Afrique: En Tunisie, sommes-nous adeptes du "Temps, c'est de l'argent" ou bien du "Pas de soucis, nous avons pleinement le temps" ?

15 Octobre 2022
interview

Directeur général adjoint de BSB Toyota | Secrétaire général de la Chambre de commerce et d'industrie tuniso-japonaise | Titulaire du "Certificat d'Honneur" du ministère des Affaires étrangères du Japon

La question qui se pose peut être formulée de la manière suivante : faut-il commencer par digitaliser l'administration (le système) ou les administrateurs ? Faut-il réformer la "machine" ou "l'homme" ?

Afin d'enregistrer un contrat de location en gérance libre, un ami se présente à la recette des finances où il avait l'habitude de déclarer ses impôts. Au guichet, on lui demande de fournir des copies des quittances des années 2021, 2020 et 2019. Ce à quoi il répond qu'étant à jour dans ses paiements, l'information devait apparaître sur l'écran. Que nenni ; le préposé à l'administration lui fait savoir que les photocopies des déclarations étaient exigées pour servir de preuve au constat de la situation fiscale. Pas de bol, la quittance 2019 manquait à mon ami. Pour en avoir une copie, il devait, toujours d'après le fonctionnaire, déposer une demande, assortie bien évidemment d'un timbre fiscal, et l'attestation de paiement des impôts pour 2019 lui sera fournie dans un délai de 72 heures. Il pourra ainsi compléter son dossier et enregistrer son contrat.

Plusieurs autres démarches administratives en Tunisie tiennent de la même logique.

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L'obtention d'une simple quittance d'impôt a donc pris une semaine avec 3 visites à la recette des finances pour une information censée exister sur le système informatique de cette dernière. Alors de deux choses l'une : ou bien le système informatique est obsolète faisant que l'information n'est pas disponible d'un département à un autre, ou bien notre administration, pour de sombres raisons, n'arrive pas à se défaire de cet archaïsme procédural exigeant encore et toujours du papier comme preuve matérielle de paiement. Force est de constater que les deux hypothèses sont hélas cumulatives. Le comble, c'est qu'en interpellant à ce sujet les grands patrons de l'administration, ceux-ci se prévalent de toutes les excuses possibles et imaginaires pour vous convaincre que c'est ainsi et que c'est la loi. Ils oublient juste que la loi, ce sont des femmes et des hommes qui l'ont faite et c'est par des femmes et des hommes qu'elle changera et non par une force occulte.

Paradoxalement, tout n'est pas noir. Il existe bel et bien une autre Tunisie libérée de ses chaînes et qui se digitalise à souhait, malgré les entraves réglementaires. Il suffit de jeter un coup d'œil sur les multiples sociétés tunisiennes utilisant les techniques de l'industrie 4.0, des ERP, des outils d'aide à la production, du Kaizen, et de la biométrie. Ou mieux encore, que l'on s'adresse à Facebook, à Airbus, à Biontech, l'inventeur du vaccin Covid, aux diverses institutions de E-Gouvernement au Moyen-Orient, aux bourses des valeurs à travers le monde, j'en passe et des meilleures et elles vous diront toutes que "des sociétés et des compétences tunisiennes les accompagnent dans la mise en place et l'exécution de leurs stratégies technologiques futures".

Pour l'administration tunisienne, le constat est indéniable. Elle est à des années lumière de l'esprit moderne de la digitalisation des services rendus aux citoyens car la digitalisation n'est pas un bouton virtuel sur lequel on clique pour avoir un document mais toute une culture, un savoir-faire et une veille technologique que les responsables en charge du système de gouvernance refusent d'adopter. Moyens d'identification biométrique, cloud et systèmes informatiques intelligents demandent, exigent même, une autre génération de décideurs conscients et ouverts aux changements et évolutions technologiques de ce monde.

Depuis la fameuse année 2000 où le pire était annoncé, des dizaines de déclarations des divers gouvernements concernant la digitalisation se sont succédé mais en Afrique, hormis le Kenya, le Rwanda, l'Afrique du Sud et l'Éthiopie, pour ne citer que ces quelques pays où la digitalisation des services publics a connu un essor monumental, les réalisations pour les autres, dont la Tunisie, tardent à venir.

Les dommages de la non-digitalisation dans notre pays se chiffrent en milliards de Dinars en jours de travail annuels que les citoyens, véritables producteurs de richesse, perdent en accomplissant des démarches administratives. Quel que soit le coût de la mise en place du E-Gouvernement, le gain n'en sera que plus important et plus bénéfique pour notre économie. Plus les pays du monde avancent pleinement dans le 21e siècle à la vitesse de la lumière dans la digitalisation de leurs services publics et l'amélioration de leur vie quotidienne, plus la Tunisie s'enfoncera dans un retard exponentiel, risquant hélas d'être irréversible car menaçant réellement notre souveraineté et notre appartenance à un monde en métamorphose continue. Le manque de réactivité de la part de nos responsables de cette situation relève du "crime économique" mettant en danger notre pays appelé à disparaître des radars des investissements internationaux.

Si le gouvernement ne procède pas à l'évaluation du coût du retard dans la mise en place de la digitalisation totale des services publics, s'il n'alloue pas en urgence le budget adéquat à cette digitalisation, un service après l'autre par ordre de priorité sur une période de temps maximale de 5 années, s'il ne s'engage pas dans cette voie salvatrice, alors il ne nous restera que les yeux pour pleurer. Le Tunisien a droit au bonheur. Pourquoi l'en priver ? Ce plan d'action est tout à fait réalisable. Faisons appel aux compétences tunisiennes ayant déjà fait leurs preuves sur le marché international. Le cadre d'exécution sera des consultations restreintes, rapides et efficaces. Entre une Tunisie dynamique, innovante et ouverte à l'international pour laquelle "le temps c'est de l'argent", et une Tunisie où le "pas de soucis, nous avons pleinement le temps" lui colle à la peau, le choix est vite fait.

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