétuité. Est-ce que ce dénouement ne vous guérit pas de vos traumatismes ?

Il ne nous guérit pas de nos traumatismes, mais c'est une marche vers la vérité. Beaucoup de choses ont été dites pendant le procès, on a su certaines choses matérielles, surtout concernant l'exécution du crime. Ce qui est gênant dans cette histoire, c'est qu'on semble être dans le cas du crime parfait sans le criminel. Le vrai criminel c'est l'auteur intellectuel. Et cet auteur n'apparaît nulle part. A qui profite le crime ? Je peux me permettre de dire que le crime a profité à la France parce que ce qui se passait au Burkina Faso de 83 à 87 menaçait les intérêts de ce pays. Donc il fallait passer à la vitesse supérieure. D'où le 15 octobre 87.

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J'ai atteint un âge où je n'espérais pas un procès. Je me retrouve à mon grand bonheur avec un procès, c'est un plaisir. En plus du jugement de cette affaire, je me retrouve avec un mémorial Thomas Sankara et une jeunesse éveillée. D'ailleurs, Thomas avait dit : " Tuez-moi et des milliers de Sankara naîtront. " Nous sommes dans le cas type de la prédiction prémonitoire avec les évènements que nous vivons ces derniers jours. Presque tous ceux qui parlent de Sankara aujourd'hui ne l'ont pas connu. Et ça, ça fait du bien au moral.

On vous sait défenseur de la cause russe. Pouvez-vous nous donner des explications à cette russophilie ?

Quand vous dites défenseur de la cause russe c'est un peu exagéré. Le peuple burkinabè se trouve comme un naufragé. Et quand vous êtes dans cette situation, vous vous accrochez à tout pour vous tirer d'affaire. L'essentiel c'est de ne pas mourir. Or, nous sommes en voie de disparition au regard de ce qui nous arrive. Je ne peux pas médire de ceux qui nous attaquent parce qu'ils sont en train de nous passer un message.

Est-ce que nous avons compris le message ? C'est-à-dire l'obligation de l'unité. L'obligation de nous entendre sur des bases justes et claires. Au combat quand il y a des soldats morts pour la patrie, on devrait avoir la décence de respecter nos traditions et ne pas les mouvoir sur Ouagadougou. Au lieu où a eu l'assassinat ou l'attentat, c'est à ce niveau précis qu'on doit leur donner une sépulture. C'est ce que disent nos traditions. Quand nous aussi, nous tuons ces gens, nous devons leur trouver un endroit, mais ils ne doivent pas mériter les mêmes sorts que nous. On les garde jusqu'à dépérissement.

Pour revenir à votre question, j'ai le sentiment que les intellectuels burkinabè sont un peu dangereux. Ils agissent exactement comme la France et les Etats-Unis. Nous périssons, nous mourrons, nous perdons des parties du territoire et on trouve cela normal. La France ne parle pas, elle a les munitions et les techniques, mais elle ne fait rien. Son maître à penser, les Etats-Unis, ne dit rien non plus.

On touche au pouvoir pour organiser notre lutte et voilà que des voix s'élèvent. Les constitutionnalistes font des sorties à n'en pas finir. Il n'y a chez nous que le pouvoir. Et le peuple ? Et notre territoire ? On ne parle pas de ces deux points. On dit qu'on va diversifier nos partenariats, on dit tout sauf la Russie. Le Mali a eu des armes pour se défendre. Pourquoi pas nous.

La garantie du Mali c'est ce qu'il y a dans son sous-sol. Nous aussi on a quelque chose dans le sous-sol. Nous garantissons ce que nous avons pour que la Russie nous amène le matériel. Quand tu livres le matériel, le minimum c'est de suivre pour montrer comment on l'utilise, mais ça ne veut pas dire que tu dois venir faire notre bagarre à notre place.

