Burkina Faso: Toussaint au cimetière de Gounghin - Entretenir le cadre de vie... des morts

Fête catholique à la base, la Toussaint est devenue au fil du temps une célébration œcuménique au cours de laquelle de nombreuses familles se souviennent de leurs proches disparus. Comme le veut la tradition ce jour-là, les cimetières sont nettoyés et les tombes fleuries. Au cimetière municipal de Gounghin le 1er novembre dernier, on a débroussaillé et fait passer la serpillière pour faire briller les lieux.

L'une tient un bouquet de fleurs, l'autre un bidon d'eau bénite. Depuis le début de la matinée, Sylvie et Lydie, deux sœurs d'un certain âge, rendent visite à leurs proches disparus. Après le cimetière de Tabtenga, leur tournée des tombes les conduit au cimetière municipal de Gounghin.

Aujourd'hui, il n'y a ni enterrement collectif de militaires tombés au front, ni inhumation de quelqu'un qui connaissait du monde, mais les parqueurs se frottent les mains. L'endroit grouille de monde. On y vient en famille. Dans les mains, des serpillières, du détergent, des seaux, des bidons d'eau, des râteaux et des coupe-coupe. Le nécessaire donc pour améliorer le cadre de vie des... morts. Après avoir fait reluire les sépultures, la dernière touche, c'est généralement leur fleurissement. Pour ceux qui seraient venus les mains vides, des fleurs en plastique ou fraîchement cueillies sont proposées à l'entrée du cimetière. Le synthétique avait la côte. Flairant le filon en cette journée de la Toussaint qui, à certains égards, ressemble à la Saint-Valentin, Alima a délocalisé spécialement son échoppe pour l'occasion. Elle écoule ses fleurs entre 500 et 1000 FCFA. Et les affaires marchent plutôt bien, nous indique celle qui doit fréquemment interrompre nos échanges pour accueillir un nouveau client.

%

Une fois le nécessaire acquis, il n'est pas toujours aisé de retrouver son chemin dans ce labyrinthe de tombes où la configuration des lieux change fréquemment au gré des nouvelles inhumations. Un homme finit par abandonner, ne retrouvant pas la sépulture de son gendre tombé dans l'attaque d'Inata.

Après s'être recueillies et avoir arrosé d'eau bénite la tombe d'un frère gendarme tombé au front, Sylvie et Lydie, les deux sœurs qui ont accepté que nous les suivions, ont du mal à retrouver celle d'une de leurs sœurs. Elles marchent avec précaution entre les stèles, s'arrêtent souvent pour se repérer et finissent par toucher au but. "J'utilise des repères pour me retrouver", souligne Sylvie, la plus jeune. L'année dernière, elles étaient déjà là. En 12 mois, les herbes ont à nouveau envahi la sépulture de leur proche décédée en 2019 à tel point que seul le monticule de terre indique encore où elle repose pour toujours.

Pour débarrasser la sépulture des ronces, les deux sœurs se sont attachées les services d'une des petites mains qui grouillent au cimetière en ce jour de la Toussaint. Armé d'une machette, Karim s'attaque à la végétation et en quelques minutes, l'adolescent remet tout en l'état. Pour ce coup de main qu'il donne, il n'exigera aucun centime : "Je ne demande rien, mais si on me donne je prends", confie-t-il.

Célébration œcuménique

Si ce sont en majorité des prières catholiques et des signes de croix qu'on observe devant les tombes, à la Toussaint, ce sont les familles de toutes les confessions qui se souviennent de leurs morts. Pour Ben, venu pour nettoyer la tombe de son grand frère, le soldat de première classe A. Aziz Kerégué, disparu il y a deux ans, les "morts n'ont pas de religion". Zalissa présente aux côtés de sa "coépouse" pour entretenir la tombe de l'époux de cette dernière, ne voit pas non plus un symbole religieux dans la Toussaint. "C'est le jour où tout le monde pense aux parents disparus. Nous aussi on ne voulait pas rester en marge", explique-t-elle.

Balai en main, dans le carré des martyrs, dame Bissiri nettoie la tombe de son époux, tombé au front en 2021. Son enfant qui avait 17 mois quand son père disparaissait s'amuse autour de son père endormi pour le repos éternel, insouciant. Non loin de là Mme Gambo est elle aussi en compagnie du benjamin de ses 3 enfants. Les deux femmes se connaissent pour avoir participé au programme Go Paga qui vise à accompagner les veuves et les orphelins des militaires morts pour la patrie. "Je suis venue voir mon mari parce que je pense toujours à lui et lui dire ce qui est dans mon cœur", raconte la seconde. Dans la bouche des deux veuves, revient fréquemment ce sentiment d'abandon, à la fois de l'armée et des belles-familles ; elles se retrouvent seules à supporter les charges familiales. "Seul Dieu connaît l'étendue de mes problèmes", soupire l'épouse du soldat de première classe Wendemi Gambo. Malgré leur solitude, ces veuves ont décidé de ne pas oublier ces héros avec qui elles partageaient leur vie. L'année prochaine elles seront de nouveau à leurs côtés, le temps d'une journée.

Hugues Richard Sama

Encadré 1

Toussaint et fête des morts, la grande confusion

La Toussaint ou la fête de tous les saints a été instituée officiellement en l'an 835 par l'Eglise catholique pour honorer tous les saints connus et inconnus. Le 1er novembre, la date choisie, est fériée dans le calendrier catholique. La Toussaint précède d'un jour la fête des morts qui, elle, est célébrée chaque 2 novembre depuis l'an 998. Selon la tradition, au cours de cette journée, les vivants nettoient et fleurissent les tombes de leurs parents disparus. Mais contrairement à la Toussaint, la fête des morts n'est pas fériée. C'est pourquoi les familles profitent du 1er novembre pour célébrer 24h à l'avance la fête des morts. De ce fait, la confusion est entretenue autour de ces deux célébrations.

H.R.S.

Encadré

L'autre fête des enfants

En compagnie de leurs parents, de nombreux enfants étaient au cimetière. Souvent, ce sont eux qui s'occupaient de balayer, de nettoyer et de désherber autour des tombes. "Si tu n'apprends pas à ton enfant à s'occuper d'une tombe, le jour où tu vas disparaître, il ne le fera pas pour la tienne", explique un parent.

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.