Afrique: Capital investissement au Sénégal - Petits montants, gros impact

En dix ans de présence au Sénégal (mais le premier investissement remonte à seize ans), Investisseurs et Partenaires (I&P) ont investi, via différents mécanismes, plus de 10 milliards de FCfa dans une quarantaine de sociétés.
17 Novembre 2022

En dix ans de présence au Sénégal (mais le premier investissement remonte à seize ans), Investisseurs et Partenaires (I&P) ont investi, via différents mécanismes, plus de 10 milliards de FCfa dans une quarantaine de sociétés. Le montant parait modeste, mais l'impact est considérable, nous dit Jean-Michel Severino, président de I&P, par ailleurs ancien directeur général de l'Agence française de développement (Afd). Présent à Dakar, pour célébrer ce dixième anniversaire, il a répondu, avec toute l'équipe de I&P, aux questions du " Soleil " concernant l'investissement d'impact et sa particularité.

L'histoire a commencé en 2005 avec un financement de 100 millions de FCfa accordé à ce qui était à l'époque une jeune pousse, la Laiterie du Berger qui commercialise aujourd'hui la marque Dolima. " On avait mis une somme extrêmement modeste dans ce qui était encore une idée de projet ", raconte Jean-Michel Severino, président d'Investisseurs et Partenaires (I&P). Seize ans après, c'est devenu une entreprise significative, qui a une part de marché essentielle dans l'agroalimentaire locale et qui joue un rôle fondamental dans la chaine de production laitière au Sénégal. " Et aujourd'hui, I&P ne pourrait plus financer la Laiterie du Berger, parce que ses besoins sont trop importants ", constate l'ancien directeur général de l'Agence française de développement (Afd). Cette " success story " illustre le but recherché par I&P qui est d'être " dépassé par ceux que nous finançons ". " C'est pourquoi, dit-il, il ne faut pas regarder tant les montants qu'on investit, mais ce que les entreprises que nous finançons, à travers ces petits montants, vont devenir et la place qu'elles vont occuper dans cinq, dix, quinze ou vingt ans après dans l'économie sénégalaise ", poursuit M. Severino.

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Pour faire connaître cet entrepreneur qui contribue à transformer l'Afrique, Bagoré Bathily, fondateur de la Laiterie du Berger, a été invité à rejoindre le Conseil de surveillance de I&P.

Investir 10 milliards de FCfa tous les cinq ans

Depuis lors I&P a financé, avec une nette accélération sur les dix dernières années, plus d'une quarantaine de sociétés au Sénégal : une quinzaine par Teranga Capital, le véhicule d'investissement mis en place en 2016 avec des partenaires locaux comme le Fonsis et une douzaine à travers deux autres sociétés financières à savoir Ipdev1 et Ipae1, explique Jérémy Hajdenberg, codirecteur général de I&P. " En plus de ces investissements en capital, précise-t-il, nous avons financé en accélération (des prêts sans intérêts et de petites subventions permettant de se préparer à de l'investissement classique) une vingtaine de sociétés ".

Au total, en ajoutant au plus de 4 milliards de FCfa investis par Teranga Capital, les investissements de I&P au Sénégal ont atteint 10 milliards de FCfa, révèle Jéréy Hajdenberg. Il met également en avant le développement de compétences locales : l'équipe de I&P Dakar est essentiellement constituée de Sénégalais. L'ambition pour le futur, dit-il, c'est de mettre à la disposition des Tpe et Pme sénégalaises " à peu près l'équivalent de cette somme tous les cinq ans ". " Certes, ces montants ne sont pas remarquables, reconnaît-il. Ce qui est remarquable pour nous, c'est d'être le chainon manquant pour injecter dans l'économie des volumes de ce type par toutes petites tranches là où les entrepreneurs en ont besoin et peuvent faire la démonstration du succès ".

En effet, souligne Jean-Michel Severino, le succès ne s'arrête pas à la rentabilité financière de l'entreprise. Ce qui intéresse les gens qui nous confient leur argent à I&P, dit-il, c'est de contribuer à créer une filière locale neuve. Ainsi, dans le cas de la Laiterie du Berger, le financement a permis de créer une filière laitière locale, de fournir des revenus aux éleveurs semi-nomades du nord du Sénégal, d'améliorer la qualité de l'alimentation en élargissant l'accès à des produits laitiers avec le maximum de contenu local possible. " Ce que nous rapportons à nos investisseurs, ce n'est pas seulement, par exemple, la performance financière de la Laiterie du Berger, mais ce que cette entreprise arrive à faire grâce à sa réussite économique ", se réjouit M. Severino. Il souligne que c'est la première fois, dans sa carrière, " qu'on a fait plus que ce qu'on s'était promis de faire " et espère que cette " erreur " va se reproduire à l'avenir.

