Afrique: Le travail de la CADHP est plus important que jamais

communiqué de presse

Nairobi — 35 ans après la création de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, il faut renforcer son indépendance et le rôle de la société civile africaine

L'importance croissante d'une protection renforcée des droits humains sur le continent africain prend tout son sens à un moment où plusieurs pays y sont confrontés à des crises aigues en matière de droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui, notant que la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP) fête son 35ème anniversaire en novembre 2022 à l'occasion de sa 73ème session ordinaire.

La Commission africaine, basée à Banjul en Gambie, est un mécanisme quasi-judiciaire chargé de promouvoir et de protéger les droits humains et les droits collectifs, et d'interpréter la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. La Commission reçoit les plaintes des États parties, des particuliers et des organisations non gouvernementales des 55 États membres de l'Union africaine.

" La création de la Commission il y a 35 ans est un rappel important que l'indépendance politique et la libération de l'Afrique sont mieux réalisées lorsqu'elles sont sous-tendues par les droits humains et la gouvernance démocratique ", a déclaré Carine Kaneza Nantulya, Directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. " Les dirigeants africains devraient garantir son indépendance et respecter ses décisions. "

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La Commission a été créée pour défendre les droits humains tant individuels que collectifs après une période durant laquelle l'Organisation de l'unité africaine (OUA), l'organisation qui a précédé l'UA, n'avait pas mis l'accent sur les droits et libertés individuels. Dans les années 1970, en l'absence de mécanisme régional de défense des droits humains, des groupes de la société civile et des organisations internationales se sont efforcés de dénoncer les violations des droits humains sur le continent. En 1979, un groupe d'experts a produit un projet de charte des droits de l'homme et des peuples, qui a été adopté à l'unanimité lors d'une réunion des chefs d'État de l'OUA à Nairobi au Kenya, en 1981, créant ainsi la Commission le 2 novembre 1987.

Depuis 2020, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 46 activistes africains, leaders d'opinion et experts, et avec des membres de la Commission et de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, anciens et actuels, qui ont partagé leur réflexions sur l'impact de la Commission et les défis auxquels elle est confrontée.

Outre la Commission, l'UA a créé la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples avec l'adoption le 9 juin 1998 d'un protocole à la Charte africaine, entré en vigueur le 25 janvier 2004. La Cour est compétente pour les affaires et les différends concernant les violations des droits humains et complète le mandat de la Commission.

La Commission a rendu plusieurs décisions cruciales, comme la décision de 2016 sur la République démocratique du Congo (RDC), qui ont élargi les normes et la compréhension des droits humains en Afrique et dans le reste du monde, notamment en ce qui concerne le droit au développement, les droits des peuples autochtones, les droits des femmes, les droits des enfants, les libertés des médias et les réponses gouvernementales respectueuses des droits à la pandémie de Covid-19.

Dans sa décision historique de 2016, la Commission a déclaré que le gouvernement congolais avait violé de nombreux droits humains dans sa répression brutale de manifestations pacifiques contre les opérations nuisibles d'une société minière étrangère. Cette décision a eu un impact significatif sur la jurisprudence du développement, car elle incluait une violation des droits au logement, tout en soulignant la nécessité et l'impératif juridique pour les entités engagées dans les industries extractives de mener leurs opérations en tenant pleinement compte des droits des communautés d'accueil.

La Commission a également rendu une décision historique en 2010 dans l'affaire Endorois, dans laquelle elle a constaté de multiples violations de la Charte africaine lors de l'expulsion des Endorois de leur terre natale dans le centre du Kenya. Il s'agissait de la première décision d'un tribunal international concluant à une violation du droit au développement, et de la première décision expliquant qui sont les peuples autochtones d'Afrique, et quels sont leurs droits à la terre.

La Commission a par ailleurs adopté des résolutions sur diverses questions relatives aux droits humains sur le continent. En 2020, elle a publié une résolution qui réaffirme que les droits humains et les libertés devraient être au cœur des réponses des gouvernements à la pandémie de Covid-19.

En 2021, la Commission a adopté une résolution sur le respect, sans restriction, du principe de non-refoulement des demandeurs d'asile et des réfugiés. Cette résolution condamne toutes les expulsions de demandeurs d'asile et de réfugiés vers des pays où leur vie ou leurs libertés seraient menacées.

Dans une résolution de mars 2022, la Commission a exhorté les États membres de l'UA à prendre des mesures pour protéger les groupes marginalisés et garantir leur droit à l'alimentation et à la nutrition, notamment pendant les crises prolongées, les conflits et lors de catastrophes naturelles.

