Sénégal: Hommage à l'écrivain Alioune Badara Bèye, président de l'Association des écrivains du Sénégal

7 Novembre 2022
opinion

28 septembre 1945, 28 septembre 2022. Soixante-dix-sept ans déjà. C'est beaucoup. Ce n'est pas assez. Beaucoup pour quelqu'un qui attend de la vie ce qu'elle daigne donner. Pas assez si, comme Arthur Rimbaud, le poète aux semelles de vent, on entreprend de changer la vie. Changer la vie, c'est le projet de tout artiste pour qui l'Art est un outil et un bouclier, ce qui n'a rien à voir avec le souci matérialiste de transformer le monde. Alioune Badara BÈYE, dont l'anniversaire est célébré et en l'honneur de qui le Grand Théâtre National Doudou Ndiaye Coumba Rose a refusé du monde, ce mercredi 28 septembre 2022, est un auteur, précisément un des dramaturges de langue française les plus en vue au Sénégal. Ce n'est donc pas par hasard si le président du comité d'organisation de la touchante cérémonie n'est autre que l'inclassable homme de théâtre Pape FAYE.

Après le conteur Birago DIOP, la romancière Aminata Sow FALL et le poète Amadou Lamine SALL, BÈYE préside aux destinées de l'Association des Écrivains du Sénégal (AES). Depuis quand ? Qu'importe ! Le rôle lui va, tout comme celui de Christophe semblait n'être taillé que pour Douta SECK.

C'est en 1982 que je l'ai rencontré. Il venait de publier aux Nouvelles Éditions Africaines (NEA) sa première pièce de théâtre : Le sacre du cedo, retenue pour être interprétée par la troupe d'art dramatique du Théâtre National Daniel Sorano de Dakar dont le Directeur Général était feu Maurice Sonar SENGHOR. Comme mon œuvre théâtrale Adja, militante du G.R.A.S que j'ai traduite en wolof devait être jouée, au cours de la même saison, en l'occurrence en 1983, nous avons été reçus par le président de l'Assemblée Nationale d'alors, feu Amadou Cissé DIA, auteur de Les derniers jours de Lat Dior et de La mort du Damel, qui voyait en nous deux des auteurs susceptibles d'assurer la relève dramaturgique. À cette époque, je vivotais avec ma petite famille, en location, dans une chambre exiguë, à Colobane, juste en face de la maison de son père El Hadj Ibrahima dont une école élémentaire porte désormais le nom. Sa sœur Ndella et moi avons fréquenté, au même moment, la faculté des lettres et sciences humaines, à l'Université de Dakar. Sa mère et la mienne se connaissaient, liées par une parenté que je n'ai jamais essayé de creuser, mais que BÈYE évoque souvent.

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Après les deux jours (mercredi 28 et jeudi 29 septembre) que ses confrères, la communauté artistique et sportive ainsi que ses parents ont choisis pour lui rendre hommage, je lui ai fait part de l'interrogation de proches qui se demandent pourquoi je ne figure pas parmi les personnalités qui témoignent dans les reportages filmés retraçant son parcours littéraire. Il a souri et a remarqué : " Pourtant, tu es celui qui me connaît le mieux ! " De mon côté, j'ai toujours soutenu que si, parmi les écrivains du pays, j'ai un fan, c'est Alioune Badara BÈYE qui répond positivement à mes sollicitations et à celles des personnes (auteurs et particuliers) qui considèrent que je suis une voix à laquelle l'oreille du président de l'AES reste attentive. Comme l'a laissé entendre, un jour, lbrahima LÔ, Directeur du Livre et de la Lecture, je suis devenu, pour ainsi dire, un mur des lamentations en chair et en os. Un mur qui répercute les récriminations de personnes méritant compréhension et soutien.

Beaucoup de personnes bien intentionnées s'expliquent mal mes relations mi-figue, mi-raisin, avec celui que j'appelle " Mon Grand " et qui me gratifie de " Mon frère ". De source sûre, j'ai appris que certains, parmi lesquels le défunt cinéaste Ngaïdo BẬ, lui ont posé la question dont la réponse, à mon humble avis, se trouve dans un témoignage du Colonel Moumar GUÈYE. L'auteur du roman La malédiction de Rabi clarifie la posture du président de l'AES qui, parmi ses collaborateurs, préfère ceux qui sont loyaux à ceux qui sont compétents. Posture compréhensible qui est celle de quelqu'un qui a mûri dans un environnement où prospère la politique politicienne. BÈYE ferait un charismatique leader de parti. Je me suis souvent demandé s'il est un artiste affairé ou un authentique homme d'affaires. Je reviendrai plus amplement sur cette facette de l'homme. Je peux quand même jurer qu'il ne doute point de mon savoir-faire. C'est de ma loyauté qu'il doute ou qu'on lui fait douter, car, ici, une association, quelle que soit sa nature, fonctionne comme un parti politique. Il a mille fois raison de ne pas me faire confiance. Comment peut-il en être autrement ? Insaisissable à souhait, volontairement provocateur, je revendique toujours mon droit à la parole et manifeste ma liberté d'expression, lorsque je suis membre voire responsable dans une structure organisée. Pourtant je m'attache à honorer honnêtement et efficacement mes engagements. Ma loyauté envers mes amis et mes collaborateurs consiste à leur dire, sans filtre, le fond de ma pensée, à les encourager lorsqu'ils prennent de bonnes décisions et à les mettre en garde si mon intime conviction est qu'ils se fourvoient. J'ai une profonde aversion de la manie de poncepilater. Je me sens concerné par tout ce qui arrive au navire dans lequel je suis embarqué.

