Ile Maurice: Bradley Vincent - "La décision du COM est un dangereux précédent pour le sport mauricien"

interview

Suspendu pour trois ans par le Comité olympique mauricien (COM), Bradley Vincent voudrait que l'on sache la vérité sur ce qui s'est passé aux Jeux du Commonwealth. Sanctionné le 12 octobre pour avoir manqué la cérémonie de lever du drapeau, le 27 juillet, à Birmingham, et d'avoir tenu des propos "insultants" à l'encontre d'un membre de la Commonwealth Games Association Mauritius le 8 août, le multiple médaillé d'or aux JIOI 2015 et 2019 estime que la décision du COM est totalement arbitraire et n'augure rien de bon pour les athlètes mauriciens.

Quatre jours après le verdict du COM, comment vous sentez-vous ?

Je suis définitivement déçu d'avoir été sanctionné pour trois ans pour les charges que le Comité olympique avait contre moi. Je suis aussi choqué. Tous ceux qui sont dans le sport savent ce que signifie d'être sanctionné pour autant de temps. Je considère que c'est un abus de pouvoir. J'ai l'impression que c'est dirigé personnellement contre moi. Je suis dégoûté que les membres du comité en soient arrivés là.

Que reprochez-vous au COM ?

On ne sait pas sur quoi le COM s'est basé pour me sanctionner pour trois ans. Pourquoi trois ans, pourquoi pas plus ? Quelle procédure a-t-il suivi ? Quels critères ont-ils observés ? Si on lit la sanction complètement, je ne pourrai pas seulement participer aux compétitions tombant sous l'égide du COM. Je ne pourrai tout simplement pas y assister en aucune façon. Dois-je comprendre que je ne pourrais le faire en simple spectateur (NdlR : voir extrait de la décision en hors-texte). Ce n'est pas clair. En tout cas, c'est comme ça que je le comprends.

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Considérez-vous que la décision du COM est arbitraire ?

Cette décision du COM va au-delà d'une simple sanction sportive. D'une part, je me sens lésé dans mes droits fondamentaux. D'autre part, cette décision du COM et la manière dont elle est appliquée est un dangereux précédent pour le sport mauricien. Aucun athlète n'est à l'abri. Si l'on accepte la décision du COM telle qu'elle est formulée, le Comité olympique mauricien semble avoir plus de pouvoirs que le Comité international olympique.

Certains peuvent-ils vous reprocher d'avoir été antipatriotique en manquant la cérémonie de lever du drapeau ?

J'ai représenté mon pays pendant neuf ans depuis les Mondiaux de Barcelone en 2013. Entre autres compétitions, j'ai nagé pour Maurice aux Olympiades de Rio en 2016. Cela m'a pris neuf ans pour devenir puis rester athlète de haut niveau. Etre athlète de haut niveau c'est accepter de faire énormément de sacrifices personnels pour apporter de la joie au public, lequel veut voir les rêves se réaliser. Dans chaque médaille que j'ai gagnée, je vois le visage de beaucoup de personnes, c'est-à-dire les coaches, les nageurs, ma famille et les supporters. Certes, j'ai nagé pour moi. Mais quand je monte sur le podium, j'offre aussi chaque victoire à mon pays. Comme mes autres camarades nageurs, je n'ai jamais voulu manquer de respect à ma patrie. Bien au contraire.

Vous êtes accusé, comme vos camarades, d'avoir délibérément raté la cérémonie de lever du drapeau le 27 juillet. Contestez-vous cette accusation ?

Normalement nos entraînements duraient de 8 heurers à 10h30 dans la matinée. Au 27 juillet, vers 8h30, au début de nos sessions d'entraînement au Sandwell Aquatics Centre (qui est à 20 minutes du village des Jeux), Steve Haupt (entraîneur qui accompagnait les nageurs à Birmingham) nous a annoncé qu'il nous fallait nous rendre à la cérémonie de lever du drapeau à 11 heures. Il nous a aussi dit qu'il n'allait pas pouvoir nous rejoindre parce qu'il devait participer à une réunion technique. Il nous a conseillé de prendre, plus tôt, le bus qui devait nous y amener.

