Afrique de l'Ouest: Sahel - Terroristes, tribalistes et trafiquants?

Des membres de Boko Haram se préparent à couper les mains de deux civils accusés de vol.
analyse

Aujourd'hui plus fréquemment posée qu'auparavant, cette question très complexe est désormais incontournable. Elle demande une réponse. Dix ans de guerres, avec l'appui de forces internationales, des morts, blessés, déplacés et des budgets en milliards de dollars, n'ont réduit ni la présence ni l'expansion du terrorisme. N'est-il alors pas temps de changer - d'analyse, de stratégie et de combat - se demandent, ouvertement, des experts et surtout les victimes, c'est-à-dire les populations?

La conférence organisée par l'Envoyée Spéciale de l'UE pour le Sahel, ce 22 novembre à Tunis, pourrait offrir l'occasion d'actualiser les regards sur cette région.

Combats et désullision.

En fait le Sahel est dans la tourmente depuis les années 1990 soit le retour victorieux, en Afrique du nord, des djihadistes partis combattre en Afghanistan. Sur la faillite des partis uniques des états du Sahel, s'est alors greffée la violence terroriste. Comme nouvelle idéologie et source sinon d'emploi du moins de prestige, le terrorisme, en se répandant très vite dans la région, a impressionné et attiré un grand nombre de jeunes. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui craignent que la fin du cycle soit encore loin de l'horizon.

Le terrorisme offrit alors une base idéologique et aussi la justification de bien des révoltes et rebellions locales. Parmi celles-ci, les conflits récurrents entre nomades éleveurs et cultivateurs sédentaires ont pris une nouvelle dimension. La fréquence des sinistres climatiques - sévères sècheresses alternant avec de violentes inondations que la COP 27 ne peut ignorer- a fragilisé l'agriculture et l'élevage mettant au chômage des milliers de jeunes ruraux. Leur choix se limitait à l'exode vers les capitales déjà surpeuplées, l'émigration vers un pays voisin et outremer ou enfin rejoindre les groupes djihadistes.

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Cependant, suite à sa défaite en Algérie et à l'échec de lucratives tentations matérielles liées aux divers trafics, le terrorisme s'est conformé à l'environnement tribal et communautaire sahélien, bien plus favorable. A côté d'Al Qaeda au Maghreb, AQMI, sont venus s'implanter l'Etat Islamique -EI- et d'autres groupes aux appellations et pratiques adaptées au terrain tels Boko Haram au Nigeria et diverses Katibas ainsi que le JNIM (Jamaat Nassruel Islam wel Musslimine) au Mali.

Aujourd'hui, la réalité est plus complexe. Après trois décennies de violences meurtrières, de destructions multiples et de luttes militaires, gouvernements, populations et même les terroristes semblent idéologiquement et militairement épuisés.

Assistons- nous alors à un renouveau ou est-ce simplement "business as usual", en d'autres termes, la violence armée est-elle devenue une contestation de routine?

Combats et négociations.

Les djihadistes, AQMI et EIS, ainsi que leurs alliés ne reconnaissent pas comme légitimes les gouvernements du Sahel qu'ils combattent. Loin d'être coupés du monde - en fait ils sont très présents sur les réseaux sociaux et disposent de leurs propres medias - ils savent que l'assistance militaire extérieure a prouvé ses limites en particulier en Somalie, au Sahel et bien sûr en Afghanistan. Par ailleurs très présents dans la juteuse exploitation des mines d'or de la région, ils n'ont pas de difficultés financières surtout en devises. Pas de négociation avec l'ennemi sauf par les armes est leur ligne de conduite. Avec, en plus, la conviction que, grâce à Dieu, le temps joue en leur faveur.

Les gouvernements devraient-ils alors chercher à négocier, par voie indirecte, sous couverture d'un cadre religieux ? Mais comment y arriver quand les deux principaux groupes islamistes dans la région sont en concurrence armée et donc prêts aux surenchères ? Ceci est d'autant plus important que tous ces mouvements voient l'Afrique comme un centre névralgique, un terrain d'expansion du djihad et d'activités lucratives. La réponse militaire - armée nationale et forces étrangères - reste la plus crédible quand bien même, et à la grande satisfaction des djihadistes, elle a montré ses limites.

La durée et la profondeur de la crise ainsi que ses multiples dimensions, y compris ses enjeux internationaux (Wagner de Russie contre la France et ses alliés occidentaux), obligent à se situer dans le long terme. En d'autres termes des reformes structurelles et de préférence simultanées, des armées nationales, deviennent indispensables. L'objectif est de renforcer la crédibilité des états et de leurs institutions auprès des populations afin que leur combat antiterroriste soit compris et soutenu.

Dans ce contexte, il serait intéressant de savoir si le terrorisme Sahélien est toujours lié aux organisations internationales ou s'il est autonome dans ses messages et ses opérations sur le terrain. En d'autres termes ne s'agirait-il pas d'organisations ayant d'autres objectifs moins religieux et plus économiques et commerciaux ?

Par ailleurs, les structures actuelles des armées nationales et leurs stratégies de défense sont-elles adaptées aux nouveaux combats anti - djihadistes ? Du Cameroun et Nigeria à la région des trois frontières (Burkina, Mali et Niger) rien ne permet de l'affirmer. De plus, la retribalisation progressive des sociétés ne favorise guère la montée en puissance de fortes armées véritablement nationales.

In fine, les gestions souvent patrimoniales des états aident trafiquants, tribalistes et terroristes à voir de beaux jours devant eux au Sahel. Cette resurgence de la "retribalisation", sur laquelle ils consolident leurs forces, semble irréversible dans plusieurs états sahéliens.

président centre4s.org

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