Afrique: Rien à manger - La crise alimentaire se répand dans le continent

Région de Mudug, village de Tulo Qorax. Portrait d’un éleveur qui a perdu son bétail à cause des aléas climatiques.
communiqué de presse

D'énormes pertes de récoltes. Une terre desséchée. Des millions de bovins, de chèvres et de chameaux décimés ou dépérissant. Des enfants affamés ou souffrant de malnutrition aiguë. Une flambée des prix mondiaux du blé qui condamne les familles à la famine. Telles sont les marques indélébiles que la crise alimentaire inflige à l'Afrique. Comment en est-on arrivé là ?

Le changement climatique, la multiplication des conflits et la faible productivité de l'agriculture ont aggravé le problème de la crise alimentaire en Afrique et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a appelé à des interventions immédiates et à long terme.

Selon de récents rapports de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et de l'Union africaine (UA), on estime à 346 millions le nombre de personnes touchées par la crise alimentaire en Afrique.

" Nous manquons de nourriture et d'eau. Vous pouvez fuir les combats, mais vous ne pouvez pas échapper à la sécheresse ", explique Deeko Adan Warsame, présidente du conseil des femmes de Guriel, dans le nord de la Somalie.

Les propos de Mme Warsame résument la situation alimentaire alarmante du continent africain, qui risque de s'aggraver dans les mois à venir. La Somalie a été touchée de plein fouet. Le bétail, moyen de subsistance essentiel dans la Corne de l'Afrique, est menacé par la sécheresse persistante. Celle-ci a entraîné des hécatombes sans précédent au sein des troupeaux à cause du manque de pâturages et d'eau.

On estime à 1,5 million le nombre d'animaux qui ont péri et ceux qui ont survécu sont chétifs et affaiblis. La production agricole est inférieure de 58 à 70 pour cent à la moyenne dans toute la région.

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Et ce qui se passe en Somalie se répète dans d'autres pays de la Corne de l'Afrique et jusqu'à la ceinture du Sahel.

L'agriculture pluviale dans la région de la Corne de l'Afrique a presque systématiquement échoué ces dernières années. De nombreux agriculteurs n'ont alors eu d'autre choix que d'abandonner leurs champs pour partir dans les grandes villes, dans l'espoir de trouver d'autres moyens de subsistance.

Les taux de malnutrition augmentent en raison de la détérioration du pouvoir d'achat et de l'accès limité à une alimentation saine et aux soins de santé. Ces taux élevés de malnutrition sont également observés au Kenya et en République centrafricaine.

Une catastrophe qui passe largement inaperçue

" C'est une catastrophe qui passe largement inaperçue. Des millions de familles souffrent de la faim et des enfants meurent de malnutrition ", déplore Dominik Stillhart, le directeur des opérations du CICR.

La crise alimentaire est présente sur tout le continent, de la Mauritanie et du Burkina Faso à l'ouest à la Somalie et à l'Éthiopie à l'est. Pour répondre à cette crise, le CICR s'apprête à intensifier ses opérations dans dix pays. Il interviendra en étroite coordination avec d'autres composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge afin de porter assistance à 2,8 millions de personnes supplémentaires.

Violence et crise alimentaire au Sahel repoussent les limites du supportable.

Plus de 10,5 millions de gens dans la région ne mangent pas à leur faim.

" Nous intensifions nos opérations en Somalie, au Kenya, au Nigéria, au Burkina Faso et dans bien d'autres pays pour tenter de secourir le plus de gens possible, mais le nombre de personnes qui se retrouvent sans nourriture et sans eau est effarant ", ajoute D. Stillhart.

En Afrique centrale, en République démocratique du Congo (RDC), quelque 27 millions de personnes, soit un quart de la population du pays, sont confrontées à des conditions d'insécurité alimentaire aiguë.

Dans le centre et l'ouest du Sahel, le conflit et les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur les marchés ont mis à mal les populations. Les conflits dans la région ont perturbé l'économie et entraîné le déplacement forcé de plus de sept millions de personnes. Le Burkina Faso connaît la plus forte croissance du nombre de personnes déplacées, les chiffres ayant presque triplé par rapport aux 12 derniers mois.

Au Sahel, plus précisément au Mali, au Niger et au Burkina Faso, la situation est particulièrement préoccupante, car les effets combinés de la crise alimentaire et du conflit poussent les populations au bord du gouffre. La violence perturbe tous les aspects de l'équilibre socio-économique en place depuis des décennies et vient encore exacerber la crise alimentaire et la pénurie d'eau.

On estime que 10,5 millions de personnes souffrent de malnutrition au Burkina Faso, au Mali, au Niger et en Mauritanie. Plus de 1,2 million de personnes devraient se situer dans la phase quatre de l'indice mesurant l'insécurité alimentaire pendant la prochaine période de soudure (entre deux récoltes).