Nous avons terminé nos entraînements à 10 heures plutôt que 10h30 afin d'avoir le bus de 10h25 pour nous rendre à la cérémonie de lever du drapeau au Birghingham University Games Village. Mais au lieu d'arriver à 10h25, le bus est arrivé à 10h45. A 10h45 on n'était donc pas au Village des Jeux. Mais au moment de prendre le bus, celui-ci a été pris dans les embouteillages. Au lieu d'arriver à 11 heures, on est arrivé au Security Gate à 11h20 où nous sommes passés par un contrôle de routine. On est arrivé au lieu de la Flag Ceremony vers 11h30. L'hymne national mauricien tirait à sa fin. Apparemment, il y avait une réunion après cette cérémonie mais nous n'en avions pas été informés. Mais un des membres du Comité olympique a dit qu'il nous avait vus au village des Jeux avant que la cérémonie ne commence, c'est-à-dire avant 11 heures. Ce qui est inexact.

Avez-vous des preuves pour prouver le contraire ?

Certes, la Commonwealth Games Association Mauritius a dit qu'on était au village avant 11 heures et se servira de cela pour démontrer que nous n'avions pas pris nos engagements pour arriver à l'heure. Histoire de dire que nous étions négligents. Or, nous étions dans le bus à 10h45, nous n'étions pas au Village des Jeux. Nous en avons eu les preuves grâce aux caméras de surveillance montrant notre heure d'arrivée au Securtity Gate vers 11h20.

Est-ce que les membres de la Commonwealth Games Association Mauritius ont parlé directement aux nageurs ?

Aucun des membres de la délégation de la Commonwealth Games Association Mauritius n'est venu s'enquérir, le 27 juillet, auprès de nous, pour savoir ce qui nous était arrivé. Ils en avaient eu l'opportunité. Les nageurs ont mangé auprès d'eux mais aucune question ne leur avait été posée par rapport à cette affaire. Le 28 juillet, jour de l'ouverture des Jeux, Steve Haupt a été approché par un membre de la Commonwealth Games Association Mauritius qui lui a dit qu'il avait vu trois des nageurs, sans moi, au village, avant la Flag Ceremony et donc avant 11 heures. Steve Haupt lui a répondu que c'était impossible, affirmant que je lui avais envoyé un message, à 11h36, disant que nous n'étions pas arrivés à l'heure à ladite cérémonie. Le membre de la Commonwealth Games Association Mauritius a dit à Steve Haupt que le président du Comité olympique mauricien n'était pas content que nous ayons raté la cérémonie de lever du drapeau. Et qu'il n'allait pas nous allouer les 100 livres qui nous étaient destinées en guise de sanction. A ce sujet, rien n'a été mis par écrit. Ce n'était que verbal.

Quelle a été votre réaction en apprenant cela ?

Nous avons été choqués car personne ne nous a demandé ce qui était arrivé. Nous en avions déduit qu'ils pensaient que nous avions fait exprès d'arriver en retard. A la veille de la compétition (29 juillet), nous étions déçus et nous sentions que nous n'étions pas en odeur de sainteté auprès du COM. Et cela a rajouté à notre pression avant la compétition qui a débuté le 29 juillet. Tout le monde était au courant de ce qui s'était passé et pensait que nous l'avions fait exprès. Pour nous, les 100 livres ce n'est pas une question d'argent. Personnellement, je n'ai pas apprécié le geste, par principe. S'ils voulaient nous sanctionner, il fallait d'abord s'enquérir auprès de nous pour en parler. Certaines choses préliminaires auraient dû être faites.

Avez-vous tenté de contacter la Commonwealth Games Association Mauritius ?

On a parlé de cette affaire à Steve Haupt puis la FMN qui nous a demandé pourquoi nous étions en retard. On a pu avoir les clichés montrant notre arrivée au village le 27 juillet. Le 29 juillet, la FMN a envoyé ces documents au membre du COM pour lui expliquer pourquoi on était en retard. Le même jour, nous avons reçu un message de Richard Papie, chef de mission, disant que nous avions été reconnus négligents et que - pour des raisons inconnues - nous avions de manière délibérée manqué la cérémonie de lever du drapeau. Mais rien n'est dit sur les 100 livres. Nous avons envoyé une lettre commune le 30 juillet au Comité. Steve Haupt et la FMN nous ont aidés à écrire la lettre. Nous nous sommes excusés de ce retard. Mais nous n'avons pas eu de réponse de leur part. Nous nous sentions sanctionnés pour les 100 livres. Par ailleurs, Alicia Kok Shun, qui était censée rencontrer le Prince Charles, comme d'autres athlètes d'autres disciplines, n'a pu le faire parce qu'elle est arrivée en retard à la cérémonie.

