Burkina Faso: Assises nationales - Pourvu que ça ne tourne pas en remake des expériences passées

Capitaine Ibrahim TRAORE
analyse

Deux semaines après la révolution de palais au sein du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) qui a conduit à la chute du lieutenant-colonel Paul-Henri S. Damiba, son tombeur a convoqué "les Forces vives de la nation" en conclave.

Elles doivent amender et avaliser la Charte de la transition et, surtout, nommer un nouveau président du Faso.

Réunion importante, s'il en est, qui commande qu'on ait des participants de qualité et non en quantité pour éviter des discussions dissolues ou une foire d'empoigne improductive.

Au demeurant, rien de nouveau sous les tropiques en ce qui concerne ce genre de rencontres. Qu'on les nomme conférences souveraines, assises des forces vives, états généraux de la nation, assises nationales, etc., ce sont des béquilles de légitimation a posteriori de prises du pouvoir par la force. Ainsi, le printemps du multipartisme a connu ses "conférences nationales souveraines " ici et là. La vague de pronunciamientos au Soudan, au Mali, en Guinée et au Burkina a porté, à son tour, sur le rivage du besoin de refondation de l'Etat, des fora du même genre, qui se suivent et se ressemblent.

Pas plus tard que le 28 février 2022, le Burkina, sur convocation du MPSR I tenait des " assises nationales d'examen des textes et signature de la charte constitutionnelle de la transition". Pas de doute que les participants y étaient allés avec les meilleures intentions pour sauver le Burkina du péril terroriste. 7 mois après, patatras ! C'est un grand flop qui a conduit au drame de Gaskindé et à un autre coup d'Etat. C'est pourquoi les assises qui commencent en principe ce 14 octobre donnent une impression de déjà-vu et de déjà-entendu.

On croise donc les doigts pour que leurs conclusions soient consensuelles sur ces minima : le sursaut national dans la lutte contre le terrorisme et le maintien du calendrier de sortie de la transition convenu avec la CEDEAO. Si ce plus petit dénominateur commun est acté et que sa mise en œuvre est inclusive, au niveau des forces de défense et de sécurité, des acteurs politiques et de la société civile, la parenthèse du lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba sera vite oubliée. Mais si ces assises tournent à une foire d'empoigne avec un passage en force d'un clan de copains-coquins, loin des véritables attentes des Burkinabè, il faut craindre que l'histoire continue son bégaiement au pays des Hommes intègres.

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Pour éviter donc ce scénario du pire, à défaut d'être inclusives par leurs participants, ces assises devraient l'être par leur contenu et leurs conclusions. Cela se lira dans le choix du nouveau président du Faso, la recomposition de l'exécutif, des autres organes de la transition et du commandement des forces de défense et de sécurité.

Ce dernier point vaut son pesant d'interpellation car, hélas, au moins 40% du territoire national échappe au contrôle de l'Etat et cette révolution de palais au MPSR ne fait qu'exacerber les divisions au sommet de la hiérarchie militaire. Et c'est grave !

Cela d'autant plus que, bien qu'un si grand pourcentage du pays soit sous hypothèque sécuritaire, le sursaut national ne plonge pas ses racines d'abord au sein des forces armées nationales. Ensuite, plus le temps passe, plus on s'aperçoit que le Burkina est une mosaïque de situations à problèmes qui minent sa stabilité politique, handicapent son décollage économique, menacent sa cohésion sociale ; bref, fragilisent l'Etat.

L'armée, qui apparaissait comme le seul corps social organisé, avec une discipline à même de pallier la faillite des partis politiques, donne à voir qu'elle est aussi profondément lézardée que l'élite civile. Les 2 coups d'Etat en 8 mois en sont la preuve. On se demande alors si le Burkina n'est pas en voie de "somalisation " ou " d'haïtisation " avec des politiciens plus prompts à se combattre qu'à s'entendre sur ce qui devrait être leur plus petit dénominateur commun à savoir, la survie de l'Etat. C'est aussi inquiétant, qu'interpellateur.

Sur le gril, le Burkina l'est assurément, point qu'à la limite des abîmes d'un Etat failli, des Burkinabè voient des messies ou des mahdis partout. Le capitaine Ibrahim Traoré ou un autre militaire ou civil nommé président du Faso sera-t-il le sauveur espéré ?

En tout cas, en 9 mois, le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba aura eu le mérite d'avoir tenté d'insuffler ce sursaut patriotique et à l'armée et à l'ensemble des Burkinabè par la réconciliation nationale. Sur ce chantier, on peut lui reprocher son volontarisme et le timing dans la prise de certaines décisions, notamment les retrouvailles des anciens présidents du Faso. Son successeur, qui qu'il soit, accordera-t-il le même intérêt à la réconciliation nationale sur son agenda ?

Dans cette perspective, la suspension des activités des partis politiques ainsi que celles des organisations de la société civile est une décision courageuse qui, il faut l'espérer, va favoriser la cohésion des forces vives pour qu'enfin l'indispensable sursaut national soit une réalité. Ce sursaut national tant attendu va-t-il transparaître des conclusions de ces assises nationales ?

On croise les doigts pour que cette révolution de palais soit un recul pour mieux sauter en matière de renouvellement du personnel politique, de réconciliation nationale et de partenariat stratégique dans le domaine de la défense nationale. Les participants à ces assises nationales ont donc du pain sur la planche, vu les grandes attentes du peuple burkinabè vis-à-vis du MPSR bis.

Dans le " tout est urgence au Burkina " seriné par le capitaine Ibrahim Traoré, il devrait y avoir néanmoins une hiérarchisation des priorités dans les priorités. A ce propos, la cohésion au sein des forces de défense et de sécurité, la formation d'un gouvernement de combat, des assises constituantes et de réconciliation nationale, un référendum constitutionnel et des élections inclusives pour sortir de la transition nous paraissent être les priorités des priorités pour le nouveau pouvoir.

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