Sénégal: Mohamed Moussa, DG de l'Asecna - "Malgré la grève, 93 % des vols ont été assurés"

21 Octobre 2022
interview

La récente grève des contrôleurs aériens, qualifiée de " problème existentiel ", a conduit le Comité des ministres de l'Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna), qui s'est réuni le 17 octobre à Dakar, à adopter des mesures d'apaisement. Aussi, au-delà de cette question spécifique dont la mise en œuvre lui est confiée, le Directeur général de l'Asecna, Mohamed Moussa, revient, dans cet entretien, sur la nécessité de prendre en compte le travail en chaîne des 10.000 agents.

La réunion extraordinaire du Comité des ministres des Transports aériens des pays membres de l'Asecna (le 17 octobre à Dakar) a-t-elle permis d'avoir des avancées concernant les revendications des contrôleurs aériens qui ont récemment observé un mouvement de grève ?

Il y a eu bien sûr des résultats tout à fait extraordinaires lors de ce Comité des ministres. Il faut dire que les ministres ont pris la pleine mesure du problème par rapport à cette grève des contrôleurs aériens. Le terme qu'ils ont utilisé est qu'il s'agit d'un " problème existentiel " pour l'Agence. Ils ont ainsi adopté sept résolutions pour essayer de trouver la meilleure solution possible, des résolutions qui vont dans le sens de l'apaisement, pour que ce type de problème ne soit pas récurrent dans un domaine aussi complexe. Les ministres sont même allés au-delà de ce que les travailleurs attendaient, à mon humble avis. Ils ont non seulement autorisé la mise en œuvre immédiate des onze mesures qui ont fait l'objet d'un accord, mais ils ont aussi demandé la mise en place d'un cadre pour que les quelques points restants puissent trouver une solution communautaire. Nous sommes une agence commune, il faut que les solutions soient approuvées par tout le monde. Nous ne pouvons pas donner satisfaction à un enfant parmi 10.000 autres. C'est ce qu'ont très bien compris les ministres qui sont allés au-delà de leur sujet en proposant des solutions totalement inattendues par les grévistes.

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Pourquoi ? Parce que tout simplement l'ensemble des États, à commencer par les Présidents, tiennent à la pérennité de l'Asecna, qui est l'une des plus vieilles organisations panafricaines et qui accomplit une mission essentielle de sécurité de la navigation aérienne. À travers elle, les États ont confié la gestion de leur espace aérien, c'est donc un domaine régalien. Les ministres ont donc estimé qu'il faut créer toutes les conditions pour que cette mission puisse se réaliser.

Est-ce que le Comité des ministres ne vous a pas refilé la patate chaude, vous et le Conseil d'administration ?

En tant que Directeur général, je reçois toujours les orientations du Comité des ministres qui est notre organe suprême. Ce Comité donne les orientations stratégiques et politiques. C'est tout à fait normal qu'ayant mûrement réfléchi sur le sujet, qu'ils chargent le Directeur général de mettre en œuvre leurs orientations. Ce n'est donc pas une patate chaude vu qu'il s'agit là de ma responsabilité. Et ils m'ont chargé d'œuvrer pour le retour de l'apaisement. Je veillerai à ce que cet apaisement prévale. C'est ce qui est essentiel et constitue ma mission. Ils m'ont permis de créer un cadre de dialogue élargi dans lequel nous pouvons tous nous exprimer démocratiquement. Les solutions qui sortiront de ce cadre seront communes. Les ministres ont mis en avant une volonté d'améliorer les conditions de vie des 10.000 travailleurs de l'Asecna. En bon père de famille, je dois veiller à ce que chacun, dans son domaine, trouve la sérénité, l'épanouissement nécessaire à l'accomplissement de sa mission. C'est ce que je me suis toujours évertué de faire. Mais les ministres m'ont demandé, avec le Conseil d'administration, d'aller plus loin. Nous allons essayer.

Pourquoi les contrôleurs n'ont pas voulu passer par les mécanismes de négociation dont dispose l'Asecna, notamment l'Organe communautaire de concertation et de négociation (Occn) ?

Les contrôleurs ont estimé que la répartition qui est faite dans le cadre du nouveau système de rémunération (Nsr) ne leur convient pas. Ils l'ont d'ailleurs toujours dit. Et pourtant ce système a été adopté à l'unanimité des représentants des travailleurs. Nous avons réuni l'Occn cinq fois pour que tous les travailleurs se prononcent sur ce système. Sur les cinq réunions, il y a eu unanimité à trois reprises. C'est ainsi que nous sommes allés, après, devant le Conseil d'administration pour qu'il le valide. Ce même Conseil a soumis le Nsr aux ministres qui l'ont, à leur tour, validé par une résolution qui dit que le " nouveau système entre en vigueur le 1er janvier 2023 si les conditions financières le permettent ", puisque nous sortions de la Covid-19. Nous étions en train de nous préparer donc pour faire appliquer ce système quand, malheureusement, les contrôleurs ont estimé que ce système de rémunération ne leur est pas favorable et ils ont déclenché la grève. Les ministres ont dit puisqu'il y a des désaccords, autant retourner dans le système communautaire, analyser à nouveau le système, le réévaluer avant de revenir avec des solutions consensuelles. La Direction générale est très ouverte.

