Ile Maurice: Baisse du pouvoir d'achat - L'"Inflation Diet" gagne-t-il Maurice ?

Affichant 11,9 % en glissement annuel pour octobre, le taux d'inflation maintient sa position. L'impact sur le panier de la ménagère, nous le ressentons tous d'une façon ou d'une autre, avec la baisse du pouvoir d'achat. Dans ce contexte, un aspect de notre mode de vie directement affecté, est bien l'alimentation. En effet, durant la période post-Covid, si les consommateurs étaient prédisposés à faire plus attention à leur santé, incluant une meilleure alimentation, l'effet de l'inflation change bien de bonnes résolutions. Donc, manger mieux oui, mais le porte-monnaie peut-il tenir le coup ? Cela reste à voir.

Au niveau international, selon une étude de McKinsey & Company publiée en octobre et réalisée aux États-Unis au Royaume-Uni, en France et en Allemagne, la tendance vers le "conscious eating" est là pour durer, mais fait face à bien des défis. Il ressort qu'au moins 70 % des personnes interrogées sur l'ensemble des marchés étudiés souhaitent être en meilleure santé et l'alimentation est essentielle pour atteindre cet objectif. Toutefois, cette bonne volonté rencontre quelques obstacles.

Pour commencer, selon le rapport, près de 50 % des consommateurs admettent avoir des difficultés à comprendre ce qu'ils doivent faire pour atteindre cet objectif du manger-mieux et que des informations simples et faciles à comprendre sur l'impact de certains produits sur la santé pourraient faire toute la différence pour les consommateurs. On retrouve aussi la non-disponibilité de ces produits, qui pourrait être une entrave, de même que la facilité de nos jours à commander du home delivery, entre autres.

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Les difficultés économiques de nombreux ménages sont évidemment un autre élément qui affecte la capacité des consommateurs à mieux manger. Selon l'étude de McKinsey, réalisée dans des pays tout aussi affectés par la poussée inflationniste et l'impact de la hausse des taux d'intérêts sur l'endettement des ménages, les consommateurs sont confrontés à des choix difficiles concernant les aliments qu'ils achètent. 74 % des consommateurs modifient donc leur comportement d'achat pour en avoir plus pour leur argent, notamment en achetant des aliments en vrac, en ajustant les quantités achetées et en achetant une marque moins chère. Dans le même élan, la CNBC nous parle de la tendance de la shrinkflation, qui implique que des produits de consommation deviennent plus petits en poids, taille ou quantité alors que leurs prix restent les mêmes ou augmentent.

Quid de la situation à Maurice ? Déjà en 2017, selon le dernier Household Budget Survey de Statistics Mauritius disponible, les dépenses moyennes d'un foyer pour la catégorie Food and non-alcoholic beverages s'élevaient à Rs 7 135 par mois et représentaient 24,9 % des dépenses d'un ménage. Or, le revenu mensuel net d'un ménage affichait Rs 36 803 en 2017 et le salaire minimum était à Rs 8 140, alors que l'inflation était de 3,7 % et que le prix de l'essence à la pompe variait entre Rs 38 et Rs 48 le litre. Aujourd'hui, le salaire minimum est certes passé à Rs 10 575, mais l'inflation affiche 11,9 % en glissement annuel et devrait être de 10,4 % pour 2022 - selon le rapport MCB Focus - sans oublier le prix de l'essence qui a atteint Rs 74,10 le litre. De plus, la dette des ménages, incluant le logement, est en hausse, passant de Rs 127,4 milliards en janvier à Rs 138,9 milliards en août 2022.

Face à cela, les Mauriciens ont-ils le désir de manger "mieux" et si oui, le peuvent-ils vraiment ? "Ces dernières années on note définitivement une demande pour des produits perçus comme plus sains avec des légumes surgelés et même des burgers ou des biscuits bio. L'idée générale est que ces produits sont plus naturels et contiennent moins de pesticides, entre autres. Donc, s'il y a cette offre, c'est qu'il y a aussi une demande. Toutefois, le pourcentage de cette demande est faible, on parle d'une minorité qui peut se permettre d'acheter majoritairement des produits bio. Au niveau des achats, les autres produits surgelés dominent. Cela dit, les Mauriciens trouvent d'autres moyens de compenser, par exemple, ils demandent que le poulet soit sans la peau", dit Ignace Lam, directeur de la chaîne de supermarchés Intermart (Mru).

