Madagascar: L'univers des Malgaches inaccessible aux colons

Le Vazaha, dans la brousse, apparait à l'autochtone comme un personnage dangereux et utile à la fois ", lit-on dans le livre d'Histoire destiné aux lycéens des Terminales (1967). Dangereux parce qu'il est souvent brutal, opiniâtre ; exigeant, à peu de frais, un travail sur les terres, il illustre leVazaha masiaka dont l'autorité détruit l'ordre traditionnel. Utile le cas échéant, l'employeur protège cependant le salarié contre une administration incompréhensive. Pourtant, autoritaires ou paternels, les broussards doivent " supporter leur isolement, vaincre les fièvres, s'adapter au comportement du groupe autochtone qui les entoure.

En outre, l'emploi de moyens mécaniques n'est guère possible dans la plupart des plantations, en particulier sur la côte Est. L'inadaptation des Malgaches au travail salarié, leur résistance plus ou moins passive à l'Étranger, rendent l'exploitation fort aléatoire. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant de constater de nombreux échecs à l'échelon surtout des petites exploitations.

" L'ignorance des principes de conservation du sol, de l'entretien des plants, de la gestion rationnelle, explique également la décrépitude des petits planteurs qui s'accentue au lendemain de la Première guerre mondiale. " L'Asiatique, lui, est plus capable de patience, moins accessible au découragement, vivant de peu, réussit là où bien d'autres échouent. Les petits planteurs vazaha, dont beaucoup sont des Réunionnais, finissent par laisser la place aux Malgaches. De 1905 à 1939, la population malgache passe de 2 600 000 habitants environ à près de 4 000 000. L'œuvre de l'Assistance médicale indigène, indiquent les auteurs de l'ouvrage d'Histoire, explique cet accroissement sensible de la population.

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Louis Chevalier met, toutefois, en relief, l'instabilité de la natalité et surtout de la mortalité dans le contexte des endémies et des épidémies. La majeure partie de la population malgache est rurale. La colonisation pénètre au plus profond de la brousse où tous les groupes, toutes les collectivités finissent pas être touchés. Cependant, l'univers des Malgaches, très différent de celui des colons, ne se laisse guère pénétrer par eux, notamment dans les régions éloignées des villes. " L'administration française peut se substituer aux autorités merina ou se surimposer aux chefs locaux; il en résulte seulement une transformation des rouages du Fanjakana que, d'ailleurs, l'administration indirecte atténue. "

Les auteurs de l'ouvrage apportent quelques nuances. Les structures politiques nées de l'évolution des clans et des royaumes sont affaiblies et même disparaissent. Dès lors, les Malgaches perdent le contrôle du territoire, la responsabilité de leur destin. Toutefois, leur docilité devant " l'Administration raiamandreny " n'est qu'une apparence. " En vérité, ce demi-siècle de colonisation ne parvient pas à entamer, de façon sensible, le monde des valeurs antérieures, solidement uni par la communauté et ces conceptions ancestrales. " Ce monde appartient aux Malgaches et l'Étranger n'y a pas sa place. Les changements profonds qui s'opèrent au voisinage des plantations européennes et des centres administratifs sont spécifiquement matériels. " Les cellules de la société traditionnelles, le clan, la famille au sens très large du mot, demeurent encore cohérents à la veille de la Deuxième guerre mondiale, pour la presque totalité des Malgaches. Et la situation est différente selon que l'on vit dans les villes ou dans la nature. "

La lourdeur de la capitation et des taxes, les prestations sont douloureusement ressenties par tous. " L'obligation de payer l'impôt en argent ou en nature se ramène toujours à l'obligation de produire. " Au début de la colonisation, les colons trouvent ainsi des travailleurs dans les villages les plus proches de leurs concessions. La condition de cette main-d'œuvre- " les petits colons sont souvent les plus exigeants ! "- étant " très misérable ", le recrutement devient plus difficile. " Peu payés, mal nourris, beaucoup préfèrent s'enfuir. " Pour avoir appris l'agriculture des plantations dans l'exécution de ces corvées annuelles, beaucoup de Malgaches de la côte Est cultivent, un jour ou l'autre, pour leur propre compte. Leurs petites exploitations familiales se développement autour des villages et des cases, pendant que les plantations modestes, surtout réunionnaises, déclinent. " Il s'agit de payer l'impôt et d'éviter les prestations. Ce nouveau paysannat devient très vite, malgré la surveillance de l'Administration, la proie du collecteur local. "

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