Trois nageurs ont eu un "severe warning" pour avoir manqué cette cérémonie. Vous avez écopé de trois ans de suspension pour avoir tenu des propos dits insultants à l'égard d'un membre de la délégation. Qu'en est-il ?

Dans le bus, le 8 août (sur le chemin de la cérémonie de clôture des Jeux), je n'ai jamais dit au membre de la Commonwealth Games Association Mauritius qu'il avait volé l'argent que les nageurs devaient recevoir. Je ne l'ai pas pointé du doigt de la main droite comme écrit dans la convocation qui me priait de me présenter devant le comité disciplinaire du COM le 5 octobre. Je ne l'ai pas insulté. Me mettant debout, je lui ai seulement demandé pourquoi nous n'avions pas eu nos 100 livres, que nous nous étions excusés de notre retard, que nous avions fourni des explications, restées sans réponse du COM, et que nous restions punis et que ce n'était pas juste. En m'asseyant, j'ai aussi dit que je contacterai des avocats à mon retour à Maurice si le besoin se faisait sentir. Non pour le menacer mais parce que nous n'avons jamais eu de réponse à notre lettre d'explication envoyée à la Commonwealth Games Association Mauritius.

Est-ce que vous avez pu vous exprimer comme vous le vouliez lors du comité disciplinaire du COM le 5 octobre ?

J'ai été le premier à passer et mon audition a duré trois longues heures devant deux avocats. Cela m'a surpris car je ne m'attendais pas à les voir. Je pensais au départ que cela allait être fait devant les membres du Comité olympique. Je ne me sentais pas préparé. J'ai alors compris que ce que j'allais pouvoir dire n'allait pas compter. Pour moi, la décision avait déjà été prise. Trois membres du Comité olympique sont venus témoigner. Il y a des choses que j'étais en mesure de dire et d'autres choses où je ne pouvais pas m'exprimer parce que les avocats ne me le permettaient pas. Après cet exercice, la vérité n'était toujours pas connue. Il n'y avait pas de communication à proprement parler. Des zones d'ombre demeuraient. Entre autres, le fait que l'entraîneur n'avait pas été mis sur le "whatsapp group" des officiels mauriciens au moment des faits. Ce n'est que le 31 juillet que cela été fait, soit quelques jours après la Flag ceremony.

Comment se fait-il que l'entraîneur a été mis sur ce groupe aussi tard ?

On a dit qu'on ne l'avait pas ajouté parce qu'il ne se servait pas d'une 'british' sim card à Birmingham à l'arrivée. Or, sur le groupe, tout le monde utilisait sa simcard mauricienne. Selon le COM, Steve Haupt a été informé - la veille de la Flag Ceremony, à une réunion informelle - que cet événement allait avoir lieu le 27 juillet. Or selon Steve Haupt, ce n'était pas le cas. C'est le 27 juillet qu'il en a été informé par l'un des membres de la Commonwealth Games Association Mauritius.

Que retenez-vous de cette mésaventure ?

Je sens personnellement que nous avons subi une injustice. Alors que nous étions à Birmingham, la presse parlait déjà de cette affaire. Au village des Jeux, il y avait des rumeurs à ce sujet ; certains ont vraiment pensé que nous avions fait exprès d'arriver en retard à la Flag Ceremony Mais ce que je retiens c'est que rien ne nous était communiqué par la Commonwealth Games Association Mauritius quand tout cela est arrivé. Ils n'ont pas cherché à nous demander directement ce qui s'était réellement passé. En fait, il n'y a jamais eu de dialogue de la part du COM. Son silence était pesant et méprisant. Et c'est pour cela que j'ai pris la parole dans le bus. Il n'y avait rien de malveillant dans mon attitude. Mais devant une telle injustice je ne pouvais me taire.

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