Afrique: Sécurité et prévention de la radicalisation - Chercheurs et spécialistes pour une sécurité holistique

14 Octobre 2022

Quels liens établir entre la gouvernance du secteur de sécurité et la prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violent pouvant conduire au terrorisme ? C'est autour de ce thème que se penchent, depuis le lundi dernier, des représentants étatiques et d'organisations sous-régionales ainsi que de la société civile et des chercheurs de pays d'Afrique de l'Ouest. Avec une volonté développer une " approche holistique de la sécurité ", la formation, organisée par l'Organisation internationale de la Francophonie (Oif), est soutenue par le Réseau international francophone de formation policière (Francopol), l'Association internationale des procureurs et poursuivants francophones (Aippf) ainsi que la Chaire Unesco-Prev, membre du Réseau francophone de prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violent pouvant conduire au terrorisme.

Deux experts ayant servi à la facilitation de la formation qui se termine demain vendredi reviennent sur la question du terrorisme et de l'extrémisme violent. Mais surtout esquissent des solutions pour mieux affiner l'intervention et la lutte en amont. Le commissaire divisionnaire belge Benoît Blanpain est vice-président du Comité technique Police et citoyen de Francopol tandis que Adib Bencherif est professeur en sciences politiques à l'Université Sherbrooke et chercheur associé à la Chaire Unesco-Prev.

Sur la pertinence de la session de formation, l'expert en sécurité sociétale Blanpain est sans équivoque. Elle vise, selon lui, à faciliter à des " échanges entre experts des pays participants ". " Nous avons des experts venus de la Belgique, du Québec et de la Suisse. L'idée est de voir ce qu'il est possible de mettre ensemble en place pour justement prévenir le radicalisme et l'extrémisme violent, notamment en renforçant la relation de confiance, capitale en matière de radicalisme, pour que justement les gens ne basculent pas dans le radicalisme, voire dans l'extrémisme violent. Nous avons pu expliquer tous les principes de police de proximité du modèle belge, le modèle de sécurité de proximité du Sénégal et une ouverture au modèle de concertation développé depuis peu à Longueuil au Québec ", explique-t-il.

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Il semble être rejoint par le chercheur qui met en exergue la " difficulté structurelle qu'il faut reconnaître avec ces grandes frontières poreuses " et ces " nombreuses communautés qui vivent de part et d'autre ". Aussi, pour le Pr Bencherif, il ne faudrait pas se " braquer sur un contrôle territorial stricto-sensu, mais d'essayer de voir l'espace comme un espace social ". Ainsi, insiste-t-il sur la " résilience des communautés parce que si vous avez des individus qui jouent le rôle de courtiers de la paix en intérieur et qui sont là pour essayer d'avertir l'autorité centrale et participer ainsi à l'effort de renseignement et renforcent la relation de confiance entre les acteurs, cela permet de faire de la prévention, d'éloigner des jeunes des groupes terroristes et autres. Il faut donc travailler sur la bonne relation entre les autorités et les communautés à travers ces figures qui sont des intermédiaires aussi ".

La session de Dakar a été une opportunité pour Francopol d'expliquer sa démarche " tout en attirant l'attention sur l'approche de la désescalade en essayant de résoudre la question au plus bas niveau en éviter toute frustration de part et d'autre ". Mais aussi de corriger le biais dans la perception et la différenciation pour éviter tout amalgame qui permette au mieux adapter les réactions des forces sur le terrain. " Ce qui est important, c'est l'approche en chaîne de la sécurité, c'est-à-dire que la police n'est qu'un acteur de la chaîne pouvant contribuer à résoudre cette approche. C'est ensemble, avec d'autres acteurs que nous pourrons y arriver. Mais il est plus qu'important de créer des espaces de dialogue avec toutes les parties prenantes pour permettre de nouveau d'éviter que des gens se sentent laissés pour compte et éviter tout sentiment d'exclusion ", propose le commissaire Benoît Blanpain.

