Afrique: Cécile Mégie, Directrice de RFI - " Notre radio donne la parole à tous, même à ceux qui critiquent la France "

2 Novembre 2022
interview

Les lauréats de la " Bourse Ghislaine Dupont et Claude Verlon ", neuvième édition, seront connus aujourd'hui à Dakar. Dans cette interview accordée au journal Le Soleil, la Directrice de Radio France internationale (Rfi), Cécile Mégie, revient sur le sens de cette bourse, les péripéties qui rythment la vie de cette radio.

Cette année, Dakar accueille l'organisation des formations des journalistes et techniciens sélectionnés pour la neuvième édition de la " Bourse Ghislaine Dupont et Claude Verlon ". Qu'est-ce qui a motivé le choix de la capitale sénégalaise ?

Cette édition marque le retour de la formation par les journalistes et formateurs de Rfi et France Médias Monde, sur le continent africain. Après deux ans d'éditions à distance (en raison de la situation sanitaire : Covid-19), où la Bourse avait été élargie aux candidats de tous les pays d'Afrique francophone, nous avons néanmoins souhaité maintenir ce dispositif d'ouverture, et 12 pays sont représentés cette année dans la sélection des stagiaires. Pour revenir sur le continent, nous avons immédiatement pensé à Dakar, où sont installés la rédaction et les studios de Rfi en mandenkan et fulfulde, deux langues africaines transnationales. Nous pouvons y accueillir les 20 stagiaires, techniciens et journalistes, pour deux semaines de formation dans les meilleures conditions. Nous avons également le souvenir de la très belle édition de 2017 réalisée au Sénégal, avec un accueil si chaleureux. Nous sommes donc très heureux de revenir ici !

%

Cette bourse est créée en hommage à deux reporters de Rfi assassinés le 2 novembre 2013 à Kidal dans le Nord du Mali. Que représente-t-elle pour votre radio ?

Le 2 novembre a été décrété par l'Onu " Journée internationale de la fin de l'impunité pour les crimes commis contre les journalistes " suite à l'assassinat de nos deux reporters, Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Cet évènement, qui porte leurs noms, lancé en 2014, à l'initiative de notre présidente Marie-Christine Saragosse, garde ainsi leur mémoire vivante, à travers la transmission de leur passion et de leur professionnalisme à une jeune génération de journalistes et techniciens, femmes comme hommes, du continent africain. Aujourd'hui, dans le cadre de cette Bourse, l'émotion est bien sûr grande de voir, année après année, une génération de jeunes professionnels (180 au total), lauréats comme stagiaires, être dépositaires de cette mémoire et se revendiquer de ce professionnalisme. Au-delà de cette formation, l'occasion est aussi pour nous de réaffirmer les valeurs portées par Rfi : la défense des droits des journalistes, la liberté d'informer et la protection des professionnels de l'information à travers le monde.

Quel est l'intérêt, l'enjeu de miser sur la formation des journalistes et techniciens en Afrique ?

Avec l'organisation de cette Bourse, Rfi est dans son rôle de découvreur et de soutien aux jeunes talents des médias et du journalisme sur le continent. Nous le faisons aussi dans d'autres domaines, tout au long de l'année, comme la musique, le théâtre, la littérature, ou encore dans le sport ou le développement des nouvelles technologies. C'est également un vrai engagement pour faciliter l'insertion des jeunes dans un milieu professionnel qui n'est pas toujours simple. Par la suite, la possibilité de travailler avec ces jeunes aux compétences solides et sérieuses et de consolider le réseau de Rfi est un élément essentiel, notamment pour maintenir la proximité avec nos publics : Rfi a aujourd'hui un réseau d'environ 70 correspondants en français sur le continent et quatre rédactions en langues régionales africaines (mandenkan, fulfulde, haoussa et swahili) situées au Sénégal, au Nigeria et au Kenya, au plus près du terrain, et qui ont, elles aussi, leurs propres correspondants, tout comme nos rédactions en portugais et en anglais, deux langues également pratiquées sur le continent.

Le sentiment anti-français devient de plus en plus prégnant sur le continent. Comment voyez-vous la présence de Rfi en Afrique ?

