Ile Maurice: Yankee, leader de Joker Kartel - "En anglais, des chansons avec le même genre de texte peuvent passer mais les nôtres, non ?"

interview

L'une des sensations musicales locales du moment est le groupe Joker Kartel et son leader Yannick Lafleur (Yankee). "Ratatata". "Platinium Immortel". "Akoz Nu 1 Zanfant Dan Ghetto". Vous avez sans doute déjà entendu leurs créations quelque part. Plus de 10 millions de vues combinées sur YouTube. Des milliers de reprise sur TikTok. L'ampleur est phénoménale. Ce jeune de 19 ans (à droite sur la photo), pétri de talents, nous livre, en compagnie de son manager Jimmy T, son sentiment sur plusieurs sujets. L'exposition de la génération actuelle à une musique jugée taboue par certains anciens, l'attente autour de lui, ses aspirations, l'actualité le concernant, ainsi que la guéguerre avec le rival, Armada.

Aviez-vous imaginé un tel engouement autour de votre personne et de Joker Kartel à vos débuts ? D'autant plus qu'à 19 ans seulement, le meilleur, du moins si vous maintenez le cap, est à venir...

Yannick Lafleur (YL): Je ne me mets pas à un niveau de star non plus. Je vis normalement. Je suis presque toujours vêtu de mon bermuda et mes savates, en train de déambuler à Flacq. Toutefois, on me dit souvent que je pense comme une personne plus âgée. Et pour en revenir à votre question, je ne pensais pas que le groupe Joker Kartel et moi-même, Yankee, allions connaître un tel succès. Et c'est tout aussi vrai qu'à 19 ans, il faut faire attention à ne pas laisser le succès nous monter à la tête. Mes parents et mon entourage veillent sur cela. Mo bizin komens zafer la par remersie zot. Mersi zot tou ! Mersi oci a bann fans ki donn Joker Kartel bel couraz.

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Et la vie de star ? Est-ce facile de passer incognito même en bermuda et savates ?

YL : Non (Rires). Mem dan Rodrig bann la konn mwa ! Pe galoup deryer mwa (éclats de rires). Je dois dire que mon succès a pris de l'ampleur lors de ces cinq derniers mois. Monn nek tir foto partou. Je ne me plains pas hein. Je suis reconnaissant.

Jimmy T (JT): Je constate que le succès du groupe et de Yankee a décuplé lors des cinq derniers mois. Sans doute y a-t-il eu l'appréciation des fans par rapport à certains récents morceaux. On n'a pas mal de problème en soirée à cause de l'attente. On perd beaucoup de temps juste pour les séances photos. Bon... c'est tout à fait normal de faire plaisir aux fans mais des fois on doit se rendre ailleurs et respecter les horaires.

Mesurez-vous l'attente des fans à votre propos ? Car, à ce jour, vous, Joker Cartel, le groupe Armada, ainsi que quelques membres de Lyon Squad, dont vous faisiez partie à une époque Yannick, êtes la référence musicale d'une génération de Mauriciens. Vos chansons sont jouées à chaque occasion. Vos chansons sont également jouées dans les banlieues huppées. Où des gens de toutes religions et couches sociales confondues s'en donnent à cœur joie sur "Ratatata" et autre "Platinium Immortel"...

YL : Notre musique est, en effet, appréciée par un éventail de personnes. De différentes communautés, de classes sociales et de tous âges. Kot pase nu tann nu son pe bate. Sa fer plezir! Je pense que nous avons apporté une évolution à la musique locale qui correspond au goût des gens d'aujourd'hui. Je parle pour moi. (Yankee se met debout et marche). Blakkayo ek Brino inn fer enn pa. Moi ek mo groupe nu pe fer enn lot. Demain un autre jeune va apporter sa pierre à l'édifice. Et c'est tant mieux.

Comprenez-vous toutefois que certaines personnes puissent ne pas aimer votre musique eu égard à certains stéréotypes rapportés dans vos clips ou encore des paroles jugées trop vulgaires ?

(Il prend son temps). On ne pourra pas faire à ce que les gens de 2022 vivent en 1990. Tout a changé. L'évolution de la musique n'a pas eu lieu qu'à l'île Maurice. Linn sanze deor oci. C'est ça que les jeunes demandent aujourd'hui. Il s'agit d'un produit demandé et qui se vend. La preuve? Ma notoriété actuelle!

JT : Nu pa pu kav amen mem zafer ki avan ! On peut prendre en exemple ce que Blakkayo ou Bruno Raya ont apporté mais on ne peut pas faire la même chose.

YF : Mo dakor ena paren pa contan nu. Mais saviez-vous que dans la chanson Platinium Immortel je dis 'sakouy to de T'. Je parle d'une moto. C'est vrai que je joue sur les mots pour apporter une connotation assez subjective mais c'est ce qui se fait à l'international. Pourquoi certaines chansons en anglais avec le même genre de texte peuvent passer et nous non? Tout a changé ! Notre génération n'est plus la même qu'avant. Mes textes reflètent ce que les jeunes d'aujourd'hui sont. Insinuer le contraire serait hypocrite. Les jeunes d'aujourd'hui ont, qu'on le veuille ou non, une ouverture plus précoce au danger de ce monde.

