Ile Maurice: Rapport de l'affaire Kistnen - La fuite du document principale préoccupation de l'Attorney General

Le commissaire de police sera "advised", on ne sait par qui, de conduire une enquête sur la fuite du document et la cheffe juge sera "consultée" en vue de saisir la "Judicial and Legal Service Commission" pour enquêter sur des "Judicial Officers". L'"Attorney General" a lancé la première salve après la diffusion du rapport de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath. Le DPP a contre-attaqué.

Ce n'est pas le contenu du rapport ayant scandalisé la population qui fera l'objet d'enquêtes mais la façon dont il est parvenu dans le domaine public. Dimanche, Me Rama Valayden se demandait si c'était plus important de savoir qui a fuité le rapport de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath ou de poursuivre ceux qui y sont mis à l'index. Il est certain que les conclusions de l'enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen sont de loin plus importantes et d'intérêt public. Il est aussi certain que la négligence et même le dédain affichés par les policiers en charge de l'enquête sur la mort de l'ancien agent du MSM (voir l'express d'hier) n'allaient pas permettre au public de savoir, du moins pendant un bon moment, ce qu'avait recommandé la magistrate. Ni de voir les coupables traînés en justice.

La magistrate, qui a été transférée à la cour de Bambous, semble être désormais dans le viseur de l'Attorney General. Celui-ci a visiblement changé d'avis depuis sa déclaration lors de la conférence de presse politique de samedi. Maneesh Gobin y ciblait et la magistrate et le Directeur des poursuites publiques (DPP) en se concentrant sur Me Satyajit Boolell qu'il a cité nommément. Cependant, dans le communiqué émis dimanche, l'Attorney General aurait réalisé, sans doute après un examen plus attentif du document - ce qu'il n'aurait pas fait avant sa déclaration intempestive de samedi -, qu'il manquait le tampon de la cour et la signature de la magistrate. Ce ne pouvait donc être que du côté du DPP que la fuite aurait été organisée car ce dernier devait recevoir le document officiel, c'est-à-dire avec le sceau et la signature. Sa sortie contre "Satyajit Boolell" aurait donc été une erreur. Venant d'un Attorney General, avocat, ancien magistrat et lecturer, n'estce pas grave ?

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Pour Me Milan Meetarbhan, "la réaction prompte et musclée du MSM à la fuite alléguée du rapport d'enquête contraste singulièrement avec la réaction timorée, voire l'absence de réaction, à l'assassinat non-élucidé de leur activiste et aux allégations de corruption ou du non-respect du code électoral". D'autre part, le constitutionaliste note que Maneesh Gobin a évoqué dans le même souffle une enquête au pénal et ensuite une entorse aux règles d'éthique. "Est-ce qu'on peut s'attendre à ce qu'un ministre ait des 'consultations' avec le président de la Public Service Commission avant de référer à la commission le non-respect de règles d'éthique par un fonctionnaire de son ministère, sur les mesures que la commission ought to take", de surcroît alors qu'une enquête pénale portant sur les mêmes faits est en cours ?

Or, dans ce cas, alors qu'il s'agit d'une Service Commission présidée par la cheffe juge, le politicien se propose d'avoir des "consultations" avec elle sur les mesures que la Commission "ought to take". "Si le ministre, qui, aux termes de la Constitution, est le principal conseiller juridique du gouvernement, estime qu'il y a lieu d'enquêter sur une infraction pénale, encore faut-il établir quelle disposition de la loi a été enfreinte... "

Pour Rajen Narsinghen, professeur de droit à l'université de Maurice, "Maneesh Gobin oublie le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs et les sections 1, 76, 85 et 86 de la Constitution garantissant l'indépendance du judiciaire et de la Judicial and Legal Service Commission (JLSC). Personne n'a le droit de s'y ingérer, ni le Premier ministre ni le président de la République et encore moins l'Attorney General qui est un membre de l'exécutif. C'est seulement le Bar Council et la Cour suprême qui peuvent sanctionner les avocats ou officiers du parquet ou du DPP et selon les paramètres de la loi. La JLSC doit rester complètement indépendante. C'est extrêmement dangereux pour un membre de l'exécutif de s'immiscer ou même de tenter d'influencer la cheffe juge ou les membres de la JLSC. La cheffe juge doit impérativement rappeler ce ministre à l'ordre."

