Tunisie: Fonds monétaire international | Moez Joudi, Président de l'Institut Tunisien des Administrateurs, Enseignant-chercheur et Administrateur de sociétés, à La Presse - "J'appréhende mal 2023"

9 Novembre 2022
interview

"J'appréhende mal 2023 qui sera l'année de tous les dangers aux niveaux économiques et financiers et notamment de ce qui attend le pays en termes de remboursement des dettes face à des prévisions de croissance en deçà des besoins et des attentes". Moez Joudi, docteur en sciences économiques et de gestion, président de l'Institut tunisien des administrateurs (ITA), enseignant-chercheur et administrateur de sociétés, fait le point de la situation.

Quelle est votre perception quant à l'accord préliminaire entre le FMI et la Tunisie au titre du mécanisme élargi de crédit d'une durée de 48 mois et pour un montant d'environ 1,9 milliard de dollars ?

Le FMI est un organisme financier international incontournable dans les situations de difficultés économiques et financières au niveau des Etats de ce monde. Avant le 14 janvier 2011, la Tunisie a eu à faire au FMI dans le cadre du Plan d'Ajustement Structurel (PAS) en 1986 et les réformes prévues ont été bien réalisées avec un remboursement des crédits octroyés vers le début des années 90. Après le 14 janvier 2011 et durant toute cette dernière décennie, la Tunisie a eu recours au FMI deux fois, outre le troisième accord en cours de finalisation. C'est trop, d'autant plus que les vraies réformes de fond n'ont pas été encore réalisées jusqu'à ce jour et que les accords de 2013 et de 2016 n'ont pas atteint les résultats escomptés. En fin de compte, ils n'ont fait qu'alourdir la dette publique. Le plus important, ce n'est pas de conclure des accords avec le FMI, mais de pouvoir réaliser les réformes convenues et de relancer l'économie nationale.

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Comment percevez-vous les réformes imposées par le FMI pour conclure cet accord au mois de décembre prochain ?

D'abord, ce ne sont pas des réformes imposées par le FMI. Ce sont des réformes utiles et nécessaires proposées au FMI par les différents gouvernements, y compris l'actuel. Ces réformes doivent se réaliser afin d'arrêter l'hémorragie des déficits publics et dans l'objectif de fournir les meilleures conditions pour une relance économique saine et durable. À titre d'exemple, quand on parle de la réforme de la fonction publique ou de celle des entreprises publiques, je ne pense pas qu'il y a encore des débats à faire sur la nécessité de réduire la masse salariale ou de privatiser les entreprises publiques qui ne sont pas stratégiques et qui opèrent dans des secteurs concurrentiels.

Ce sont, aujourd'hui, des évidences et ce sont des réformes qui auraient dû être faites depuis longtemps. Je dirais même plus que ce sont avant tout des mesures de bon sens et des décisions qui vont dans l'intérêt des équilibres fondamentaux de l'économie nationale et des finances publiques. Sur les réformes prévues, j'insisterai sur la réforme financière et bancaire qui doit se poursuivre après la loi de 2016 et s'orienter vers plus d'ouverture et d'adaptation du système bancaire et financier tunisien avec les besoins et les attentes des opérateurs économiques, tout en se mettant au diapason des évolutions des systèmes au niveau international, notamment en matière technologique et digitale.

Que pensez-vous des recommandations formulées par le FMI ?

Le FMI insiste surtout sur la nécessité de s'engager sur la réalisation des réformes convenues et on ne peut être que d'accord à ce niveau. Par contre, il faut rappeler que l'aspect politique et social est aussi important que l'aspect économique pour la réalisation de ces réformes. Si les responsables politiques et syndicaux de ce pays ne s'entendent pas sur une feuille de route claire et nette avec un rétro-planning des projets de réformes et des décisions opérationnelles, des check-points, des évaluations, des plans d'action et un suivi des premiers résultats, le nouvel accord échouera, à l'instar des deux précédents.

Le FMI s'attend à une croissance économique en Tunisie qui devrait s'établir à 2,2 % en 2022 et à 1,6% en 2023. Quels sont les facteurs qui influent sur ces prévisions ?

D'abord, signalons le fait que ce sont des taux faibles qui ne reflètent pas le bon rythme de croissance dont la Tunisie a besoin dans cette conjoncture. Deux ou trois points de croissance ne suffisent pas pour faire face aux multiples engagements du pays. En 2023, par exemple, nous aurons besoin de plus de deux points de croissance rien que pour faire face au service de la dette.

Imaginez les conséquences avec un point et demi seulement de croissance. D'ailleurs, c'est à ce niveau que les réformes doivent être faites essentiellement : libérer l'initiative privée, alléger les formalités administratives, appuyer l'investisseur, arrêter de diaboliser les chefs d'entreprise, adapter la fiscalité et la relier à des objectifs de croissance, développer l'infrastructure, limiter l'informel, s'ouvrir sur les nouveaux mécanismes de financement, accélérer la digitalisation, réformer le code de change...

Combien de temps l'incertitude peut-elle persister et donc affecter les perspectives économiques ?

Le manque de visibilité persiste en Tunisie et affecte certes la vie économique. Je pense que c'est l'un des principaux freins aux réformes et à la relance économique. Ça vient surtout du manque de visibilité au niveau politique avec une absence de stabilité. Il s'ensuit qu'il y a trop d'ambiguïté au niveau du devenir politique et social du pays et une défaillance persistante aux niveaux du discours et de la communication gouvernementale. Ce manque de visibilité et cette ambiguïté affectent les plans de réforme et altèrent le niveau de confiance des institutions internationales. Je pense que le FMI prend ces éléments en compte d'où les conditions drastiques d'obtention et d'échelonnement du nouvel accord prévu. Je salue les efforts déployés par la Banque Centrale de Tunisie (BCT) visant à rassurer le FMI et à apaiser les mauvaises appréhensions des agences de notation internationales.

Quel regard portez-vous sur la situation et sur la gestion de la crise économique et financière par la Tunisie ?

C'est une crise économique et financière qui dure dans le temps et qui fait perdre plusieurs acquis au pays. Aujourd'hui, le moral du citoyen est à plat et le Tunisien n'arrive plus à joindre les deux bouts avec une inflation galopante et une détérioration du pouvoir d'achat. Outre l'endettement public qui devient lourd et alarmant aussi bien en interne qu'en externe. Même si je reste optimiste dans l'absolu, je ne vois pas encore le bout du tunnel et j'appréhende mal 2023 qui sera l'année de tous les dangers aux niveaux économiques et financiers au vu notamment de ce qui attend le pays en termes de remboursement des dettes, face à des prévisions de croissance en deçà des besoins et des attentes.

Êtes-vous confiant en la capacité de la Tunisie à infléchir la courbe du déficit budgétaire et de l'endettement sur les prochaines années ?

La Tunisie est capable de résorber ses déficits et de limiter son endettement durant les prochaines années à condition que la masse salariale du secteur public soit réduite, les recettes budgétaires soient en croissance et les gouvernements dépensent ce qu'ils auraient vraiment, est-ce le cas maintenant ? Est-ce que ce serait bien le cas en 2023 ou 2024 (année électorale) ?

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