Tchad: Prolongation de la transition - De la boue, du sang et des larmes

Des manifestants brûlent des pneus usagés dans un quartier de la capitale, N'Djamena.
analyse

C'est un jeudi noir qu'ont vécu les Tchadiens ce 20 octobre 2022, particulièrement les habitants de la capitale N'Djamena et de Moundou, la deuxième plus grande ville du pays.

Ils avaient non seulement les pieds dans l'eau et dans la boue à cause des inondations dues à la crue exceptionnelle des fleuves Logone et Chari, mais encore des larmes plein les yeux, la violente répression d'une manifestation interdite ayant fait une cinquantaine de morts et près de trois cents blessés selon le Premier ministre Saleh Kebzabo ; un bilan forcément provisoire.

En effet, si le calme était revenu à Ndjamena hier à la mi-journée, la capitale tchadienne avait été réveillée très tôt le matin par le crépitement d'armes à feu, rappelant hélas à qui veut l'entendre que les vieux démons des contradictions politiques avec leurs spectres d'affrontements meurtriers dans des bains de sang d'innocents n'ont pas été exorcisés par le Dialogue national inclusif et souverain (DNIS). La raison ? L'opposition, principalement le parti des Transformateurs de Succès Masra, déçue par les conclusions de ces assises, entendait manifester son refus de la prolongation de la transition sous la conduite de Mahamat Idriss Deby pendant 2 ans encore.

Le comble pour cette opposition et aussi pour l'Union africaine qui y joue le médiateur, c'est qu'au bout des 2 ans de bonus au pouvoir, Mahamat Deby peut succéder à lui-même. De quoi hérisser le poil de Succès Masra, qui a appelé ses partisans à descendre dans la rue hier, pour manifester leur mécontentement.

Et cette date du 20 octobre 2022 n'a pas été choisie par hasard. Elle marque officiellement la fin de la transition instaurée à la suite de la mort d'Idriss Deby père, le 20 avril 2021, et inaugure sa prolongation dans une dévolution dynastique du pouvoir à Mahamat Deby fils. "Au 21e siècle, on ne peut pas tolérer cela", clame l'opposition tchadienne, avec d'autant plus de conviction que l'Union africaine a rappelé opportunément à la fin du mois d'août dernier que la transition conduite par Deby fils devrait s'achever hier, 20 octobre.

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Que nenni, selon les conclusions du dialogue national inclusif souverain par lequel Deby fils a justement essayé de ratisser large autour de son pouvoir et de sa personne sur l'échiquier politique tchadien. Mais de Doha à N'Djamena où ont été menés tambours battants des rounds et des rounds de négociations, Mahamat Idriss Deby n'a pu rallier Succès Masra à ce forum qui se voulait à la fois une catharsis et un moule de refondation d'institutions nouvelles pour le Tchad. Le parti des Transformateurs, qui y voyait un piège de légitimation de la patrimonialisation du pouvoir d'Etat, a brillé par son absence à ce forum. Et pour affirmer son rejet catégorique des principales conclusions qui en sont issues, la prolongation de la transition, la réélection possible de Mahamat Deby, il a comme tendu à son tour un piège au pouvoir de Deby fils : celui de la contestation par la rue.

Il faut croire que Mahamat Deby est tombé dedans et sans la manière, laissant une trentaine de macchabées sur le macadam. Ce faisant, outre l'Etat d'urgence pour catastrophe naturelle liée aux inondations, il a comme aussi annoncé le sinistre de l'impossible enracinement d'une démocratie apaisée au Tchad. De fait, les apparences d'un pouvoir ouvert et rassembleur qu'il a mis en avant depuis 18 mois ont brûlé en même temps que les barricades des manifestants, hier jeudi, découvrant un pouvoir froid, calculateur, qui manie la carotte et le bâton pour atteindre ses objectifs, la patrimonialisation de l'Etat tchadien.

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