La Commission a également élaboré plusieurs orientations juridiques sur la manière de mettre en œuvre les nombreux droits humains fondamentaux énoncés dans la Charte africaine et dans d'autres traités et documents relatifs aux droits humains, tels que le Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (le " Protocole de Maputo "). Ces orientations juridiques comprennent des commentaires généraux et des lignes directrices qui visent à renforcer les obligations juridiques existantes des États africains. Ces orientations constituent un outil essentiel pour formuler des normes, principes et règles sur lesquels les gouvernements africains peuvent s'appuyer pour élaborer leur législation. En mai 2022, la Commission a adopté ses Lignes directrices pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées en Afrique.

La Commission, en collaboration avec plusieurs activistes africains, a joué un rôle moteur dans l'établissement de normes africaines et le développement des règles sur le continent, notamment par la création de mécanismes importants, comme celui du Rapporteur spécial sur les prisons, les conditions de détention et l'action policière en Afrique en 1996, du Rapporteur spécial sur les droits de femmes en Afrique en 1999, du Rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l'homme et point focal sur les représailles en Afrique, et du Rapporteur spécial sur la liberté d'expression et l'accès à l'information en 2004, entre autres. La relation dynamique entre la Commission et les groupes régionaux de la société civile a conduit à une augmentation du nombre de groupes disposant du statut d'observateur auprès de la Commission, qui est passé de quelques dizaines dans les années 1980 à plus de 500 aujourd'hui.

Si ces exemples prouvent amplement que la Commission s'est, à bien des égards, acquittée de son mandat de promotion et de protection des droits humains, elle reste confrontée à des défis qui entravent son efficacité, notamment parce que les États membres de l'UA refusent d'exécuter les décisions de la Commission et d'autres organes de l'UA concernant les violations des droits humains et les crises démocratiques qui s'aggravent sur le continent.

La situation est aggravée par la décision prise en juin 2018 par le Conseil exécutif de l'Union africaine de restreindre le mandat et l'indépendance de la Commission, menaçant de la rendre obsolète et caduque et de compromettre les progrès réalisés par elle au cours des trois dernières décennies.

" Malgré de sérieux défis, la Commission a tenu bon et s'est rangée du côté d'innombrables victimes de violations des droits en utilisant des résolutions et des arrêts contre des gouvernements abusifs et en introduisant des plaintes devant la Cour africaine ", a déclaré Carine Kaneza Nantulya. " La Commission est probablement l'institution la plus importante créée par les Africains pour réaliser les objectifs et les valeurs fondatrices de l'UA. "

Récapitulatif des principales crises des droits humains en Afrique et des points de vue de dirigeants interrogés par HRW

Principales crises des droits humains en Afrique

En Éthiopie, la Commission mène une Commission d'enquête sur les crimes graves commis dans le Tigré. Bien qu'il pilote un processus de négociation, le Conseil de paix et de sécurité de l'UA n'a jamais abordé les allégations de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis par les parties belligérantes depuis que la guerre du Tigré a éclaté en novembre 2020.

Au Soudan, la Commission a exhorté les autorités soudanaises à rétablir l'ordre constitutionnel et à protéger les droits du peuple soudanais et a demandé aux partenaires régionaux et internationaux du Soudan d'intensifier leurs efforts pour résoudre la crise de la sécurité et de la gouvernance. Malgré l'insistance de la Commission, l'UA, qui agit en tant que médiateur, n'a pas soutenu les appels des activistes et des victimes soudanaises pour que soient engagées des réformes, que justice soit rendue et que les responsables soient tenus de rendre des comptes pour les meurtres du 3 juin et le coup d'État d'octobre 2021.

Au Soudan du Sud, la Commission d'enquête de l'UA de 2014 a recommandé la création d'une cour hybride sous la forme d'un " mécanisme juridique dirigé par l'Afrique, appartenant à l'Afrique et doté de ressources africaines sous l'égide de l'Union africaine ", auquel participeraient des juges et avocats sud-soudanais, et dont le rôle serait de rendre justice pour les crimes internationaux commis pendant le conflit au Soudan du Sud. Mais huit ans après, l'UA n'a toujours pas mis en place de cour hybride au Sud-Soudan.

Au Sahel, les dirigeants de l'UA n'ont pas encore pris de mesures adéquates contre les exécutions extrajudiciaires commises par des soldats et groupes armés islamistes qui favorisent le recrutement au sein de groupes armés abusifs et aggravent la crise sécuritaire dans la région.

Au Mali, si la Commission a appelé les autorités à respecter les libertés fondamentales, l'UA n'a pas fait pression sur elles pour qu'elles enquêtent sur les graves abus commis pendant leurs opérations militaires par les forces de sécurité maliennes et des forces qui leur sont alliées, notamment le groupe Wagner, une société de sécurité militaire privée liée à la Russie.