"Les récents soucis d'armada n'ont rien à voir avec nous. On a promis à quelqu'un que chacun se tiendrait tranquille. "mo pu tenir parol."

Il faut quand même souligner que vos "lyrics" ont pris une autre tournure depuis "Akoz Nu 1 Zanfant Dan Ghetto". Dont les paroles sont plus engagées. Là, vous semblez plutôt imiter la concurrence... Une concurrence qui fait tout aussi fureur mais qui est connue pour sa vulgarité...

A une époque il n'y avait qu'Armada. Je ne vais pas commenter leur travail. Par contre, je peux dire que nous avons apporté un style différent. Avec des textes plus travaillés. On dit les choses comme elles sont mais de manière plus mesurée. Je suis conscient que j'ai une responsabilité, tout comme le groupe le sait tout aussi bien.

Vous êtes-vous inspiré d'Armada pour faire votre musique ? Koz fran!

YL : Non ! Mais je dois dire qu'on les écoute. Mo pena lorgey ar personn. Killabon a fait une belle chanson. Mem li enn sante kont nu (Rires). Li bon son la ! Nous sommes en guerre mais donnons-leur le crédit pour le travail accompli jusqu'ici.

JT: Le style de Joker Kartel ne vient pas d'Armada. Le précurseur est Lyon Squad. Peut-être aussi Bigg Frankii.

Donc, il y a bel et bien un problème en ce moment avec Armada ?

YL : Les récents soucis d'Armada n'ont rien à voir avec nous. On a promis à quelqu'un que chacun se tiendrait tranquille. Mo pu tenir parol.

Revenons à vos paroles. Ne faudrait-il pas continuer sur la même voie comme lors de vos débuts avec "Akoz Nu 1 Zanfant Dan Ghetto" et ainsi vous démarquer de vos concurrents qui ne passent pas sur toutes les radios? Etre plus 'tout public' ou dénoncer ce qui ne va pas dans notre société?

JT : La liberté d'expression à Maurice a ses limites.

YL : Nu ti tir enn sante appel Dominer. On parlait de plusieurs choses, notamment de l'Etat...

JT : Nu pann fer enn sante kont letat mais on a cité l'Etat. On a dû l'enlever des réseaux. Pa tou zafer bon pu dir. Donc, on fait ce qu'on a à faire, avec nos moyens, et avec, surtout, nos limites. Nous ne sommes pas des sauveurs. Le messie. On doit pouvoir vivre de notre passion et mettre à manger sur la table. En demander plus à des gosses de 19 ans, serait un peu... trop. Pour ce qui est d'être plus 'tout public', cette discussion a déjà été entamée. Nu p travay lor la !

Est-ce facile de vivre de la musique en 2022 ? Est-ce facile aussi de faire vivre votre manager et les autres membres du groupe qui sont quand même à 11 !?

JT : Pu ena 12 byento ! Ecoutez, on s'adapte. Pour être franc, j'aime ce que je fais. Je m'occupe de l'arrière-scène du groupe, tout en m'assurant qu'on ait de quoi être bien. Moi et tout le groupe. Ainsi que les autres collaborateurs. Eh oui, j'arrive à vivre de mon métier de manager, même si je fais autre chose à côté. Pann fer sa pu kas me pu lamur lamisik. Aster kan pe arrive, bizin fer bann zafer byen.

YL : Ena kas dan lamisik. Cela dit, il faut savoir bien planifier les choses. Il faut surtout faire de bons sons (Rires).

Est-ce facile de travailler avec autant de gens ?

YL : Sa enn mari kestion (Rires). Pa ti fasil ditou. Saken ena so manier. So karakter. Cela s'est arrangé avec le temps et la discipline. Jockey Event est différent de Joker Kartel. Kartel est réservé aux chanteurs alors qu'Event a en son sein des DJ, l'équipe de sécurité, la logistique, le transport, les arrangeurs et ceux qui s'occupent du produit multimédia.

Une question à Yankee. Penses-tu à une carrière en solo ? Car, au bout du compte, diviser un cachet en 11, voire plus, va tôt ou tard poser problème...

YL : Ce n'est pas à l'agenda du jour. Mo le mo kamouad viv parey kuma mwa. J'ai eu ce genre de soucis avec mon ancienne collaboration. Mo pa ti kontent sa. D'où la raison pour laquelle je suis parti. Je me suis dit, à l'époque, que je devais attendre mon tour. J'ai été patient. Je ne vais pas faire ce qu'on m'a fait aux autres. Tous repartent avec un cachet. Personn pa sant kado.

JT : Au début c'était dur. On ne pouvait même pas se permettre un salaire. On devait investir dans le studio et autres projets. Nunn komens fer kas apre enn bon momen. On a aussi vu qu'on devait augmenter nos prix pour vivre et plus survivre. Pu saken gagn enn la vi. Une seule soirée le samedi n'est pas suffisante. On doit en faire trois au minimum.

Dernière question. Que pensez-vous avoir besoin pour passer à l'étape suivante ?

Un local. Un endroit où on pourra répéter. On ne demande pas beaucoup. Notre label passe par l'acquisition d'un emplacement.

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