Tunisie: Migration clandestine - Les dessous d'un trafic macabre

Plage de Zarzis en Tunisie
17 Octobre 2022

Le problème épineux de la migration clandestine est, toujours, abordé sous son aspect strictement humanitaire. On occulte, délibérément ou non, d'autres aspects qui nous paraissent de loin parmi les plus importants. En effet, le phénomène est d'une complexité tel qu'il y a de gros risques de tomber dans la propagande politique ou l'exploitation de la misère des autres à des fins inavouées.

La migration n'est pas un fait nouveau. Son évolution rapide au cours de cette décennie s'explique par plusieurs facteurs. Les bouleversements socioéconomiques de notre pays y sont pour beaucoup. Ajoutons-y l'émergence d'une classe politique liée à des formations mafieuses exerçant dans les différents trafics et contrebandes. La circulation de l'argent sale n'a fait qu'empirer les choses.

La mafia aux premières loges

Alors, le désir de s'enrichir et d'amasser des fortunes sans passer par les voies légales s'est renforcé par le biais de réseaux de plus en plus structurés. Aussitôt, le créneau de la migration s'est présenté comme la voie la plus simple et la plus rapide pour élargir les activités mafieuses.

Il y a des milliers et des milliers de migrants tunisiens qui ont traversé la Méditerranée pour rejoindre l'autre rive (Italie et, ensuite, l'Europe). La plus grande vague a été enregistrée en 2011 lorsque 25.000 Tunisiens se sont rués sur les côtes italiennes. Depuis, le flux n'a pas cessé. Des organisations liées au banditisme et à la mafia se sont emparées du filon pour en faire une "entreprise" florissante. A noter que ce travail, en apparence illégal, est bien orchestré aussi bien de l'intérieur que de l'extérieur. Les passeurs tunisiens ne travaillent pas seuls.

%

Des enquêtes le prouvent. Ils sont de connivence avec des réseaux de trafic d'êtres humains. La population de migrants se diversifie de jour en jour. Les catégories sociales qui optent pour les traversées clandestines ne sont plus que des jeunes (comme lors de la vague enregistrée au cours de 2011 et 2012). Il y a des jeunes et des moins jeunes. Chacun veut tenter sa chance et rejoindre un pays où ils espèrent trouver le succès, la richesse et une vie de rêve !

C'est du moins ce qu'on leur dit. Tout leur avenir changera et ils auront tout ce qu'ils désirent. C'est pourquoi des familles entières n'hésitent pas à sacrifier leur argent pour s'embarquer vers l'inconnu sans la moindre garantie. Le pire c'est que tout le monde est conscient des risques. Mais, en pesant le pour et le contre, c'est le côté positif qui l'emporte.

Des milliers de dinars sont remis à des passeurs qui ont pignon sur rue et vendent des rêves à tout venant. Les dizaines de clandestins qui parviennent à traverser la mer sont généralement "réceptionnés" par les complices des passeurs (des Tunisiens déjà en place) ou interceptés par la police italienne.

La responsabilité des familles

Ce feuilleton dramatique va se poursuivre sans relâche malgré les vaines tentatives des autorités tunisiennes pour le juguler. Sur ce point, il faut noter que le travail de la marine tunisienne, des garde-côtes, de la garde nationale et de toutes les structures officielles coûtent très cher à la communauté nationale. Personne ne parle du budget consacré aux efforts de protection du littoral, des opérations de sauvetage, de recherche de disparus par la mobilisation de dizaines d'agents, de bateaux, d'hélicoptères, les actes médicaux et sanitaires comme les analyses ADN etc. C'est de l'argent qui aurait pu être dépensé ailleurs.

A vrai dire, le drame des familles des disparus de Zarzis est on ne peut plus pénible à supporter. Pourtant, ne fallait-il pas user de sagesse et de prévoyance ? Beaucoup de familles, dans leur souffrance, s'en prennent à l'Etat et au gouvernement. Ils leur reprochent leur incapacité à freiner ces flux incessants de migration clandestine.