Nous sommes pleinement conscients de l'existence de ce courant de pensée et de cette posture qui se développent, et nous en sommes parfois directement victimes. C'est notamment le cas avec la coupure de Rfi, mais aussi de France 24, au Mali, depuis le mois de mars, cette année. Je souhaite rappeler que Rfi est un média de service public indépendant, et nous travaillons au quotidien à être plus proches de ceux qui nous apprécient et nous écoutent non pas en tant que média français stricto sensu, mais comme média fiable, expert et équilibré. Notre radio donne la parole à tous, même à ceux qui critiquent la France, parce qu'une des caractéristiques de nos antennes est d'être un lieu de débat et d'ouverture. Nous avons par ailleurs la volonté de toujours expliquer, en étant transparents, notre façon de travailler dans nos rédactions. Les auditrices et auditeurs interviennent tous les jours sur nos antennes, par exemple dans le magazine " Appels sur l'actualité ", qui va proposer prochainement la nouvelle rubrique " Pourquoi Rfi dit ça ? ", qui vise à raconter, illustrer, le travail de nos journalistes. Un travail qui est encadré par des règles professionnelles et déontologiques, qu'il est important de partager pour renforcer la confiance de nos publics. Et, dans un monde où sévissent aussi la manipulation, la propagande, la désinformation, ce qu'on appelle communément les " infox ", cette démarche de transparence et de pédagogie est essentielle, autour de ce qui est le fondement du journalisme professionnel : la vérification de l'information et l'indépendance.

Au mois d'octobre 2019, Rfi inaugurait les bureaux de ses rédactions mandenkan et fulfulde. Trois ans après, comment se porte cette stratégie de proximité ?

Aujourd'hui, cette rédaction propose 2 heures quotidiennes de programmes dans chaque langue aux côtés du français, diffusées à travers 11 pays, en Fm et ondes courtes et une offre numérique disponible partout. Elle rassemble près de 30 journalistes et une équipe de techniciens, à Dakar, et 20 correspondants. Le fulfulde a enrichi son offre depuis décembre 2020. Les journalistes de la rédaction en mandenkan et fulfulde travaillent ensemble et participent à des conférences de rédaction communes, ce qui crée une émulation et des discussions stimulantes, et un enrichissement mutuel, surtout si l'on prend en compte le fait que les journalistes viennent des mêmes régions et pays, bien qu'ils travaillent dans une langue différente.

Rfi en langues africaines, c'est tout autant de l'information, recueillie rigoureusement par nos journalistes sur le terrain, que de nombreux magazines, avec des formats interactifs et tournés vers les auditrices et les auditeurs, et une diffusion sur le numérique et les réseaux sociaux où se trouve un public connecté et parfois plus jeune. C'est aussi une ligne éditoriale résolument axée autour de sujets de société : les droits humains, l'égalité femme-homme, l'accès à la santé, la sensibilisation aux sujets environnementaux, mais aussi de l'économie, de la politique ou encore de la culture... À ce titre, le nouveau rendez-vous dédié à la parole et à l'expérience de femmes, dans l'émission " Appels sur l'actualité ", le dernier vendredi de chaque mois dans les deux langues, illustre cette démarche.

Cet engagement est-il payant ?

Les résultats d'audience sont très bons. Les programmes de Rfi en langues africaines sont suivis, chaque semaine, par plus de la moitié des habitants âgés de plus de 15 ans (56%) dans 19 villes secondaires mesurées dans quatre pays (Sénégal, Mali, Burkina Faso, Niger). Ces programmes en langues africaines sont connus par près de 80% de l'ensemble des personnes interrogées. Leur utilité et leur fiabilité sont également très largement reconnues par les auditrices et auditeurs des 4 pays, avec respectivement 82% et 80% d'opinions favorables. Par ailleurs, le nombre de radios partenaires, indispensables pour la diffusion de nos contenus dans ces langues, continue d'augmenter, avec près de 250 radios partenaires (fin septembre 2021).

Comment se dessine l'avenir de Rfi sur le continent africain ?

Nous avons fait le choix de la proximité et de l'expertise, avec une attention toujours plus grande aux sujets qui concernent au quotidien nos auditrices et auditeurs, et nos internautes : problématiques de la vie quotidienne, les enjeux environnementaux et de développement durable, mais aussi la culture, le sport, l'éducation... Le développement des langues africaines est également un enjeu de premier plan au titre de cette proximité avec nos publics, incarnée par notre rédaction à Dakar, mais aussi à Lagos pour le haoussa, et à Nairobi pour le swahili. Et cette recette semble porter ses fruits. Les dernières enquêtes d'audience montrent que Rfi est la première radio internationale en Afrique francophone, et qu'elle figure dans le top 5 des radios les plus écoutées dans sept capitales francophones d'Afrique. Dans les huit pays mesurés, 96% des personnes interrogées connaissent Rfi. Enfin, l'Afrique reste le continent avec notre plus grand bassin d'auditeurs, et donc une priorité : sur 61 millions d'auditeurs, 45 millions viennent d'Afrique, francophone comme anglophone.

AllAfrica publie environ 600 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.