" Ce qui me tourmente aujourd'hui, c'est bien sûr la faim, mais c'est aussi le regard de mes enfants qui ne comprennent pas qu'il y a des jours où je rentre à la maison avec rien dans les mains ", se désole une veuve, mère de six enfants, originaire du Burkina Faso, en s'adressant à des représentants du CICR.

Plusieurs facteurs - conflits, chocs climatiques (sécheresses en Afrique de l'Est et précipitations cumulatives inférieures à la normale en Afrique de l'Ouest), augmentation spectaculaire du nombre de personnes déplacées et flambée des prix des denrées alimentaires et des carburants - ont contribué à créer des besoins considérables dans la région. La situation est d'autant plus compliquée que beaucoup de pays touchés par la crise alimentaire subissent encore les contrecoups économiques négatifs de la pandémie de COVID-19.

D'autres défis se posent également. L'accès aux populations vulnérables est ainsi limité en raison de l'insécurité et des combats en Ukraine. À eux deux, ces pays représentent un quart de la production mondiale de blé et de céréales.

Certains des pays les plus touchés par la crise d'insécurité alimentaire actuelle sont ceux qui dépendent le plus du blé en provenance de Russie et d'Ukraine, notamment la Somalie (plus de 90 pour cent), la République démocratique du Congo (plus de 80 pour cent) et le Burkina Faso, le Cameroun, l'Éthiopie, le Nigéria et le Soudan (tous entre 20 pour cent et 45 pour cent environ).

Nécessité d'un effort concerté

" Pour faire face à cette crise, nous avons besoin de renfort. Le CICR a pour mission essentielle d'aider les gens à rester en vie, mais ici cela ne suffit pas. Une crise d'une telle ampleur nécessite un effort concerté. Gouvernements, partenaires humanitaires et donateurs devront se concentrer sur des solutions à moyen et long terme afin d'aider les personnes touchées à se relever. Cela doit être la priorité ", déclare D. Stillhart.

Selon Zakaria Maiga, conseiller du CICR en matière d'insécurité alimentaire et ancien coordonnateur des opérations pour le Sahel, le problème de l'insécurité alimentaire n'est pas nouveau.

La différence cette fois-ci tient à " l'intensité de la situation : elle découle de la rapidité du changement climatique et des nombreuses difficultés inédites, telles que la perte des services de base, l'exacerbation de la pauvreté par la pandémie de COVID-19 et la détérioration de la sécurité avec la montée de la violence intercommunautaire liée à la pénurie d'eau et aux conflits armés non étatiques, le tout étant alimenté par l'instabilité politique et les tensions culturelles ".

Patrick Youssef, directeur régional du CICR pour l'Afrique, partage l'avis de M. Maiga.

Chaque année, nous communiquons et réagissons, mais cette année sort du lot. Nous n'avons pas connu pareille situation en Somalie depuis 40 ans. Les inondations ont ravagé l'intérieur du Mali et fait chuter la production céréalière à 20% de son niveau habituel - les pertes sont énormes.

La réponse du CICR

Pour faire face à cette crise, une réponse plus radicale s'imposait, consistant à dépasser le seul approvisionnement en nourriture pour renforcer les systèmes en collaboration avec nos partenaires.

" En tant qu'institution, nous sommes déterminés à avoir un impact humanitaire durable et à mobiliser les acteurs concernés pour s'attaquer aux causes profondes, et pas seulement aux plaies visibles, de l'insécurité alimentaire ", précise Patrick Youssef.

Le CICR s'emploie depuis des décennies à remédier aux effets de l'insécurité alimentaire en Afrique. Pour ne pas s'arrêter aux " symptômes " et s'attaquer aux causes sous-jacentes, il faut collaborer plus étroitement avec les partenaires du développement et mieux les sensibiliser. Le CICR continuera de concentrer ses activités dans les régions éloignées, en proie aux hostilités et difficiles à atteindre ou inaccessibles pour d'autres organisations en raison des contraintes de sécurité et d'accès.

Le CICR s'attachera en particulier à intensifier les distributions d'aide alimentaire (y compris la remise de bons d'achat ou d'espèces), augmenter la fourniture d'aliments thérapeutiques pour traiter les enfants souffrant de malnutrition et les femmes enceintes ou allaitantes, et augmenter les distributions de semences, d'outils et de matériel agricoles, de bétail et/ou de fourrage, ou d'espèces/de bons d'achat pour se procurer ces produits, aux ménages d'agriculteurs et d'éleveurs.

Le CICR, en collaboration avec d'autres composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, mène des activités d'assistance dans toute l'Afrique : Somalie, Kenya, Éthiopie, Soudan du Sud, République démocratique du Congo, Soudan, Nigéria, République centrafricaine, Tchad, Cameroun, Niger, Burkina Faso, Mali et Mauritanie - partout où la crise de la sécurité alimentaire se fait le plus sentir.

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