Ile Maurice: Croissance et marché des changes - L'efficacité de l'intervention de la BoM de USD 100 millions discutable

11 Novembre 2022

L'instabilité du marché des changes perdure, forçant la banque centrale à intervenir avec un total de USD 3,5 milliards injectés sur le marché depuis le début de la pandémie. Si nous pouvons constater une reprise économique, principalement menée par la performance du tourisme, la réalité est que nos revenus en devises ne suffisent toujours pas face à nos dépenses, forçant la BoM à intervenir puisant de ses réserves internationales qui affichent une baisse de USD 829 millions entre septembre et octobre, sans compter le poids des dettes et des dépôts bancaires qui gonflent le montant des réserves. Vendre des devises sur le marché est un mal nécessaire oui, mais soutenable jusqu'à quand ?

USD 100 millions. C'est le montant de la dernière intervention de la banque centrale sur le marché des changes mercredi, sa deuxième plus grosse intervention pour fournir le marché en devises étrangères après l'injection de USD 200 millions en une opération en avril dernier. Signe de la faiblesse de la disponibilité de devises étrangères face à l'excès de liquidités sur le marché. Du premier coup d'œil cette intervention massive n'aura eu que très peu d'impact sur la performance de la roupie, le dollar s'échangeant à Rs 43,80 hier, selon le taux de change indicatif de la MCB, contre Rs 43,80 toujours, le 1er novembre, Rs 44,15 le 2 septembre et Rs 44,65 le 2 août dernier.

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Aussi, d'aucuns pourraient penser que si impact il y aura, il ne sera que de courte durée comme cela a été le cas suivant la vente de USD 200 millions en avril. En effet, si le dollar s'échangeait à Rs 44,30 le 7 avril, la roupie a repris du poil de la bête le 14 avril, soit au lendemain de l'intervention massive de la banque centrale pour s'établir à Rs 42,90, mais pour vite remonter à Rs 44 le 9 juin et plus de Rs 45 en juillet.

Donc, si l'approvisionnement du marché en devises internationales par la BoM est nécessaire en ce moment face à la forte demande, son impact sur la roupie reste bénin. Aussi, le problème fondamental qu'est le manque de devises accru sur le marché reste entier, cela alors que la BoM ne pourra évidemment pas alimenter le marché en devises ad vitam aeternam, ayant déjà injecté pas moins de USD 3,5 milliards depuis la pandémie et USD 585 millions de janvier à ce jour.

Les questions suivantes sont donc de mise : pourquoi la meilleure performance de notre économie depuis la pandémie et le retour des touristes chez nous ne contribuentils toujours pas à stabiliser le marché des changes ? Quelles sont les conséquences des interventions de la BoM sur le montant des réserves internationales en devises ? Mais aussi, comment redonner confiance au marché et le stabiliser sans intervention à impact temporaire ? Voyons cela de plus près.

Maurice étant un petit marché, nous sommes dépendants du commerce des biens et services à l'international, donc en devises étrangères, pour faire fonctionner l'économie. Oui, la reprise économique est là, les investissements directs étrangers vers le pays se portent mieux, le secteur offshore tourne, le tourisme reprend vivement des couleurs et les exportations se portent mieux que pendant la période Covid-19. Pourtant, ces entrées en devises ont peu d'impact réel sur le marché. On vous explique pourquoi.

Le déficit du compte courant, c'est-à-dire le montant de nos dépenses en devises face à nos revenus, via le tourisme, les exportations, l'offshore, l'investissement et les emprunts entre autres, reste trop élevé. Ce déficit est estimé à 14,4 % du PIB pour 2022, selon le rapport MCB Focus.

Déficit commercial de Rs 190 Mds

Le pays a attiré pas moins de 638 332 touristes de janvier à septembre, représentant des revenus de Rs 36,3 milliards, sujets aux fluctuations du taux de change. Or, ne l'oublions pas, le secteur touristique dépense aussi en importation pour ses besoins en Food & Beverage, mobiliers ou autres ; importations qui se font en devises avec une roupie dépréciée, et dans un contexte international difficile avec le coût du fret qui reste élevé. Donc oui, le secteur ramène des revenus en devises, mais il en dépense aussi.

Passons au commerce, principalement le déficit commercial, qui est un angle primordial expliquant les difficultés actuelles du marché des changes. Le déficit commercial est estimé à Rs 190 milliards pour 2022 selon Statistics Mauritius, mais ce montant pourrait dans la réalité s'avérer plus élevé, sachant que nous importons plus que nous exportons, cela avec un dollar qui s'apprécie de jour en jour face à une roupie faible. Au courant du premier semestre 2022, nos importations en dollars représentaient 74,1%, soit Rs 102,1 milliards sur un total de Rs 137,7 milliards. Nos exportations en euro et en livre sterling d'un autre côté représentaient 35,5 %, soit Rs 13,5 milliards sur un total de Rs 38,1 milliards.

Les investissements directs étrangers, excluant l'offshore et incluant l'immobilier, sont de l'ordre de Rs 4,7 milliards au premier trimestre de 2022. Le global business, qui affiche une bonne santé en 2021 selon les analystes avec des revenus d'environ USD 3 milliards, ralentit lors du premier semestre de 2022, avec un montant non-négligeable de fonds sortants. Résultat, les dépenses en devises étrangères sont plus élevées que nos revenus, affectant le marché des changes et la disponibilité de devises sur le marché.

Maintenant, quelles sont les conséquences des interventions de la BoM sur le montant des réserves internationales en devises ? Il faut savoir que le montant de nos réserves internationales affiche USD 6,5 milliards en octobre, soit Rs 286,9 milliards, contre USD 7,3 milliards, soit Rs 329,1 milliards en septembre et USD 8,1 milliards, soit Rs 361,7 milliards en mars dernier. Maintenant, toutes les devises présentes sur le papier dans nos réserves internationales, ne sont pas forcément à nous. La réalité est que pour financer la vente de ces devises, et maintenir un niveau adéquat des réserves en devises, la BoM doit avoir recours à des emprunts.

Pour octobre, des USD 6,5 milliards, il faut donc enlever USD 1,7 milliards des contingent liabilities et USD 1,2 milliard d'emprunts étrangers en devises. "Nous pouvons continuer à vendre les réserves en devises sur le marché, mais combien de devises la banque centrale peut-elle encore emprunter alors que ses coûts d'emprunt augmentent au même rythme que les taux d'intérêt américains ? Nos réserves internationales, qui s'élèvent à USD 6,5 milliards, ont diminué et une grande partie de ces devises sont des dettes", explique l'analyste financier, Sameer Sharma.

La situation est donc délicate et la BoM doit en même temps défendre sa roupie face à l'inflation, se recapitaliser après des pertes de Rs 6,8 milliards en septembre mettant au passage son capital dans une position négative, aligner les taux d'intérêt de ses obligations en vente par rapport à l'augmentation du taux directeur, et maintenir la stabilité du marché des changes. Finalement, tout porte à croire que le maintien d'une roupie faible encore quelque temps ne pourra pas être évité, il faudra en passer par une consolidation fiscale et des réformes structurelles entre autres. La tâche s'annonce bien difficile !

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