Il faut faire la part des choses : la Russie nous livre le matériel et elle nous montre comment l'utiliser et c'est tout. Ce qu'on lui donne en retour, si c'est une exploitation indécente, il n'y a pas de problème. La France nous a exploités longtemps sans que ça ne dérange quelqu'un. La Russie nous donne des armes que nous n'avions pas avec la France en peu de temps et cela constitue un problème. C'est une injure à notre intelligence. L'intellectuel africain me fait honte. Des gens qui ne savent pas ce qu'ils veulent en situation de péril extrême, c'est dangereux.

Pensez-vous que la Russie via Wagner peut nous sortir de l'ornière ?

C'est notre mobilisation intégrale qui va nous sauver. Pourquoi un jeune de 18 ans va sortir marcher pour soutenir un autre jeune du même âge au front ? C'est de l'aberration. Le peuple doit être armé. Ladji Yoro, le VDP (Volontaire pour la défense de la patrie) du Loroum dans la région du Nord n'a étudié dans aucune école militaire, mais sur le terrain il a fait ses preuves. Cela réconforte mon idée de mobilisation générale. Une guerre populaire intégrale, aucune force de notre peuple ne doit être ménagée. Les gens qui disent de faire attention ont peur d'aller au front. Ils défendent leur propre cause.

Donnez-moi une arme et j'irai au front parce que je ne suis pas malade. Mais notons qu'une arme en situation de guerre ne se donne pas sans préalable. Si tu donnes une arme main à main à quelqu'un tu as armé un bandit où un terroriste. Il y a des techniques traditionnelles pour donner une arme à un individu. On pose l'arme et il marche pieds nus pour aller la chercher. Ensuite, on prononce des mots et la terre lui donne l'arme. Si son père et sa mère viennent de cette terre du Burkina Faso, il ne peut pas faire du mal à ce pays. C'est l'abécédaire. Ce sont les fondamentaux de nos traditions.

D'aucuns estiment que ceux qui soutiennent la Russie notamment Wagner sont financés. Est-ce votre cas ?

Après l'interview vous allez faire un tour dans ma maison. C'est encore de la manipulation. A mon âge, suis-je incapable avec les efforts que je fais pour lire de savoir ce qui est bien pour moi ? Ai-je besoin qu'on me montre le chemin qui m'arrange ? On va venir m'armer et m'instrumentaliser comment ? La Russie fabrique des armes comme la kalachnikov qui a montré son efficacité dans le monde entier. Nous demandons des kalachnikovs en quantité pour armer notre peuple. Il n'y aura que le peuple au combat, plus de militaires. Vous journalistes avant d'aller au service, une arme. Partout où nous allons, nous devons être armés. Ainsi, on n'aura pas besoin de dire à quelqu'un de ne pas nous attaquer. Tu viens, mais tu ne repars pas. On contrôle tout le pays.

Nous sommes en train de nous noyer et nous nous accrochons à tout. Mais ce n'est pas parce qu'on est accroché à toi que tu deviens notre propriétaire. On ne quitte pas l'esclavage pour aller dans un autre esclavage. Nous voulons l'émancipation de l'homme africain parce que les Occidentaux ne nous ont jamais considérés comme des humains. Quand est-ce qu'on va le comprendre ?

Presque tous ceux qui ont fait la Russie, notamment les étudiants burkinabè qui y étaient pour les études gardent un mauvais souvenir de ce pays. Pensez-vous que les Russes peuvent faire notre bonheur ?

Moi j'ai vu quelque chose avec les Russes que je veux. Est-ce qu'on fabrique des armes au Burkina Faso ? Nous allons vers les pays qui fabriquent des armes. La Russie est à la recherche de ses intérêts, je suis d'accord. Je consens que les Russes recherchent l'argent, mais en retour j'ai les armes pour me défendre. L'étudiant c'est qui ? C'est un aventurier. Il est venu chercher le savoir. Le Burkina Faso cherche les armes et la Russie en possède. Et de meilleure qualité. Ce que la Russie va prendre en contrepartie ne peut pas finir nos richesses. C'est de ça qu'il s'agit.

