Sénégal: Dr Momar Seck,artiste visuel - " La création plastique, ce n'est pas seulement peindre, dessiner "

6 Novembre 2022
interview

Dr Momar Seck est un artiste visuel sénégalais ayant vécu plusieurs années en Suisse. Lauréat du prix de l'Unesco pour la promotion de l'art, Dr Seck a été, pendant 10 ans, chef du département des Arts et design de l'Ecole internationale de Genève. Après ce long séjour en Europe, le plasticien a fait le choix de rentrer au Sénégal pour se mettre à la disposition de la culture de son pays. Dans cette interview accordée au journal " Le Soleil ", il évoque, entre autres points, l'importance de la formation, de la recherche dans la pratique artistique.

Après plusieurs décennies passées en Suisse, vous avez fait le pari de rentrer au pays. Qu'est-ce qui a motivé cette décision ?

Le but premier de mon séjour en Suisse c'était la recherche, la quête du savoir. Le but, c'était de développer une compréhension profonde du monde de l'art avec des éléments qui sont liés à la création, à l'identité culturelle. Mon objectif était d'arriver à amasser le maximum de savoirs qui pourront, d'une manière ou d'une autre, contribuer au développement culturel de mon pays. Après avoir enseigné une trentaine d'années en Suisse, en étant toujours en lien avec le pays, je me suis dit pourquoi ne pas rentrer pour faire quelque chose de plus concret en développant mon art à partir d'ici, parallèlement à cette notoriété acquise en Europe.

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Tantôt, vous avez mis en exergue la dimension formation dans le parcours de l'artiste...

Le plus important dans un domaine, n'importe lequel, c'est d'abord de développer des axes de compréhension du sujet que l'on souhaite étudier, développer. Elle doit être profonde. Il y a un aspect très superficiel qui peut nuire au sujet. Au Sénégal, j'avais un apprentissage clair, une compréhension des bases de la formation artistique. J'avais une idée des techniques et processus de création plastique. Mais, il me manquait la profondeur de la compréhension du sujet. C'est cette quête de savoir qui m'a poussée vers la recherche. Ayant acquis certains rudiments, aujourd'hui, il s'agit de permettre aux jeunes artistes au Sénégal d'avoir cette compréhension profonde dans le but de partager avec eux. La première chose que j'ai faite, c'était de partager ma démarche artistique par un livre que j'ai publié l'année dernière sous le titre " Art africain contemporain, ma démarche artistique en partage " (Baobab Edition). C'est une manière de dire que la création plastique, ce n'est pas seulement peindre, dessiner. Il est essentiel de prendre en considération tous les éléments liés à ce concept.

Au-delà de la formation universitaire, vous avez un parcours artistique très étoffé. Dites-nous-en un peu plus...

J'ai été formé à l'Ecole nationale des arts de Dakar. À la suite, j'ai obtenu une bourse de la Commission fédérale suisse de la culture. Cette bourse de 3ème cycle m'a permis de développer avec des artistes là-bas et de comprendre comment les choses fonctionnent : création, exposition, musées, galeries, partenaires culturels, entre autres. Au Sénégal, j'avais une formation pratique. Je suis parti chercher l'essence de ce qui me manquait : une compréhension des fondements, des liens qui peuvent se développer dans mon travail artistique. Cette formation m'a poussé à développer une recherche dans l'art africain contemporain. Je l'ai déviée un peu pour l'orienter vers l'utilisation des matériaux de récupération dans l'art africain contemporain en allant du Sénégal jusqu'en Ethiopie en passant par plusieurs pays d'Afrique. Cela m'a permis d'interroger les origines de cette création, ses relations avec celle artistique européenne. Ce séjour à l'étranger a été rythmé par des expositions en Suisse, France, à Cuba, aux Etats-Unis, notamment.

Avec le recul, quel regard portez-vous sur l'art africain contemporain ?

C'est un art en plein essor. Il se développe de manière extraordinaire. Je me réjouis que le Sénégal soit toujours au rendez-vous pour le rayonnement de l'art africain contemporain. D'abord, avec le Président Léopold Sédar Senghor qui a mis sur pied le Festival mondial des arts nègres, repris sous une autre déclinaison par le Président Abdoulaye Wade. Entre les deux, le Président Abdou Diouf a lancé la Biennale de Dakar qui constitue un phare pour la création plastique africaine. Aujourd'hui, l'art africain contemporain est très convoité dans les marchés de l'art. Il est considéré à sa juste valeur. Je crois que c'est un art qui va continuer à se développer. La seule chose sur laquelle j'insiste beaucoup auprès de mes collaborateurs, mes confrères artistes, c'est d'avoir une approche théorique de son travail pour le présenter, le défendre. Sinon, quelqu'un d'autre se l'appropriera et en parlera selon ses intérêts.