Selon lui, consommer mieux est une tendance à Maurice et les producteurs locaux sont mieux organisés dans la production et le packaging de leurs produits, ce qui attire plus de clients. Les produits locaux, incluant les fruits et légumes, sont aussi visibles dans les supermarchés, mais le hic, ils sont dans la majorité des cas plus chers. "Les Mauriciens sont health-conscious mais ils sont aussi cost-conscious. Le segment de la population qui peut se permettre de consommer ce type de produits bio, etc. en majorité, n'est pas conséquent. Nous adaptons donc notre offre et donc nos bons de commande à ce constat pour éviter de nous retrouver avec des produits expirés faute de trouver preneurs", ajoute Ignace Lam.

En effet, la montée des prix affecte beaucoup les achats alimentaires, car ne l'oublions pas, le pays dépend davantage de l'importation. Entre les mois d'août et septembre, l'inflation sur la catégorie Food and nonalcoholic beverages a augmenté de 1,4 % et de 0,4 %. Si vous ajoutez cela à l'augmentation des autres dépenses - transport, servicing des dettes ou santé - le porte-monnaie en prend définitivement un sacré coup.

Finalement, nous avons une population qui veut surveiller ses habitudes alimentaires, mais ne peut pas forcément le faire à travers l'achat dans les grandes surfaces. Heureusement, au niveau de la production, l'utilisation des pesticides se fait avec plus de contrôle. De manière générale, cette volonté de mieux manger est une opportunité, peut-être, pour les petits éleveurs ou ceux qui veulent avoir leur petit potager à la maison ; mais dans l'ensemble manger mieux reste difficile. Entre les risques d'une santé fragilisée pour le consommateur et d'une éventuelle pression sur les services de santé publique, l'alimentation devrait être au top de nos agendas !

Jacqueline Sauzier, secrétaire générale de la Chambre d'agriculture: "Les gens veulent manger mieux, mais pas à n'importe quel prix"

"Nous avons effectivement constaté que, de manière générale, les gens veulent manger mieux, mais aussi selon leur budget. Notre rapport publié en juillet 2022, "Vers la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires en cultures vivrières à Maurice" démontre bien une volonté claire de réduire l'utilisation des pesticides. En comparant les données d'une enquête auprès de 300 planteurs en 2015 et 2021, nous avons constaté que l'utilisation des pesticides a globalement baissé de 36,9 %. Par ailleurs, nous accompagnons 13 bénéficiaires du programme Smart Agriculture de la Chambre d'agriculture de l'île Maurice sur des parcelles tests pour démontrer que changer ses pratiques culturales est possible. D'ailleurs, certains d'entre eux ont adopté les techniques préconisées sur toutes leurs parcelles et ont ainsi mieux valorisé leur production. Ces derniers ont réduit leurs applications de produits chimiques de 38 %, globalement, et jusqu'à 94 % sur la calebasse. Ils ont pu le faire tout en maintenant le volume de production."

"Le réseau Smart Agriculture prône ainsi une agriculture durable et responsable. Lors de nos visites sur le terrain, les planteurs de ce réseau transmettent le souhait des consommateurs d'avoir accès à de plus en plus de produits issus d'une agriculture saine. Cependant, ils disent aussi être dans des impasses techniques pour assurer cette transition. Le manque de formation et d'accompagnement technique est souvent un point de blocage pour prendre le risque de produire différemment. Il existe une législation sur l'utilisation des produits chimiques, mais il arrive aussi que des solutions alternatives économiquement viables ne sont pas disponibles. C'est donc l'impasse technique et, pour ne pas perdre sa récolte, c'est le retour de la culture conventionnelle. Cependant, il ne faut pas tirer à boulets rouges sur tous les planteurs. Dans notre enquête, nous avons pu constater que 61 % des planteurs interrogés disent respecter les délais avant la récolte, comprendre les risques liés aux produits phytosanitaires et sont demandeurs de formation et d'accompagnement."

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