Sénégal: Pr Serigne Omar Sarr, Enseignant-Chercheur à l'Ucad - " Le Sénégal ne laissera jamais circuler un seul jour de plus un médicament nuisible à la santé publique "

8 Novembre 2022
interview

Professeur titulaire des universités, enseignant-chercheur à la Faculté de Médecine, de Pharmacie et d'Odontostomatologie, Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) Serigne Omar Sarr revient, dans cet entretien, sur le danger que constitue le marché illicite des médicaments au Sénégal. Cela, malgré, dit-il, la bonne maitrise du circuit légal de distribution.

Il a été fait état, récemment, dans la presse, d'une soixantaine de décès d'enfants en Gambie, suite à la prise de sirops contre la toux. Vous êtes pharmacien, vous travaillez aussi au laboratoire de contrôle des médicaments. Ce qui s'est passé en Gambie peut-il se produire au Sénégal ?

D'abord, permettez-moi de rappeler que le Sénégal n'est pas comparable à la Gambie du point de vue de l'organisation, du fonctionnement et de la régulation pharmaceutique. Ce genre d'intoxication est déjà arrivé dans des pays développés et peut aussi survenir dans tout pays où il existe un marché illicite développé : ce qui est le cas du Sénégal. Le Sénégal ne peut donc guère être à l'abri d'un tel phénomène. Nous alertons, il faut agir urgemment !

Le Sénégal a certes une tradition de régulation pharmaceutique, mais il existe tout de même des médicaments qui sortent du circuit légal et qui sont vendus dans le marché noir. Peut-on donc vraiment dire que le Sénégal maitrise la circulation des médicaments ?

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Même si des efforts sont à faire pour une meilleure accessibilité et disponibilité de médicaments de qualité, le Sénégal a une assez bonne maîtrise de la circulation des médicaments du marché légal. Mais ce qui se passe dans le marché illicite est totalement hors de tout contrôle et les risques d'iatrogénie sont très élevés. (Il faut signaler qu'iatrogénie désigne l'ensemble des effets indésirables provoqués par la prise d'un ou de plusieurs médicaments, Ndlr). Le pire peut se produire à tout moment.

Au-delà des sanctions pénales prévues contre ceux qui s'adonnent à la vente illicite de médicaments, quelles autres solutions préconisez-vous pour lutter contre ce phénomène qui met gravement en danger la santé de beaucoup de Sénégalais ?

Le Sénégal a ratifié la convention Medicrime qui criminalise toute activité illicite autour du médicament. Son incorporation urgente dans notre corpus juridique, législatif et règlementaire national confirmera une certaine volonté politique et marquera une nouvelle étape dans la lutte contre ce fléau.

Une autre approche de lutte consiste à la sensibilisation accrue de la communauté, en particulier de certains leaders communautaires et religieux aux dangers et risques liés à la consommation des médicaments de la rue. Il faudra aussi améliorer la disponibilité et l'accessibilité des produits de santé et éviter autant que possible les ruptures en médicaments et autres produits de santé. Toutes ces mesures seront combinées à une forte surveillance du marché, et un bouclage plus strict des corridors empruntés par des trafiquants véreux.

Il arrive aussi très souvent que des informations circulent dans le Net disant qu'il y a des médicaments mis sur le marché dans le seul but de réduire la natalité ou des histoires de ce genre. Les médicaments qui circulent légalement au Sénégal sont-ils soumis, auparavant, à un contrôle rigoureux ?

Les infox sont nombreuses, mais les réseaux sociaux ne sont pas le meilleur canal pour obtenir des informations scientifiquement validées et opposables. Il y a énormément de fausses informations de ce genre. Le Sénégal ne laissera jamais circuler un seul jour de plus un médicament nuisible à la santé publique. Le médicament est un produit mondialement surveillé et tout produit de qualité inférieure est retiré du marché afin de protéger la santé publique.

Le Sénégal dispose de plans d'assurance et de surveillance de la qualité de tous les médicaments officiellement autorisés. Le contrôle est règlementaire et technique. Il se fait selon des approches scientifiques validées et reconnues dans ce domaine. Beaucoup d'efforts sont faits et devraient être poursuivis pour assurer la constance de la qualité des produits de santé.

Est-ce que vous disposez de moyens nécessaires pour accomplir correctement votre mission de contrôle ?

Le contrôle a un coût certes élevé, mais la non qualité coûte plus cher et la santé n'a pas de prix, dit-on. Pendant longtemps, les moyens ont véritablement fait défaut. Toutefois, des efforts notoires sont en train d'être faits par les autorités pour renforcer les moyens et capacités techniques de contrôle vu son caractère indispensable. Les ressources humaines sont disponibles et il faudra les accompagner continuellement dans un processus inclusif d'amélioration continue.

Beaucoup de Sénégalais croient à la médecine traditionnelle. Ainsi font-ils recours aux plantes médicinales pour se soigner. N'est-il pas temps de réguler, d'organiser et d'intégrer cette forme de médecine ?

Nous sommes convaincus que la phytothérapie (à ne pas confondre avec la médecine traditionnelle qui est plus large, complexe et moins maîtrisée) est une approche de traitement scientifiquement validée et qui a sa place dans notre arsenal thérapeutique officiel. Il faudra vite un encadrement juridique approprié et un accompagnement scientifique des acteurs afin de mettre sur le marché des phytomédicaments fabriqués au Sénégal. La valorisation de la phytothérapie fait partie des projets identifiés dans le plan de relance de l'industrie pharmaceutique structuré en octobre 2021.