Vous insistez sur la dimension théorique de la pratique artistique. Pourquoi ?

C'est important de souligner cet aspect. Il ne s'agit pas fondamentalement de l'écrire mais plutôt faire des recherches pour y parvenir. La non-prise en compte de cette dimension pousse certains à penser que la création artistique n'a pas de valeur.

L'actualité de Dr Momar Seck, c'est une exposition en cours à Zurich... Quelle en est la tonalité ?

L'exposition se déroule à l'espace Ngala à Zurich - un centre d'art africain contemporain (27 octobre 2022- 15 mars 2023) sous le titre " Environment 2.0 ". J'y présente mes travaux liés à mes préoccupations plastiques, notamment l'environnement avec des matériaux de récupération. Dans mes œuvres, je mets en relief des paysages pour éveiller les consciences, sensibiliser sur l'importance de la faune et de la flore qu'il faut préserver. La notion de récupération est basée sur du textile détourné pour parler de la société. L'étoffe a une histoire dans chaque société. Le fait de mettre ensemble différents tissus permet d'établir un dialogue des peuples, des cultures.

Le 26 octobre dernier, l'écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop a reçu aux Etats-Unis son Prix Neustadt 2022. La couverture du livre a été illustrée par une de vos œuvres. Qu'est-ce que cela vous fait ?

Boubacar Boris Diop a toujours été une fierté pour moi avant d'accéder à cette possibilité de la réédition de son ouvrage " Murambi : le livre des ossements " par les éditions Flore Zoa de Suisse. Cette maison d'édition a fait le choix d'illustrer ses livres avec des œuvres parce que cela correspond à l'identité qu'elle veut développer. Avoir le livre de Boubacar avec mon œuvre dessus et cette consécration, c'est toute une fierté, un grand plaisir. Notre compatriote est une référence de par son talent, son dévouement, son engagement.

Vous citez Boubacar Boris Diop comme un modèle. De par votre trajectoire, vous êtes considéré comme un exemple qui inspire au regard de votre notoriété...

C'est un honneur d'être considéré comme un modèle pour de jeunes artistes. J'utilise cette référence pour ouvrir des opportunités pour eux au travers des échanges artistiques en faisant venir des artistes en Suisse pour des résidences. Vice versa pour le Sénégal.

Parallèlement à votre pratique artiste, les cours dispensés dans des universités, vous êtes très engagés dans le domaine de l'éducation, de la santé. D'où vous vient cet engagement ?

L'éducation a toujours été à la base de mon développement professionnel. J'ai toujours cru à la notion de transmission, de partage. Les jeunes générations ont besoin d'être aidées pour mieux comprendre les réalités du monde actuel. C'est par la formation que l'on peut y accéder. Je forme des jeunes qui vont dans des écoles de Beaux-arts. La base de cet apprentissage n'est pas la technique artistique, mais la compréhension et l'utilisation des liens sociaux. Ces artistes ne sont plus que des créateurs d'objets mais deviennent des créateurs dans la société. Du point de vue social, créer ce n'est pas seulement dessiner, c'est aussi créer des liens en développant les relations que nous avons avec les autres. J'ai développé ce volet social avec ma partenaire Stéphanie Kissner en mettant sur pied une association " Japalanté " basée à Genève avec une antenne au Sénégal pilotée par Libasse Ngom. Jerry Crossan soutient également l'association. Ensemble, nous regardons là où il y a des choses à développer, améliorer. Nous essayons de trouver les moyens de le faire. Dans cette dynamique, nous avons réfectionné des écoles comme l'école mixte de Bargny, nous avons aussi changé des abris provisoires.

Avez-vous des projets culturels en perspective au Sénégal ?

La première idée que j'ai, c'est le développement culturel et artistique de l'Ecole internationale de Dakar (Isd) où j'enseigne actuellement. Etablir des liens entre cet établissement et la population de Dakar, les institutions culturelles du pays (Musée des civilisations noires, Musée Théodore Monod, Centre culturel Blaise Senghor, entre autres). Avec mon atelier à Ouakam, il s'agira de créer des ponts avec les artistes locaux. Je me mets à la disposition de la culture du Sénégal.

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