Sur le fond de l'affaire, ils sont nombreux à se demander si ce n'est pas en raison des conclusions accablantes de la magistrate contre le ministre et par ricochet contre tout le gouvernement que Maneesh Gobin a dégainé ses armes lourdes, d'abord dans un communiqué, puis en conférence de presse convoquée en urgence, hier.

Maneesh Gobin esquive

Après ses déclarations fracassantes et choquantes lors de la conférence de presse du MSM samedi, et après une tentative de rectification dans son communiqué de dimanche, Maneesh Gobin retentait-il une explication hier matin face, seul, à la presse ? Ou voulait-il, ce faisant, allumer un contre-feu pour tenter d'éteindre celui provoqué par la publication du rapport de l'enquête judiciaire sur la mort de Kistnen ? En tout cas, son discours d'hier a encore choqué. "Sans précédent !" a-t-il martelé. Parlait-il du contenu du rapport ? Non, l'Attorney General se référait à la fuite du document. Et pourquoi ? Ses explications : des "dégâts" seront causés par cette fuite lors du procès des assassins de Kistnen, car ces assassins prendront, prédit-il, un point de défense déterminant : "Trial by the press" en raison de cette fuite du rapport.

Cependant, il n'a pas voulu commenter le rapport ni répondre sur le fond aux questions des journalistes. Il s'est mouillé quand même un petit peu en avançant que l'enquête de la police et de l'ICAC "est arrivée loin". C'est tout ce qu'il sait car pour les autres questions, il a répondu invariablement "je ne sais pas" comme lorsqu'on lui a demandé s'il se référait à Me Azam Neerooa lorsqu'il avait dit samedi qu'il soupçonnait un avocat et ancien candidat aux élections d'être responsable de cette fuite (NdlR, Azam Neerooa faisait partie du Comité d'Action Mauricien et était candidat au n°3, Port-Louis Maritime -Port- Louis Est, lors des élections générales de 2000). Il a renvoyé le journaliste à ce qu'il avait dit samedi, c'est-à-dire à ses accusations vagues mais combien significatives.

L'Attorney General, qui disait parler comme tel hier, a donc renvoyé la presse à la déclaration du politicien du samedi. Le contenu du rapport est-il vrai ou faux selon lui ? lui demande un journaliste. Maneesh Gobin esquive et parle d'autre chose : le gouvernement n'interfère jamais dans les enquêtes ; le gouvernement tient cependant à ce que les investigations aboutissent dans l'affaire Kistnen et aussi dans "les autres affaires". Lesquelles ? Il ne le dit pas. Et se posent des questions sur le timing de cette divulgation "à la veille de la rentrée parlementaire". Il justifie aussi pourquoi le rapport de la commission d'enquête sur Ameenah Gurib-Fakim avait lui été commenté en long et en large par le Premier ministre : il a été rendu public officiellement.

Réponse cinglante du DPP: "Je ne me laisserai pas intimider"

Journée riche en rebondissements, hier. Après la conférence de presse de Maneesh Gobin, c'était au tour du DPP d'émettre un communiqué. Il s'y insurge fortement contre toute insinuation visant à faire croire qu'un membre de son bureau pourrait avoir commis un délit (voulant dire probablement qu'il aurait fuité le rapport à TéléPlus) et ainsi devrait être l'objet d'une enquête policière et de mesures disciplinaires. Le communiqué rappelle qu'il avait transmis, le 26 janvier 2022, les recommandations de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath au commissaire de police pour une enquête approfondie.

Le bureau du DPP déclare ne pas vouloir commenter les diverses manières éventuelles par lesquelles le rapport aurait pu être divulgué. Mais il a tenu à préciser que c'est lui le DPP qui avait demandé une enquête judiciaire sur cette affaire. Plus intéressant encore, le bureau du DPP souligne qu'il détient, de toute façon, la prérogative de décider si le rapport doit être rendu public ou non en prenant comme seule considération l'intérêt public. Il rappelle d'ailleurs qu'il a déjà rendu public le rapport d'enquête judiciaire suivant les inondations ayant causé la mort de dix personnes. Le bureau du DPP voulait-il ainsi faire savoir à qui de droit qu'il pourra décider de rendre public le rapport s'il juge que c'est dans l'intérêt public de le faire ?

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