Nous avons déjà tenu deux grandes réunions. Tout le monde est d'accord sauf les contrôleurs. Nous allons essayer encore, tous ensemble, pour voir si nous pouvons trouver des ajustements qui permettront de mettre en œuvre ce nouveau système. Je reviens sur cette volonté des ministres d'anticiper sur les problèmes pour dire que les contrôleurs n'ont pas demandé d'indemnité particulière, mais ils ont pensé que la mission que nous accomplissons mérite de prévoir une indemnité spéciale du service public (Issp). Personne n'a eu à réclamer une telle indemnité qui a été octroyée à l'initiative des ministres eux-mêmes. Ils ont été, certes, gênés que des agents aient pu déstabiliser le système aéronautique international eu égard au fait que nous gérons 17 millions de kilomètres carrés. Quand l'Asecna est perturbée, c'est quasiment toute l'Afrique qui l'est. Heureusement pour nous, la grève n'a eu qu'un impact limité, contrairement à ce qui a été avancé par certains médias.

Pendant les deux jours de grève, sur les 2.992 vols prévus, nous avons pu gérer les 2.800. Ainsi, 93 % des vols ont été effectifs, seuls 7 % des vols ont été annulés. L'Asecna dispose aujourd'hui des mêmes moyens techniques que l'Europe. Il faut dire que la presse a été souvent induite en erreur en parlant de la grève dans 17 pays. Ce qui ne correspond pas à la réalité puisque dans huit pays, la grève est interdite. Dans deux autres pays, Madagascar et le Sénégal, la grève n'a eu aucun impact. Il y a eu donc beaucoup de bruits autour de cette affaire. Les ministres ont reconnu les perturbations qui peuvent être néfastes dans le domaine de la sécurité et qu'il faille prendre des dispositions pour que pareille situation ne se reproduise plus. C'est pour cela d'ailleurs qu'ils ont créé cette Issp.

Est-ce un déficit de communication autour du nouveau système de rémunération qui est à l'origine de la grogne des contrôleurs ?

Pas du tout. Ce n'est pas le système qui est à l'origine de la grève. Les contrôleurs ne se sont pas directement attaqués au nouveau système de rémunération. Ils ont posé leurs huit revendications qui auront effectivement un impact sur le système en question. C'est pour cela que les ministres ont demandé un report jusqu'à ce que toutes les revendications puissent être prises en compte. Je rappelle que ce système a été mûri pendant plus de 12 ans. Il a été approuvé par tout le monde à l'unanimité. La cause de la grève n'est pas le système en lui-même, mais les ministres ont estimé, puisqu'il y a de nouvelles revendications des contrôleurs, que, probablement, c'est le nouveau système qui ne les prend pas en compte et qu'il fallait donc poursuivre le dialogue.

Où est-ce que le bât blesse aujourd'hui par rapport à l'aboutissement des huit points d'achoppement ?

La difficulté est double. Quand des employés font la grève pour demander une augmentation salariale, cela paraît normal à tout le monde. Si je paie un million par mois et que le travailleur réclame 10 % de plus, il s'agit d'une revendication salariale. Mais les revendications des contrôleurs ne sont pas seulement d'ordre salarial. Elles devraient aboutir au changement des hiérarchies des fonctions. Certaines revendications des contrôleurs remettent en cause la hiérarchie de l'ensemble du système Asecna. C'est pourquoi elles ne peuvent être traitées en dehors du système communautaire. La Direction générale est toujours ouverte au dialogue. Dès que les problèmes ont surgi, j'ai mis en place un comité de onze personnes qui représente toute l'Asecna. C'est ce comité qui négocie directement et les conclusions arrivent directement chez le Directeur général qui ne signe même pas les procès-verbaux qui sont du ressort des syndicats. Je puis vous confirmer ma disponibilité personnelle d'être un bon arbitre, un bon père de famille qui sait veiller aux équilibres entre les 10.000 travailleurs que compte l'Asecna. J'ai beaucoup de respect pour tous les corps de métiers qui composent l'agence.

C'est une chaîne. Les informations communiquées par le contrôleur aux avions, par exemple, ne sont pas fabriquées par lui-même. C'est la météo qui les fournit. Si la météo ne travaille pas, il n'y aura pas d'information. Les 45 % de l'activité de sécurité aérienne sont assurés par des installations techniques. Si les techniciens qui font cette maintenance ne travaillent pas, il n'y aura pas d'avions qui volent. S'il n'y a pas de pompiers également, aucun avion ne pourra atterrir. Bref, aucun métier ne peut se prétendre plus important qu'un autre. C'est pour cela que la volonté des ministres de chercher des solutions pour toute la chaîne a été saluée par l'ensemble des travailleurs.

Quelle est la teneur de la nouvelle indemnité de service public (Issp) accordée aux agents ? Va-t-elle les assujettir à ne pas aller en grève ?

La nouvelle Issp a été estimée nécessaire par rapport au service public essentiel de sécurité aérienne, qui est une mission internationale de service public. Par conséquent, vu que les corps de métier peuvent mettre en évidence leur spécificité, les États ont dit que cette spécificité est d'abord la mission de service public qu'il faut prendre en charge en créant une indemnité spécifique. Le droit de grève dépend de chaque pays. L'Asecna est consciente que la grève n'est pas interdite même si tous les tribunaux nous ont donné raison en déclarant la grève illégale. Les ministres ont mis l'accent sur les solutions. Cette indemnité concerne tout le monde.

Qu'en est-il des réquisitions ?

Quand cette grève a été déclarée, le processus n'a pas été respecté, puisqu'il faut très souvent négocier avant d'aller en grève. La grève nous est tombée brutalement dessus et nous sommes allés devant les inspections du travail. Comme c'était dans l'urgence, nous avons été amenés à faire des référés devant huit juridictions qui ont prononcé l'illégalité de la grève ou sa suspension. Les États, selon notre convention, peuvent, en cas de situation de crise, réquisitionner le personnel, puisque c'est un service qui ne peut pas être interrompu. Il y a huit États qui sont concernés et qui ont préféré, par mesure de précaution, prendre des arrêtés de réquisition.

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