Accompagner une dizaine de jeunes pousses chaque année

Jérémy Hajdenberg est convaincu qu'il y a de très grandes perspectives au Sénégal. " Nous sommes structurés pour financer et accompagner normalement sept ou huit jeunes pousses chaque année en amorçage tellement le vivier d'entrepreneurs à grand talent est vaste ", précise-t-il. Ainsi, Teranga Capital est prêt à accompagner chaque année trois entreprises de plus par des financements de l'ordre de 150 millions de FCfa. Enfin, sur la partie I&P Entrepreneurs, l'objectif est de financer " une ou deux entreprises plus établies " par tranche d'un voire deux milliards de FCfa afin de les accompagner dans un changement d'échelle, ajoute M. Hajdenberg, misant sur la proximité et la relation de confiance sur la durée avec les entreprises partenaires.

La particularité de l'investissement d'impact

À défaut de pouvoir rivaliser avec les financeurs classiques, en termes de volumes investis, I&P mise sur d'autres facteurs non financiers pour se démarquer des autres investisseurs. " Notre façon à nous d'investir pour un impact, c'est de chercher à accompagner les entreprises délaissées par les financeurs classiques, parce qu'elles sont trop petites, trop jeunes et considérées comme trop risquées. Nous savons détecter leur potentiel et mettre en place des méthodes d'analyse pour sélectionner les meilleures et les méthodes d'accompagnement rapproché pour leur donner toutes les chances de réussir ", explique Jean-Michel Severino. Marguerite Tall Diop, responsable d'investissement chez I&P Sénégal, souligne la complémentarité entre les différents véhicules en matière de capital investissement. Mais selon la taille de l'entreprise ou la phase (amorçage, accélération, développement) tous ces véhicules peuvent " dialoguer et même co-investir ".

Avec Teranga Capital, l'objectif de I&P est ainsi de financer les Tpe avec énormément de proximité. " Nous sommes un investisseur certainement, mais aussi un accompagnateur pour renforcer les capacités des entreprises (parce que) on s'est rendu compte que financer c'est bien, mais si ensuite on laisse l'entrepreneur seul, d'habitude cela ne marche pas ", constate Olivier Furdelle, le directeur général de Teranga Capital.

La deuxième manière d'accompagner ces entreprises, ajoute-t-il, c'est de mettre à leur disposition de l'assistance technique en cofinançant des consultants et experts locaux pour les aider sur des sujets pointus. Une façon d'avoir des impacts sociaux et environnementaux au-delà du bénéfice financier de l'entreprise. Et tout cela doit aller dans le sens de la performance globale de l'entreprise. En effet, comme le reconnaît M. Severino, l'investissement d'impact " n'est pas de la philanthropie ". " Les gens qui nous confient de l'argent sont intéressés par le résultat final de tout ce qu'on va faire avec cet argent ". La troisième façon pour I&P d'être un investisseur d'impact, c'est de " savoir faire connaître les entrepreneurs que nous accompagnons, parce que même si leur cause a progressé depuis vingt ans, ils restent souvent négligés ", souligne Jean-Michel Severino. S. KA

JEAN-MICHEL SEVERINO

" Il y a, en Afrique, un extraordinaire appétit d'entreprendre "

Avant de prendre la tête de I&P, Jean-Michel Severino était le directeur général de l'Agence française de développement (Afd). Un parcours qui lui permet d'avoir une vision globale sur le potentiel entrepreneurial en Afrique. Ce potentiel, dit-il, est " à la fois énorme et indispensable ". Il constate qu'il y aura 450 millions de jeunes africains de 15 ans et plus qui vont arriver sur le marché du travail en 2050, mais seuls 220 millions d'entre eux auront accès à un emploi formel. " Cela veut dire qu'il y a un énorme fossé, plus de 220 millions de jeunes dont on sait d'ores et déjà qu'ils ne vont pas avoir accès à un emploi ", relève M. Severino. L'enjeu, dit-il, est de combler ce fossé entre ces 450 millions de demandeurs d'emploi et les 220 qui en auront. Ce que ne pourront faire ni la fonction publique, ni les grandes entreprises et les investisseurs internationaux, mais " par les millions de jeunes entreprises qui seront créées pour embaucher ces jeunes ".

Si la plupart des entreprises africaines de 2050 ne sont même pas encore dans les têtes de leurs promoteurs, le potentiel reste " gigantesque ". " L'avenir de l'emploi et les conditions de vie des Africains vont venir d'abord de la réponse à ce défi qu'est l'entrepreneuriat ", dit-il, relevant " l'extraordinaire appétit d'entreprendre " sur un continent " bourré d'une énergie, d'activités et de talents ". Donc, ce qu'il faut faire, à son avis, ce n'est pas du tout de réinventer l'entrepreneuriat, mais d'accélérer la vitesse à laquelle les entrepreneurs vont partir de leurs idées pour aller créer leurs boites et diminuer le taux d'échec. La chance du Sénégal, précise M. Severino, c'est d'avoir plus qu'ailleurs cet appétit d'entreprendre, les talents, un environnement économique et des politiques publiques qui ont été sur les 10-15 dernières années peut-être plus favorables qu'ailleurs à l'entrepreneuriat. " Il y a au Sénégal plus de chance de réussir ce pari et c'est pour cela que nous arrivons à faire tant de choses ici ", se réjouit Jean-Michel Severino.

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