Dans presque tous les pays où Wagner est en action on se rend compte qu'elle patauge, contrairement à ce que dit la vulgate officielle. Qu'est-ce que vous en pensez ?

Ce narratif vous l'avez de la France. Vous êtes victime d'intoxication. Vous ressemblez à une personne qui écoute RFI, la Voix de l'Amérique. Il faut changer les choses. Nous étions populaires en 83 et la France a rendu la révolution burkinabè impopulaire au lendemain du 15 octobre 87. C'est de la manipulation. Elle nous prend pour des enfants. Elle n'a qu'à nous laisser aller vers la Russie. On va où nous voulons. Après la guerre, la Russie qui nous a fourni les armes va partir. Si elle ne part pas, elle aura affaire à nous.

Certes, vous parlez d'acquisition d'armes, mais on a beau chercher dans beaucoup de pays proches de la Russie on n'a jamais vu un dispensaire, une retenue d'eau ou une école gracieusement offerte par l'Ours russe.

Les dons c'est de la dépendance. Nous ne comptons sur personne pour nous développer. Nous comptons sur nos capacités. Ce qui se passe au Burkina Faso c'est la révolution capacitaire. Nous voulons avoir la capacité de nous loger, de nous vêtir et de nous soigner. Et cela doit se faire maintenant. Nous avons la ressource intellectuelle pour nous développer. Les gens qui ont étudié en France ont peur d'aller au combat. Si on leur donne une arme, s'ils ne veulent pas ils n'ont qu'à rester avec leurs épouses en ville, nous on va aller chasser ceux qui nous attaquent. De retour, ceux qui n'ont pas fait la guerre avec nous, on va veiller à remettre les pendules à l'heure. N'ayez pas peur, le peuple en arme c'est pour bientôt. Ceux qui ont des problèmes avec Wagner n'ont qu'à rester là à Ouagadougou. Nous on va libérer le pays et on en reparlera après.

Depuis le 15 octobre 87 jusqu'aujourd'hui avec quoi Alouna Traoré meuble ses journées ?

J'évite l'oisiveté. Je suis toujours actif. Voilà pourquoi depuis ma retraite en 2017 je suis reparti au village (Bassi province du Zondoma dans la région du Nord) et je me suis inscrit à l'école des villageois : petit élevage, petits ruminants et volaille. Après toutes ces années dans l'administration, je me suis rendu compte en allant au village que je ne sais pas cultiver. A Bassi, je dégage aussi du temps pour lire parce que je suis un mordu des livres. Le blanc lui-même n'a-t-il pas dit que si tu veux cacher quelque chose à un noir il faut l'écrire ?

Parlez-nous un peu de votre famille

J'ai deux femmes et huit enfants. Et ce n'est pas fini. J'aime les femmes et je les courtise. Et je suis les voies normales. Quand je vois une fille qui m'intéresse je pars demander sa main. Je veux des enfants. Quand tu as beaucoup d'enfants, tu ne manges pas comme tu veux. C'est une leçon africaine. On dépose toujours tout le repas devant le chef de famille. Ce dernier sait que la cour est pleine de mômes. Il mange juste un peu et il appelle les gamins de venir prendre le reste de la nourriture. Ensuite, le chef de famille remercie Dieu pour lui avoir donné le repas. Quand vous faites cela, il y a le secret de la vie. Les enfants ne meurent pas avant le père parce qu'ils mangent les restes du père. Tout comme le père a mangé les restes de leur grand-père.

Y a-t-il autre chose qui vous tient à cœur ?

Souffrez que je félicite L'Observateur Paalga d'avoir pensé à quelqu'un comme moi en venant jusqu'à chez moi à domicile. Je ne me prends pas au sérieux, c'est peut-être une déformation religieuse, on nous a dit à l'école de la spiritualité de s'exercer à l'humilité. Rabaissez-vous et le Créateur vous élèvera. Donc encore une fois merci à votre journal. Je vous souhaite une longue vie.

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