Dans plusieurs pays africains, dont le Burundi, le Cameroun, la République démocratique du Congo, le Mali, le Mozambique, le Niger et le Soudan du Sud, malgré de multiples appels lancés par les organisations de la société civile africaine et par la Commission, les dirigeants de l'UA n'ont pas dénoncé publiquement les crimes graves commis par les forces gouvernementales et n'ont pas fait pression pour que justice soit rendue aux victimes.

Points de vue de dirigeants de la société civile sur la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples

Certaines des personnes interrogées ont demandé à ne pas être identifiées par leur nom afin de pouvoir commenter plus librement.

Importance de la participation de la société civile

Le travail des activistes et des organisations de la société civile a contribué de manière décisive à l'efficacité de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples.

Fatou Jagne Senghore, Directrice régionale d'Article 19 pour l'Afrique de l'Ouest, a déclaré :

Certaines personnes interrogées ont souligné que le fait de défendre et de soutenir les questions relatives aux droits humains au sein de la Commission, même celles jugées controversées par les dirigeants africains, était essentiel pour garantir la participation et la contribution de la société civile aux travaux de la Commission.

Sibongile Ndashe, Directrice exécutive de l'Initiative pour un règlement stratégique des conflits (Initiative for Strategic Litigation in Africa, ISLA), a déclaré :

Don Deya, Directeur exécutif de l'Union panafricaine des avocats (Pan-African Lawyers Union, PALU) :

Un ancien président de la CADHP a déclaré :

Un ancien juriste de la CADHP a déclaré :

Expansion des droits économiques, sociaux et culturels

Les personnes interrogées ont rappelé les décisions marquantes de la Commission et leur impact sur la protection des droits au niveau national, en particulier sur les droits économiques, sociaux et culturels.

Kipsang Kipkazi, ancien Directeur exécutif de l'Endorois Welfare Council, a déclaré :

Juridictions complémentaires à la Commission et à la Cour africaine

Certains experts ont évoqué ce qu'ils considèrent être des moments déterminants dans la vie de la Commission, notamment lorsque des États ont accepté de comparaître devant la Cour africaine pour répondre aux allégations de violations graves formulées par leurs citoyens et par la Commission.

Don Deya a décrit une expérience marquante concernant la Libye, dans le cadre d'une affaire déposée devant la Commission par l'Initiative égyptienne pour les droits de la personne, Human Rights Watch et Interights :

Un ancien juge à la Cour africaine a déclaré :

Une ancienne commissaire a déclaré :

Affronter la justice et la responsabilité pour les crimes graves

Presque toutes les personnes interrogées ont fait part de leur frustration face à l'omniprésence d'une culture d'impunité et d'injustice, malgré la mise en place par l'UA de procédures d'enquête sur les droits humains dans divers pays.

Une avocate kenyane a noté :

Une activiste basée à Addis Abeba en Éthiopie a déclaré :

Un membre d'une organisation qui a récemment acquis le statut d'observateur auprès de la Commission a déclaré :

Le rôle des médias dans la promotion des droits humains en Afrique

Certains journalistes ont déclaré que les médias devaient faire davantage pour faire connaître la mission, le mandat et le travail de la CADHP et communiquer efficacement à leur sujet.

Un journaliste africain de Voice of America a déclaré :

Une journaliste de Radio France Internationale (RFI) basé à Nairobi a déclaré :

Douadé Alexis Gbansé, Rédacteur en chef de Connectionivoirienne.net, basé en Côte d'Ivoire :

Recommandations aux organes politiques de l'UA et aux institutions africaines des droits humains

Plusieurs personnes ont évoqué ce qu'elles considèrent comme des défis, notamment le manque d'engagement des OSC au siège de l'UA à Addis-Abeba, les difficultés opérationnelles de la CADHP et la réticence de l'UA à respecter ses engagements en matière de promotion et de protection des droits humains. Ils ont également formulé certaines recommandations. Beaucoup ont évoqué la déconnexion qu'ils ressentent entre les organisations de la société civile africaine et le Conseil économique, social et culturel (ECOSOCC). L'ECOSOCC a été créé en juillet 2004 comme un organe consultatif composé de différents groupes sociaux et professionnels des États membres de l'UA. Sa tâche est de permettre aux OSC africaines de jouer un rôle actif en contribuant aux principes, politiques et programmes de l'UA.

Une défenseure des droits humains a déclaré :

Un activiste de premier plan a déclaré :

Le dirigeant d'une organisation régionale des droits humains a déclaré :

Un ancien commissaire de la CADHP a déclaré :

Un activiste a déclaré :

Une avocate a déclaré :

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