Cameroun: Cinq histoires de violence, de fuite et de survie

communiqué de presse

Depuis 2012, Niger, Nigeria, Tchad et Cameroun connaissent une violence récurrente à laquelle les grands médias portent peu d'attention. Dans la région de l'Extrême-Nord du Cameroun, Hamadou, Hadidja, Moussa, Amaga et Tongoché témoignent de leur quotidien dans la localité de Tolkomari, rythmé par les événements climatiques extrêmes, l'absence d'opportunités économiques, l'insécurité et la difficulté grandissante de se nourrir.

Hamadou, 78 ans, une famille nombreuse à nourrir

Enfant, je n'ai pas eu la chance d'aller à l'école. Alors toute ma vie, j'ai été berger.

Avec mon épouse, nous avons eu neuf enfants. Nous avons vécu dans le village de Malabré avec quelques bêtes et nos champs. Nous n'avions pas beaucoup mais on ne se plaignait pas. Les habitants des villages voisins nous parlaient souvent des attaques qu'ils subissaient. Le nôtre était épargné.

Il y a trois ans, notre village a finalement été attaqué. Une centaine d'hommes armés sont arrivés. Ils tiraient sur les villageois qui essayaient de s'enfuir, ils criaient et fouillaient dans les cases et les maisons.

Moi, ils ne m'ont pas violenté. Ils ont pris le peu d'argent que j'avais sur moi puis ils sont partis. Cette nuit-là, ils ont emmené des jeunes à l'écart du village. Impossible de savoir où se trouvaient les miens.

" Le lendemain matin, c'était l'horreur : trois hommes du village avaient été tués. Parmi eux, deux de mes garçons. "

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Après cette agression, ma femme et moi avons recueilli nos 17 petits-enfants et nos belles-filles, avant de partir nous installer à Souloumri, près de Tolkomari.

La vie n'est pas facile tous les jours. Malgré mon vieil âge, je dois prendre soin de tous les miens. Je n'arrive pas à les nourrir comme il le faudrait. Nous vivons dans des huttes de paille, nous dormons à même le sol. Depuis trois mois, mon épouse est souffrante. Cela m'inquiète beaucoup. Je suis obligé de louer un champ afin de cultiver du maïs pour nourrir ma famille.

Hadidja Mamat, 25 ans, la peur de rentrer chez soi

Avec mon mari, nous vivions en paix dans le village de Bornori. Je travaillais aux champs, mon mari était maçon. Je cultivais des légumes, du maïs et du mil. C'était suffisant pour nous nourrir et en vendre aussi au marché.

En attendant les récoltes, je me rendais dans les villages voisins pour chercher un travail comme femme de ménage ou vendeuse. C'est comme ça que je me suis trouvée en 2018 à Tolkomari avec mes enfants. J'ai appris par des personnes en fuite que notre village avait été attaqué par des hommes armés. Ils avaient tué plusieurs personnes.

" Du jour au lendemain, nous avons tout perdu, nos maisons, nos terres, nos bêtes. "

Après quelques jours, nous avons quitté Tolkomari pour Souloumri où se trouvaient des personnes originaires de Bornori. Le " blama ", le chef traditionnel, avait grandi avec mon mari et il nous a beaucoup aidés à notre arrivée. Nous avons reçu un endroit pour construire notre petite maison.

Cela fait quatre ans que nous sommes ici. La vie est difficile mais nous n'avons pas le choix. Mon mari se rend tous les jours sur un chantier à Tolkomari. De mon côté, j'aide les femmes aux champs et je reçois un peu d'argent lors des récoltes. Ce n'est pas assez pour louer des terres et les cultiver, ou bien encore pour envoyer les enfants à l'école.

Nos difficultés sont nombreuses : le coût de la vie, nourrir les enfants, l'absence de travail, et il faut marcher une heure pour trouver de l'eau potable. Malgré tout, je préfère rester à Souloumri car il y a la paix. Même si la situation venait à s'arranger à Bornori, je n'y retournerai pas car j'ai très peur.

Cette semaine, je veux changer la toiture de notre petite maison, car la pluie coule à travers la paille.

Moussa Tchongo, 66 ans, nostalgique de sa vie d'avant

J'ai toujours cultivé la terre. Ma femme et moi n'avons pas eu la chance d'aller à l'école, alors nous nous sommes toujours débrouillés pour que nos enfants reçoivent une instruction. Voir nos enfants aller et rentrer des classes nous donnait une joie immense. A Kidji, nous étions heureux, nous avions une grande maison, des terres, la vie était facile et abordable.

Fin 2015, les habitants des villages voisins ont commencé à nous raconter qu'ils subissaient la violence d'hommes armés. Peu de temps après, notre village a lui aussi subi des attaques. Ces hommes venaient voler nos biens et brûler nos maisons, alors il fallait passer le moins de temps possible au village. Nous étions dans les champs la journée et nous passions la nuit en brousse.

" Lors d'une nuit, nous avons entendu des hommes arriver. Ils se sont mis à tirer. C'était la panique, tout le monde courait. "

Un de mes frères touché par une balle est décédé cette nuit-là. Lorsque je suis revenu dans notre village, ça a été un choc. Il avait été attaqué aussi, on avait tiré sur ma sœur Ganafa. Elle est morte quelques jours plus tard à l'hôpital, à 21 ans, en laissant un enfant derrière elle. Nous avions presque tout perdu. Avec ma femme, nous avons rassemblé les enfants, placé le peu de biens qui nous restaient sur mon vélo, puis nous avons pris la route, direction Souloumri.

