Kmar Bendana est professeure émérite d'Histoire contemporaine à l'Université de La Manouba et chercheure associée à l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (Irmc), mais elle est surtout l'une des "têtes pensantes" d'Insaniyyat Tunis 2022. En plein bilan du Forum, elle se livre au Magazine La Presse de Tunisie...
1/ Quels étaient les objectifs principaux du Forum Insaniyyat Tunis 2022 ?
A travers ce forum, nous voulions :
- Mettre en valeur les sciences humaines et sociales, négligées par les politiques publiques et méprisées dans les choix d'études et de carrières, suite à des options prises depuis les années 1990.-Expérimenter les forces (encore) vives de l'université publique tunisienne, dépréciées par les opinions. L'hémorragie de cadres enseignants et de diplômés témoigne des maux de l'institution universitaire qui a besoin de réformes structurelles, dans le recrutement comme dans les méthodes d'enseignement et de recherche. -Attirer en Tunisie une communauté internationale curieuse de voir la situation du pays et les conditions de l'université et d'en discuter avec les Tunisiens et les Tunisiennes. -Décloisonner les démarches et renouveler les méthodes des sciences humaines et sociales en les ouvrant davantage aux arts, aux littératures et au plurilinguisme.
2/ Quel bilan après la clôture?
La première satisfaction est d'avoir vu agir solidairement toutes les catégories de personnes qui font l'université : les enseignantes, les étudiantes, les employées de l'administration, les ouvrières, les techniciens, les transporteurs, les commerçantes. Le savoir a circulé sous plusieurs formes et dans différents lieux : nous avons discuté des idées, présenté des recherches, montré des performances, exposé des objets d'art et d'artisanat, fait connaître nos seniors dans différents domaines, rencontré des spécialistes inconnus, vu des films, écouté des concerts... Les activités suivies "à la carte" selon les intérêts et curiosités ont fait germer des idées, suscité des images, inspiré des projets qui accoucheront d'autres opportunités et permettront de poursuivre le travail ensemble.
3/ Quel avenir pour Insaniyyat ?
L'avenir d'Insaniyyat Tunis 2022 s'inscrit dans le besoin de faire face aux crises actuelles en mettant en commun les connaissances sur nos sociétés. On ressent partout l'urgence de comparer nos façons de vivre et de penser, d'analyser nos héritages, nos divergences et nos blocages. Or, la complexité des terrains émerge des recherches des psychologues, sociologues, philosophes, anthropologues, historiens, économistes, juristes, linguistes, urbanistes... Les travaux des artistes, des écrivains et des médias reflètent ressemblances et différences. Les spécialistes des humanités ont un rôle à jouer et une responsabilité pour orienter les politiques, éclairer des décisions et contribuer à sculpter les approches concrètes. Insaniyyat Tunis 2022 ne peut que déboucher sur de nouvelles occasions de recharger nos batteries humaines et professionnelles. L'idéal serait que le prochain rendez-vous ait lieu au Maghreb. Toutes les participantes en parlent et le souhaitent. On verra ce qui sortira des concertations, des conditions de travail et des possibilités offertes.
