Tunisie: Pouvoir judiciaire et quatrième pouvoir - La difficile cohabitation

13 Octobre 2022
analyse

L'affaire de l'interdiction préalable de la diffusion de l'émission "Les Quatre Vérités" de Hamza Belloumi rouvre le débat : la confidentialité des enquêtes et des affaires de justice peut-elle restreindre la couverture médiatique ? Pour certains, cette liberté est soumise à des restrictions et n'est, en aucun cas, absolue. Pour d'autres, elle est de plus en plus menacée en Tunisie.

" La liberté de presse est de plus en plus menacée en Tunisie ", ne cessent d'alerter les professionnels du secteur de l'information. Pressions, menaces, insécurité, précarité et autres font que le travail des journalistes devient difficile et risqué.

Dernièrement, l'affaire de l'interdiction préalable de diffusion de l'émission "Les Quatre Vérités" de Hamza Belloumi a rouvert, en effet, le débat autour de la liberté d'expression en Tunisie, mais pour certains, cette liberté est soumise à des restrictions et n'est, en aucun cas, absolue.

Le rédacteur en chef adjoint de l'émission phare d'Elhiwar Ettounssi, les " Quatre Vérités ", Aymen Maâtoug, a fait savoir que la justice a décidé d'interdire la diffusion d'une enquête relative à une grande affaire de falsification de documents officiels et de jugements. " Cette affaire concerne surtout la falsification des signatures de plusieurs hauts responsables, dont la ministre de la Justice et le gouverneur de la Banque centrale ", a-t-il expliqué.

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" Sauf que nous étions surpris par une décision de justice interdisant la diffusion de cette enquête, pour des motifs jusque-là inconnus ", a-t-il ajouté. Selon ce journaliste, l'équipe de l'émission a respecté cette décision mais considère qu'il s'agit " d'une censure préalable et d'une atteinte à la liberté d'expression ".

Cette affaire n'est pas passée inaperçue dans le milieu de l'information. Plusieurs journalistes et professionnels du secteur ont fustigé en effet une atteinte à la liberté d'expression, déjà que le corps des journalistes est en ébullition. Aujourd'hui jeudi, il observe une marche de protestation à La Kasbah.

Revenant sur cette affaire, la Haute instance indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) a également brisé le silence pour défendre les principes de liberté d'expression. Dans ce sens, la Haica a vivement critiqué la décision du juge d'instruction près le Tribunal de première instance de Tunis interdisant un épisode de l'émission " Les Quatre Vérités " diffusée sur la chaîne privée " Al-Hiwar Ettounsi ".

Dans un communiqué publié, la Haica a fait part de son rejet du recours excessif et injustifié au motif du secret des enquêtes pour " s'en servir en guise d'outil pour museler la presse et limiter son rôle central dans la révélation de la vérité ".

Elle a par ailleurs mis en garde contre le danger de voir certains juges recourir, par convenance et commodité, à la censure préalable et s'empresser de transformer cette mesure en un outil de censure et une menace sérieuse à l'exercice de la liberté de la presse et à l'indépendance des médias.

La Haica a tenu à souligner que le devoir de veiller au respect du déroulement de l'enquête et de ne pas divulguer des données susceptibles d'affecter l'enquête en cours, de nuire à la vie privée des personnes ou de violer la présomption d'innocence, ne signifie nullement entraver le travail journalistique.

À ce titre, elle a exhorté le ministère de la Justice et les institutions judiciaires à mettre fin à ces abus et exactions et à assumer leur responsabilité pour assurer l'application de la loi, la protection des droits et libertés et le respect des principes de la liberté des médias et des prérogatives de régulation de l'instance.

Ce n'est pas une première

Hichem Snoussi, membre de la Haica, a confirmé à La Presse que ce genre de pratiques a tendance à exercer une pression sur les journalistes, dans la mesure où ils peuvent tomber dans l'autocensure lorsqu'il s'agit d'affaires de justice. Selon ses dires, les journalistes peuvent traiter des affaires de justice tout en respectant les normes professionnelles et déontologiques et sans entraver l'avancement de ces affaires. Il a rappelé que ce n'est pas la première fois qu'une telle décision est prise, affirmant que cette même émission avait connu une interdiction de diffusion de certains épisodes en 2019 et en 2020.

Répondant à cette polémique, l'animateur de l'émission Hamza Belloumi a affirmé que l'enquête ne traite pas, dans ce dossier, d'une affaire de justice, mais révèle l'existence d'un réseau de falsification de documents officiels et qu'aucune ingérence dans les éléments de l'affaire en cours n'a eu lieu.

Dans un post Facebook, l'avocat Mohamed Ali Gherib est revenu sur cette affaire. Selon ses dires, elle concerne un avocat qui a falsifié plus d'une vingtaine de jugements, des cachets et signatures de hauts magistrats du ministère de la Justice, ainsi que la signature de la ministre elle-même. " Il a aussi imité la signature du gouverneur de la Banque centrale ainsi que celle de très hauts dirigeants de trois grandes banques de la place. Il est allé jusqu'à créer de toutes pièces des quittances de consignation de fonds de la trésorerie générale ", a-t-il encore précisé.

Il faut dire, en effet, que cette interdiction de diffusion d'une émission n'est pas une première en Tunisie. En 2019, un juge avait interdit la diffusion d'un épisode de l'émission " Les Quatre Vérités " portant sur le dossier du service de maternité de La Rabta. Pour lui, cette diffusion pourrait entraver le déroulement de l'affaire.

En tout cas, il faut se poser la question suivante : la confidentialité des enquêtes et des affaires de justice peut-elle restreindre la couverture médiatique ? Il faut rappeler que le décret 116 relatif à la liberté de la communication audiovisuelle et à la création d'une Haute autorité indépendante pour la communication audiovisuelle (Haica) stipule, de surcroît, que la Haica a la prérogative de superviser le respect des règles régissant les activités de la communication audiovisuelle et de déférer l'affaire aux autorités administratives et judiciaires concernées si ces règles sont enfreintes.

De même, le Conseil de presse doit jouer son rôle en matière d'autorégulation pour éviter toute ingérence de la justice dans les affaires internes du secteur.

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