Cette réaction est compréhensible. Toutefois, force est de remarquer que même des pays mieux équipés que nous ne sont pas parvenus à mettre fin à ce phénomène. Donc, ce serait légitime de pointer du doigt une autorité politique chaque fois qu'il y a un tel incident. Force, aussi, est d'affirmer que de nombreuses familles y ont leur part de responsabilité. Elles sont, justement, plus impliquées qu'auparavant dans l'encouragement de leurs enfants à tenter cette aventure périlleuse.

Mais, au fait, pourquoi cet engouement irrépressible pour la migration ? Les explications détaillées que nous donnent certains experts suffisent-elles à nous convaincre ? Y a-t-il d'autres enjeux qu'on veut cacher aux Tunisiens ? Certains cherchent-ils à exploiter le phénomène à des fins inavouées comme chacun de nous a tendance à le croire ?

Certes, on ne cesse de nous ressasser ces idées sur la misère des classes sociales qui choisissent de s'expatrier par ces voies illégales. Mais la réalité est venue les contredire. Dans ces vagues de nouveaux migrants, on trouve des gens qui ont un métier et qui peuvent mener une vie normale dans leur pays. D'autres sont capables de remettre plusieurs millions de millimes aux passeurs pour atteindre l'autre rive.

Refoulement et tabous

Il y a, forcément, un peu de vrai dans les argumentaires étalés par ces organisations qui se sont donné le monopole de la défense des "pauvres" et des "marginalisés". Mais ces organisations omettent de façon délibérée certains aspects qui s'avèrent décisifs. La volonté de quitter ce pays, notamment, par la plupart des jeunes serait due, à notre avis, à des questions toujours occultées par nos spécialistes et nos experts.

Les jeunes ne se sentent pas libres. Ils sont prisonniers d'un système traditionnel qui les confine dans un refoulement insupportable. D'un côté, ils n'ont pas les moyens de se marier et, de plus, ils ne peuvent pas passer outre tous les tabous qui se dressent devant eux. En franchissant les frontières, ils espèrent trouver la pleine jouissance de leurs droits. Ce sont de tels aspects liés à la psychologie des aspirants à la migration qui sont, généralement, occultés (soit de manière intentionnelle, soit par pudeur, soit par ignorance). Mais les faits sont là et il faut les prendre en compte. Ce qui attire ces milliers de jeunes ce n'est pas essentiellement la recherche d'un emploi, mais la recherche d'une vie meilleure où la liberté sous toutes ses formes leur sera accordée (ou c'est du moins ce qu'ils pensent).

Toujours est-il que l'aspect exploitation et commerce des êtres humains est toujours présent. Des centaines de ces migrants tombent dans les mains des réseaux de trafics ou sont exploités dans des travaux agricoles ou dans la restauration. Paradoxalement, ces Tunisiens acceptent de travailler dans des conditions qu'ils refusent dans leur pays. En effet, chez nous, les propriétaires agricoles, par exemple, peinent à trouver une main-d'œuvre locale même avec des salaires tout à fait raisonnables. Ils recourent, alors et de plus en plus, à une main-d'œuvre disponible grâce aux Africains (qui, eux aussi, sont des migrants chez nous).

Il est temps pour nous de prendre ce phénomène plus au sérieux et de l'aborder, dorénavant, avec plus de franchise et d'honnêteté. Que ces organisations cessent de nous bombarder de chiffres macabres sur les suicides des jeunes, des disparus en mer, des misérables et des marginalisés. Qu'on nous dise la vérité. Quels objectifs ces organisations poursuivent-elles ? Où veulent-elles nous conduire en publiant ces "informations fracassantes" ? Si, au moins, on pouvait nous indiquer la source de toutes ces données et chiffres. Cela donnerait plus de crédibilité à leurs discours et déclarations.

Sans pour autant être contre le travail des organisations non gouvernementales, chaque Tunisien est en droit de demander des comptes à tous ceux qui se "dévouent" pour une cause noble. Mais, en retour, il exige la plus grande transparence. Pourquoi personne ne connaît l'origine du financement de ces milliers d'associations qui évoluent dans l'espace sociétal tunisien ? Qu'on nous donne, au moins, des miettes d'informations sur leur financement, leur obédience, leurs objectifs, etc.

Le flou ne laisse que de gros doutes et suscite l'appréhension.

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.