Congo-Brazzaville: Préservation et valorisation de la culture des peuples autochtones - Le combat de Sorel Eta

Défendre la culture des peuples Aka reste le but obstiné de l'ethnologue et écrivain Sorel Eta, qu'il développe dans son ouvrage de 182 pages intitulé " L'université de la forêt ", publié par la collection Nouvelles terres, aux éditions Presses universitaires de France (PUF). Il a été récemment présenté à Paris (France) et à Brazzaville (Congo).

Dans sa défense de la culture Aka, l'ethnologue congolais Sorel Eta pense qu'en sus de la déforestation, de l'acculturation et de l'ethnocentrisme, il existe une autre menace contre cette culture pygmée : la scolarisation. En effet, selon lui, le système pédagogique mis en place pour scolariser les autochtones porte en lui les germes d'une réelle destruction. Les Bantous qui le soutiennent à travers leurs associations ainsi que les autochtones attirés par le modernisme semblent ne pas s'en rendre compte. En d'autres termes, éloigner des milliers d'enfants de l'école traditionnelle, alors que ces derniers en ont besoin pour pérenniser leur culture, est une façon de mettre la charrue devant les bœufs. De ce fait, Sorel Eta se sent profondément préoccupé du sort des futures générations d'enfants autochtones.

Il admet qu'en partant pour l'école occidentale ou moderne, les enfants autochtones apprendront à lire, à écrire et à parler français. En revanche, le malheur réside dans le temps que prend cet apprentissage. A titre illustratif, il suffit, dit-il, de se représenter les années que passe un élève, du cycle primaire jusqu'à la fin du cycle secondaire, pour s'en convaincre. " Il y a lieu, dans ces conditions, de se demander à quel moment ils apprendront leurs traditions quand on sait que dans la forêt, les connaissances se transmettent de père en fils et de manière pratique. Sans compter qu'acquérir une formation digne de ce nom en forêt exige du temps ", précise-t-il.

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Si du côté de l'école moderne la formation demande beaucoup de temps, la réalité ne saurait être différente pour la formation à l'école de la forêt. Le peu de temps dont les élèves Aka de l'école occidentale disposent constitue un véritable obstacle à la connaissance du monde des arbres et des animaux, souligne Sorel Eta. Ajoutant que si, à l'école occidentale, l'enseignement est pluridisciplinaire, il n'en est pas autrement à l'école de la forêt. Les élèves autochtones sont appelés à acquérir des connaissances en botanique, en zoologie, en ethnologie, en écologie, en musique et en chamanisme, pour certains. Ils doivent aussi apprendre la navigation forestière. Le besoin d'apprendre leurs activités économiques de subsistance, telles la chasse et les diverses collectes, n'est pas moindre. A cela s'ajoutent les connaissances liées à leur croyance. Il y a des tas de choses qu'un enfant doit apprendre pour prétendre devenir un être humain complet, capable d'affronter la vie. Il est donc difficile à un enfant Aka de suivre les deux cursus, en même temps et de manière équilibre.

L'école de la forêt ne mérite pas d'être détruite

L'ethnologue congolais s'interroge sur un certain nombre d'aspects. De son point de vue, il privilégierait l'école de la forêt pour les Aka. " L'école étant le miroir d'une culture, il est nécessaire qu'un enfant Aka apprenne à connaître la forêt, ce qui est quasiment impossible à un âge plus avancé. Il faut s'imprégner de ces enseignements dès le bas âge. Ainsi aguerri, même si l'on délivre un enseignement supplémentaire à un Aka, il aura déjà eu de bases solides. Il se sera imprégné de sa propre culture, condition sans laquelle il ne saurait exister selon ses valeurs. Le contraire, c'est-à-dire l'éduquer à l'école occidentale dès son enfance, débouche sur la déroute. C'est ruiner les chances d'assimiler ensuite les différentes disciplines enseignées à l'école de la forêt ", signifie l'ethnologue.

En définitive, Sorel Eta pense que l'école de la forêt, avec ses méthodes d'apprentissage comme l'écoute, l'observation et l'imitation, ne mérite pas d'être détruite mais bien plutôt d'être préservée et valorisée. D'où le bien-fondé de sa mission d'enquêter inlassablement sur cette école, de s'approprier au mieux la qualité des enseignements dispensés. C'est l'objectif qu'il s'est assigné pour faire comprendre au commun des mortels une chose. " Nous gagnerons davantage à apprendre de ce peuple qu'à l'amener à vivre à notre image. Défendre cette culture reste mon but obstiné. Je veux faire comprendre à tous la valeur inestimable de l'université de la forêt. C'est pourquoi, préserver et valoriser la culture des peuples pygmées, tel est mon combat ", dit-il.

Notons qu'en préfaçant l'ouvrage " L'université de la forêt " de Sorel Eta, le Pr Dominique Bourg, grand écologiste franco-suisse, a souligné que parmi les points fondamentaux de ce livre, il y a l'insistance sur le mode spécifique de production et de partage des connaissances qui permettent aux Aka de vivre en forêt : il ne relève ni des sciences, ni de leur diffusion par les institutions scolaires et universitaires. Un mode qui ne convoque pas moins les esprits. Des connaissances sophistiquées dont la polyphonie est une manifestation éclatante.

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