Effectivement, une réalité incontestable est le recours des Sénégalais aux plantes médicinales ; d'où l'urgence d'accompagner la recherche sur ces plantes et leur valorisation à grande échelle qui nécessitera de maîtriser un certain nombre de facteurs notamment la disponibilité continue d'une matière première de qualité.

Vous êtes enseignant en pharmacie. De plus en plus, on note que vos étudiants se retrouvent sans emploi après plusieurs années d'étude. Certains quittent même le pays pour aller chercher des opportunités ailleurs. Est-ce à dire que les effectifs ne sont plus maitrisés au département de pharmacie ?

Comme les autres filières, la pharmacie a connu progressivement la massification. Il y a annuellement un flux de bacheliers à orienter dans les universités et écoles de formation. La formation du pharmacien doit répondre à un besoin du marché. Une réflexion et une planification s'imposent, car nos produits sont capables d'intégrer le marché de l'emploi dès leur sortie. L'État peut atteindre son objectif d'orientation sans compromettre les chances d'employabilité des futurs pharmaciens.

Pour y arriver, il suffira : (1) de privilégier l'enseignement en ligne ou bimodal en première année ; ce qui permettra d'orienter tous les bacheliers scientifiques qui veulent faire pharmacie ; (2) de renforcer les intervenants en première année puis d'organiser en fin d'année universitaire un concours de passage en deuxième année en fixant un numérus clausus modulable en fonction des besoins du pays et de la demande étrangère. Les étudiants des universités et écoles privées de formation de pharmaciens passeront aussi ce concours de passage.

Ce contingentement devrait garantir une meilleure qualité de formation, une meilleure insertion professionnelle et un exercice professionnel davantage sécurisé.

À titre de comparaison, la Côte d'Ivoire forme annuellement 70 pharmaciens pour une population de presque 30 millions d'habitants, alors que le Sénégal forme au moins 200 pharmaciens par an pour 17 millions d'habitants. Comparons les ratios. Il convient vite de rectifier le tir avant qu'il ne soit trop tard.

Vous êtes membre de l'ordre des pharmaciens. N'est-il pas temps d'ouvrir davantage votre corporation, je veux dire octroyer plus de postes et régulièrement à ceux qui veulent implanter des officines afin de résorber le nombre de diplômés encore sans emploi ?

L'octroi d'officines n'est pas du ressort de l'Ordre qui donne un avis consultatif et veille à un exercice professionnel sécurisé et de qualité. L'ouverture des sites d'officines de pharmacie est du ressort du Ministère de la Santé à travers l'Agence sénégalaise de règlementation pharmaceutique et répond à des critères bien définis.

On remarque aussi que beaucoup d'officines sont devenues des entreprises familiales avec des vendeurs qui ne sont pas formés ou qui ont subi une formation accélérée de quelques mois seulement. Cela ne constitue-t-il pas un problème, si l'on sait que le médicament est un produit très sensible ?

Nous n'avons pas de données représentatives qui étayent votre propos. Le vendeur en pharmacie est sous la responsabilité du pharmacien titulaire qui est le garant de sa compétence et de son professionnalisme. L'ordre des pharmaciens, en collaboration avec l'inspection pharmaceutique, veille à cette obligation de compétence autant que possible. Des formations continues sont proposées au personnel des pharmacies et des réflexions sont en cours pour mieux l'organiser. L'Université, l'Ordre et le Syndicat des pharmaciens privés travaillent sur des projets d'amélioration de la qualité des ressources humaines, car une compétence doit être maintenue.

On ne sent pas beaucoup l'université dans la réflexion sur la nécessité de fabriquer, par nous-mêmes, nos propres médicaments. Et pourtant la Covid-19 a montré que les pays du sud, de façon générale, sont très vulnérables sur ce plan. Qu'en est-il réellement ?

L'université n'est pas une industrie pharmaceutique. Elle peut proposer, à travers les résultats de la recherche, des candidats-médicaments à des industriels intéressés. Le processus de découverte d'un candidat médicament est long, complexe et nécessite des investissements lourds qui manquent encore aux universités. De nombreux résultats de recherche attendent d'être financés pour une finalisation et une valorisation.

Des contrats ou projets de recherche Entreprises-Universités devraient être encouragés par l'État, avec à la clé des subventions ou avantages fiscaux accordés aux entreprises qui financent des thèses comme sous le modèle des bourses Cifre (Conventions industrielles de formation par la recherche) en France ou ailleurs. Ce dispositif réunit 3 acteurs : l'entreprise (qui recrute en Cdi ou Cdd), le laboratoire de recherche académique (encadreur du salarié-doctorant) et le doctorant qui bénéficie d'une double formation académique et professionnelle.

Le financement souverain de la recherche scientifique demeure incontestablement le meilleur moyen pour assurer une émergence durable du Sénégal. Nous espérons que l'exploitation des ressources naturelles (pétrole, gaz, etc.) permettra de financer un véritable plan Marshall de la Recherche sénégalaise et que le plan stratégique d'une recherche nationale souveraine sera bientôt disponible.

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