Ile Maurice: "Méta-Morph-Ose - Un regroupement de tableaux sur 20 ans pour montrer l'évolution de mon travail"

interview

Pour marquer ses 20 ans de carrière, l'artiste-peintre mauricienne Kelly Wayne, qui a obtenu le droit d'asile en France en mai dernier, expose 20 de ses tableaux entre les 30 octobre et 30 novembre dans sa galerie nommée l'Univers et située au Havre en France. Sur I-CAC, un site référençant 2 500 artistes français, elle occupe la 316e place, ce qui n'est pas rien.

Kelly Wayne, est-ce votre première exposition en France ?

C'est ma deuxième exposition. La première a eu lieu en 2019 dans la ville du Mans et c'est ma deuxième au Havre où je vis depuis peu. Mais on peut dire qu'il s'agit de ma première exposition depuis que j'ai obtenu l'asile en France en mai dernier.

Vous avez intitulé votre exposition Méta-Morph-Ose. De quoi traite-t-elle ?

Méta-Morph-Ose repose davantage sur ma carrière artistique et mon parcours personnel. Méta c'est être entre deux mondes, Morph c'est parce que je trouve mes inspirations dans mes rêves et c'est en honneur du dieu grec et Ose c'est parce que j'ai osé pas mal de choses dans ma vie. J'ai osé croire en mes rêves en tant qu'artiste, osé faire ma première expo, il y a 20 ans, à la galerie Max Boullé, osé prendre les devants et faire mon opération en 2012 et osé quitter Maurice en 2013 pour me lancer dans une carrière internationale. J'ai osé pas mal de choses. Le Méta c'est vrai que c'était être entre deux mondes, quand je n'étais pas encore opérée, mais maintenant c'est bon. Cette exposition regroupe l'intégralité de mon parcours de 20 ans.

%

Combien de tableaux exposerez-vous ?

Il y en aura 20 en exposition car 20 tableaux signifient les 20 années, qui se sont écoulées. Malheureusement, je n'ai ceux de toutes les années consécutives car j'en ai quand même vendu plusieurs. Par exemple, je n'ai pas ceux de 2002 ni de 2003. Il m'en reste un de 2004, 15 sur 80 de 2005. En fait, j'ai essayé de faire un regroupement des tableaux de plusieurs années, y ajoutant de nouveaux et ce, pour montrer le parcours et surtout l'évolution de mon travail aux habitants du Havre en France.

Avez-vous des tableaux préférés ?

Je n'ai pas vraiment de tableaux préférés car je les aime tous. Et puis, je suis très autocritique et de ce fait, c'est dur pour moi de dire que je préfère un tableau plus qu'un autre. Certes, il y a des tableaux où je me suis davantage défoulée et où j'ai exprimé ce que je ressens. Déjà ces deux dernières années ont été très compliquées, la bataille juridique avec l'administration mauricienne m'a vraiment pris la tête. Je ne sais même pas comment j'ai pu créer de nouvelles toiles. Le tableau qui me vient en tête actuellement et qui m'a vraiment touchée est celui que j'ai fait lorsque j'ai obtenu le droit d'asile parce que je savais que l'administration mauricienne ne m'aurait pas donné mes papiers. Pour ceux qui ne le savent pas encore, j'ai obtenu le droit d'asile en France en mai dernier et je ne pourrais plus retourner chez moi. Cela m'a vraiment brisé le cœur. J'ai fait un tableau par rapport à cette situation et l'express a publié la photo de ce tableau lorsque j'ai obtenu mon droit d'asile.

Quel message voulez-vous transmettre avec Méta-Morph-Ose ?

Mon message est le suivant : quand on veut, on peut. Vouloir c'est pouvoir. Quand je retourne 20 ans en arrière, voire 30 ans, quand j'ai découvert mon talent lorsque j'avais 12 ans et que personne ne croyait en moi, alors que moi, je me voyais en tant qu'artiste faire des choses extraordinaires, j'ai toujours cru en mes rêves et je me suis dit qu'un jour, je deviendrai une artiste à Maurice. Je me suis battue pour, j'ai travaillé comme une folle, j'y ai cru et j'ai réussi. J'ai cru qu'un jour je deviendrai une femme, je me suis battue comme une malade et à travers la vente de mes tableaux et par le biais de petits boulots en parallèle, j'ai pu faire mon opération en 2012.

Ma persévérance a porté ses fruits. Cette année, je figure au classement du site I-CAC, qui référence 2 500 artistes connus et reconnus en France. Moi qui suis une petite artiste de Maurice, je suis tout de même classée en 316e position parmi les 2 500 artistes en France, ce qui n'est pas anodin. Je suis très fière de cela. C'est ça ma récompense. Je n'ai pas besoin d'être première. Avec mon parcours de 20 ans, être classée parmi les 2 500 artistes de France, il faut le faire. J'espère que ce que je fais pourra motiver et pousser d'autres artistes mauriciens à croire en eux, en leur art, à croire en leur destin, à bousculer leur chance et qu'ils n'hésitent pas. Il faut y aller.

Ce n'est pas habituel une expo qui dure un mois ?

L'expo, qui se tient dans mon atelier que j'ai nommé Univers, est effectivement ouverte du 30 octobre au 30 novembre. Je me suis dit pourquoi ne pas l'étendre sur un mois alors que normalement j'expose pendant deux semaines. Comme cela fait à peine un an que je suis au Havre, c'est une façon de me faire davantage connaître dans cette ville. Je voudrais ajouter une chose : le combat n'arrête pas. Même si je suis en France et que je me bats en tant qu'artiste et en tant que femme trans, j'espère pouvoir ouvrir une porte pour tous les Mauriciens qui veulent réussir dans leur vie en tant qu'artistes ou des femmes trans qui sont clouées à Maurice et qui ne peuvent avancer. Si moi, j'ai pu arriver à faire ce que je fais aujourd'hui, à vivre de mon art, à pouvoir être une femme à part entière, même si je n'ai pas mes papiers en tant que femme à Maurice, je suis reconnue en tant que femme en France. Et ça, c'est très important psychologiquement pour n'importe quelle personne qui fait cette transition.

A toutes les femmes trans, je veux dire ceci : ne baissez pas les bras, le combat n'est pas fini, il y a beaucoup de choses encore à faire. De toutes les façons, je n'ai pas l'intention de jeter l'éponge. Pour l'instant, certes, je suis bloquée en France mais je dois, d'une manière ou d'une autre et même de loin, poursuivre ce combat qui me tient à coeur. Il faut vraiment que cette loi change parce que c'est une discrimination incroyable. Je l'ai vécu et je ne veux pas que d'autres personnes soient punies parce que nous sommes ce que nous sommes. C'est inconcevable que l'administration mauricienne ait bloqué mes papiers.

Quand j'expose mes toiles, j'expose une culture, une patrie, je présente Maurice sur la scène artistique française. Mon but ultime maintenant c'est de me faire connaître dans le monde entier. Si j'ai pu réussir une carrière artistique à Maurice, je pense que je peux le faire n'importe où. Rendez-vous dans 20 ans pour un bilan ! Je tiens aussi à préciser que le 30 octobre, je ferai un live en direct sur Tiktok pour tous les Mauriciens, mes amis, la famille, tous les gens qui me suivent depuis 20 ans et qui n'auront pas l'occasion de voir mon travail de près. Ils peuvent me voir en live à partir de 20 heures, heure de Maurice.

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.