Témoigner sur une personnalité telle que le président Alioune Badara BÈYE pour ne retenir que sa générosité et ses largesses, c'est lui faire allégeance. J'ai gardé de mon mentor en sagesse traditionnelle, le défunt Samba Diabaré SAMB, ceci : Gewal su xamul sa i Maam, du la tagg, da fa lay càtu ! Ce qui signifier en substance que le griot qui ignore l'ascendance de quelqu'un ne le glorifie point, mais lui porte préjudice !

BÈYE mérite amplement l'hommage qui lui est rendu. Pas pour les services consentis aux uns et aux autres, parmi lesquels moi-même. Pas pour ses qualités de bon meneur d'hommes, ouvert, ayant le sens de l'écoute et sachant fermer les yeux et faire la sourde oreille. Si je tiens à témoigner, c'est pour reconnaître l'apport de l'homme à la situation des artistes et des écrivains du Sénégal. Déterminé et doué de clairvoyance, il a su enfoncer des portes autrefois hermétiquement fermées au nez des créateurs de rêves. C'est sous sa présidence que des écrivains, membres de l'AES, ont accédé à des postes prestigieux, jusqu'alors réservés aux seuls politiciens. N'est-il pas aussi le premier auteur, si je ne m'abuse, à mettre sur pied une maison d'édition indépendante, ouvrant le chemin à beaucoup d'autres ? C'est grâce à lui que j'ai compris le rôle des médias, singulièrement de l'audiovisuel dans le façonnage de l'image d'un homme public. Mais il ne laisse à personne le soin de son image, c'est lui qui s'en occupe et il sait embarquer la presse dans le jeu dont il est le maître absolu. Maître d'un jeu dont il est le principal animateur ! Maître de son destin, comme disait l'autre.

Si je devais recommander aux lecteurs une œuvre marquante de BÈYE, je leur proposerais une de ses pièces de théâtre, n'importe laquelle. Toutes portent, dans le fond, une certaine originalité et un souci d'ancrage dans la terre primordiale, dans le sol natal dont le jaloux amour et la viscérale fidélité des citoyens fondent, au-delà du civisme, le patriotisme. Mais, moi, ce qui me fascine, c'est la vie de l'homme qui est un véritable roman d'aventures. Il y a des créatures humaines qui n'ont besoin que de raconter leur vie pour subjuguer les masses. Feu Mamadou Traoré Diop faisait partie de ces livres vivants et captivants qui s'ignorent. Lorsque je l'écoutais me raconter ses frasques et ses accointances avec des icônes comme Yasser Arafat et Thomas SANKARA, ses voyages à travers le monde politique et intellectuel, je me disais : " Quel gâchis ! Au lieu de coucher sur le papier ce parcours extraordinaire qui ouvrirait les yeux à toute la jeunesse, il gribouille des poèmes et des pièces de théâtre que seuls ses amis vont faire semblant de lire ! "

Chaque individu colporte une part de lumière et une autre d'ombre. Celle-ci relève de ce que la romancière Monica SABOLO appelle " la vie clandestine " (Gallimard, 2022) qui est la face secrète de l'identité que chacun garde jalousement, mais qui fait de lui un personnage unique au monde, le héros d'une édifiante histoire. La part lumineuse que je saisis de BÈYE n'a rien à voir avec ses qualités humaines dont n'importe qui peut témoigner. Car ce qui me lie à lui, c'est ce qui lie l'âne à ses oreilles (Pat pat, tàggalerwul mbaam ak i noppam !), qui scelle le destin d'un couple prédestiné. À propos, je suis en train d'accoucher d'un roman dont le titre est Le monde est plein de faux couples. BÈYE et moi, nous formons un vrai faux couple. Une estime réciproque nous rapproche, irrésistiblement. Un dépit persistant élève un mur facile à franchir entre nous.

Longue vie, mon Grand.

Que Dieu nous garde sur la Voie sur laquelle seule nous guide sa Voix !

Par Marouba FALL

Officier de l'Ordre du Mérite.

Chevalier de l'Ordre national du Lion.

77 646 38 53 / marouba_fall@yahoo.fr

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