Jonction entre communautés et Etat

" L'idée est de pouvoir permettre une réinsertion d'individus qui ont été, par exemple, déjà dans des groupes violents, mais aussi de trouver un moyen de faire la prévention bien avant la violence. Nous voyons la prévention sur plusieurs niveaux ", avance le Pr Bencherif. En conformité avec la démarche de son centre de recherche universitaire de parvenir à cette approche " sécuritaire holistique en considérant plusieurs dimensions socio-économiques, d'aides aux communautés vulnérables et surtout de ne pas stigmatiser ".

L'idéal pour le chercheur est de déployer un " effort de planification et une logique à installer sur le long terme pour faire de la prévention ". " Lorsque nous sommes déjà en situation de crise, il est certain que nous sommes déjà en retard sur l'action. Dans les pays qui ne sont pas touchés par exemple, il faut être dans un schéma préventif. Pour ceux qui le sont déjà, il est impératif de développer une approche multidimensionnelle et non pas seulement une approche sécuritaire ou centré exclusivement sur le contre-terrorisme ", indique-t-il.

PAUVRETE, INEGALITE, INJUSTICE, IDEOLOGIE...

Ces principales causes de radicalisme

Revenant sur les causes de radicalisation et d'extrémisme, il souligne plusieurs facteurs qui peuvent causer une " trajectoire de radicalisation et amener certaines populations à être vulnérables : des enjeux économiques, de pauvreté, d'inégalités de ressources, d'injustices, mais aussi des enjeux idéologiques c'est-à-dire une adhésion par conviction ". Ces différents facteurs sont parfois mélangés. D'où l'importance d'intervenir sur différents aspects, mais aussi de " responsabiliser les communautés en les octroyant des ressources, développant des programmes liés au développement économique. Il convient aussi de leur donner également des outils pour qu'elles développent une résilience des communautés, ce qui passe par la mise en place de programmes, la mise en œuvre d'harmonies entre autorités coutumières et l'autorité centrale. Une jonction donc entre la communauté et l'Etat ".

Cette " mise en œuvre d'harmonies " peut être vue par l'implication également de la " chaîne pénale dans son ensemble ". " C'est une toute série d'approches pour mettre ensemble en œuvre, en amont, pour éviter à certaines populations de basculer dans le radicalisme. Un pays comme la Mauritanie est cité, par exemple, pour son approche en faveur des femmes victimes de viol qui sont souvent évincées de la communauté. C'est donc tout un mécanisme qui a été mis en place pour mieux les intégrer. Nous avons également l'exemple des maisons de justice de proximité au Togo avec deux hommes, deux femmes qui ont des connaissances en matière juridique pour pouvoir rapprocher la justice des communautés et ainsi les éviter de faire 200-300 km. Ce sont des exemples très pratiques qui visent justement à réduire le fossé du non-accès à la justice par exemple, des facteurs qui peuvent être facilitateurs pour encourager les gens à ne pas verser dans le radicalisme tout en sachant qu'il existe une série de facteurs internes chez chaque personne ", laisse entendre le commissaire Blanpain.

A l'heure des conflits asymétriques, il est devenu nécessaire de mutualiser les efforts. Une occasion offerte par la formation organisée par l'Oif et qui donnent la possibilité aux responsables des neuf pays concernés d'échanger sur leurs bonnes pratiques en la matière et s'inspirer les uns les autres. " C'est ensemble que nous pouvons discuter pour améliorer les choses. Nous avons retenu des débats l'importance d'avoir une bonne formation, une bonne information, un bon accueil de personnes qui veulent s'adresser aux structures étatiques, de justice pour éviter qu'elles ne tombent dans l'escarcelle des recruteurs " selon le membre de Francopol.

Il préconise également " une vision, une gouvernance plus forte pour conduire tout le monde à la même direction ". " Il faut que les Etats l'intègrent pour que nous concourrons tous vers le même objectif ", exhorte-t-il.

Sur les possibilités ouvertes par cette formation, M. Blanpain aimerait qu'il y ait une " espèce de réseau avec les différents partenaires et experts présents pour continuer à avancer " vu que le séminaire pourrait être " une première étape de réflexion qui pourra être menée et conduite après plus en profondeur ".

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