Cela fait plus de six ans que nous avons quitté Kidji. J'ai encore des terres là-bas. J'y vais parfois la peur au ventre, et ma femme s'y rend aussi avec d'autres femmes afin de travailler dans les champs. Nous sommes plus en sécurité à Souloumri mais les choses sont différentes. Je dois acheter la nourriture au lieu de la produire, ce qui n'est pas facile, et nous ne mangeons pas tous les jours à notre faim. Je gagne un peu d'argent sur des chantiers ou dans les champs. Je dois me battre pour ma famille.

Je pense régulièrement à notre ancienne vie à Kidji et elle me manque. Aujourd'hui, c'est à Souloumri que je vis et j'ai accepté cette idée.

Amaga Godjide, 30 ans, abandonnée mais combative

J'ai vécu à Goudoumboul avec mes parents agriculteurs et éleveurs. Je les ai aidés durant toute mon enfance. Quand j'ai rencontré mon mari, nous nous sommes installés dans son village, à Mala-Brahim. La vie là-bas n'était pas facile mais nous affrontions ensemble les difficultés. Nous vivions grâce à l'agriculture.

Au début de l'année 2015, nous avons dû quitter Mala-Brahim en abandonnant notre maison et nos biens car notre village était régulièrement attaqué. Nous nous sommes installés dans le village de Gouachakalé. Ce n'est pas évident de recommencer à zéro. Au début je ne connaissais personne. Nous avons reçu un peu de terre afin de construire notre petite maison.

" Avec mon mari, nous avons eu neuf enfants. Il m'a abandonnée peu de temps après notre arrivée à Gouachakalé. "

Cinq sont décédés en bas âge. Depuis son départ, je dois élever seule nos quatre enfants survivants. J'ai beaucoup de difficultés à les nourrir. Ils ne vont pas à l'école. L'argent que je gagne grâce aux ménages que je fais n'est pas suffisant.

Lorsque nous sommes partis de Mala-Brahim, j'allaitais la dernière de mes enfants, Duala, qui avait bientôt sept mois. Comme le lait a cessé de couler, j'ai consulté des médecins et des tradipraticiens. Cela n'a pas changé grand-chose. Je suis obligée de nourrir mon enfant avec de la bouillie de mil ou des produits donnés par des ONG. Duala prend du poids lorsque je lui donne ces produits mais elle le perd tout de suite lorsqu'il y en a plus.

Je loue aussi un petit morceau de terre depuis cinq ans. Cela me permet de cultiver des arachides, du mil ou du maïs. Lors de la récolte, je partage la production avec le propriétaire de la terre.

Avant, j'avais mes champs, je ne manquais de rien. Mon mari était là et il m'aidait. J'ai tout perdu. Aujourd'hui, je dois travailler pour nourrir les enfants mais je n'y arrive pas.

Tongoché Njeré, réfugiée nigériane, troque de l'eau contre du sang

J'ai grandi chez une de mes tantes, à Mahintir, un petit village au Nigeria.

A 18 ans, j'ai fait la rencontre d'Ali Mahina, mon mari d'origine camerounaise. Nous cultivions des haricots, du blé, du mil. Nos trois premiers enfants sont nés au Nigeria. On se sentait bien là-bas, mais tout a changé en 2015.

Un jour que je rentrais avec les enfants du champ, des maisons du village étaient en feu. Des hommes armés étaient passés. Ils sont revenus plusieurs fois. Ils voulaient attraper mon mari, mais il avait fui au Cameroun. Quant à moi, ils voulaient me forcer à changer de religion, mais je n'ai pas accepté. Quand mon mari est revenu, nous avons pris la fuite pour Kerewa, un village au Cameroun proche de la frontière.

Là-bas, les rapports avec les autres habitants étaient bons. On arrivait à cultiver et à vendre nos produits sur le marché. Pourtant, nous n'étions pas vraiment en sécurité car les hommes armés faisaient parfois des descentes dans le village.

Durant une de leurs attaques, en 2017, mon mari a pris la fuite. Il a été arrêté car il n'avait pas sa carte d'identité. Il a fait plus de six mois de prison. A sa sortie, nous nous sommes installés à Souloumri. Cela va bientôt faire cinq ans que nous sommes là.

" Depuis le début de la crise, les enfants ne vont plus à l'école. Nous vivons sans faire de plan, tout peut arriver à n'importe quel moment. "

Aujourd'hui, nous sommes obligés de louer des terres sur lesquelles on cultive du haricot et du mil. Mon mari ramasse du bois en forêt. Il chasse aussi parfois des animaux sauvages, je les cuisine et les vends. Lorsque nous n'avons plus rien à manger, je vais à l'abattoir du marché afin d'obtenir du sang de vache en échange de deux bidons d'eau. J'y ajoute de la pâte d'arachide, du sel, des oignons, et je mets l'ensemble sur le feu. J'obtiens une pâte. Après avoir enlevé la part pour les enfants, je vends le reste aux habitants du village qui en raffolent.

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