Afrique: Débat - Un nouveau cap pour la politique de coopération internationale française ?

analyse

L'ordre international précaire issu de la fin de la guerre froide se désagrège aujourd'hui sur le sol européen, accouchant d'un nouveau désordre mondial qu'il convient d'apprendre à organiser.

Partout, les relations entre États se durcissent, et des notions anciennes - puissance, souveraineté, influence - trouvent un écho nouveau dans la politique étrangère des États. L'Afrique se retrouve au cœur de cette nouvelle dynamique internationale.

En effet, loin d'être les spectateurs passifs de ces évolutions, les États africains utilisent le retour des rivalités entre puissances comme un levier de négociation pour accroître leur marge de manœuvre, dans un contexte où l'interdépendance entre les États, qu'elle soit subie ou choisie, n'a jamais été aussi élevée. Une crise de la production agricole en Europe est ainsi le précurseur d'une crise alimentaire en Afrique, prémices d'une possible crise sécuritaire et migratoire internationale.

Dans cet environnement international volatil et intriqué, coopérer n'est donc plus seulement un enjeu éthique : c'est avant tout une nécessité pratique. Dès lors, un état des lieux rigoureux de la politique de coopération française s'impose, tout particulièrement sur le continent africain alors qu'Emmanuel Macron a récemment officialisé la fin de l'opération Barkhane. Si certains succès sont à relever, le bilan de ces dernières années apparaît nuancé.

%

Un bilan contrasté pour la politique de coopération française

En Afghanistan, l'appui massif des donateurs internationaux, notamment français, n'a pas suffi à empêcher l'effondrement des institutions étatiques afghanes.

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd'hui]

Au Sahel, malgré les importants efforts humains et financiers consentis par la France et ses partenaires en vue de contribuer à la stabilisation et au retour du développement dans la région, la situation demeure très précaire. Paradoxalement, alors même que l'aide publique au développement française est en constante hausse dans l'espace sahélien depuis plusieurs années, l'image de la France - sa capacité à générer de l'attraction, à susciter l'adhésion de ses partenaires - apparaît plus que jamais fragilisée.

Malgré l'augmentation des moyens alloués à la coopération, un sentiment anti-français diffus s'est progressivement installé au sein de franges grandissantes des sociétés d'Afrique de l'Ouest. Et concomitamment, loin des clichés souvent véhiculés, les positions commerciales françaises sur le continent africain connaissent une érosion marquée depuis le début des années 2000, particulièrement dans les pays francophones.

Tirant profit de ce recul stratégique - et contribuant à le stimuler -, de nouveaux acteurs internationaux se positionnent auprès des États africains et promeuvent une offre alternative en matière de coopération et de développement. La Chine, la Russie ou encore la Turquie construisent leur offre de coopération sur des bases narratives que nous connaissons mal et que nous étudions encore peu.

Longtemps fer de lance de notre politique étrangère, la coopération française apparaît aujourd'hui en retrait. Comment l'expliquer ? La qualité de l'expertise mobilisée par la France n'est pas en cause. Il faut en revanche interroger le socle doctrinal sur lequel est bâti notre modèle de coopération. Est-il adapté à la nouvelle configuration internationale qui se dessine sous nos yeux ?

Un socle doctrinal dépassé face à l'évolution de la scène internationale

Pour comprendre les principes directeurs qui guident encore aujourd'hui notre politique de coopération internationale, il faut revenir au discours de La Baule prononcé par François Mitterrand en 1990.

Dans un contexte marqué par la dislocation de l'URSS et par la fin de la concurrence Est-Ouest, la France entend alors faire évoluer ses relations avec les États du continent africain. L'aide au développement octroyée par Paris est désormais conditionnée à la réalisation de réformes visant à la démocratisation des sociétés africaines. Les relations diplomatiques se font plus techniques, moins politiques. Considéré comme une survivance archaïque, le ministère français de la Coopération ferme ses portes en 1999, après quarante années d'existence. Signe des temps, l'Hôtel de Montesquiou qui hébergeait à Paris le ministère de la Coopération a depuis été racheté par la Chine qui y a installé son ambassade en 2017.

Plus de trente ans se sont écoulés depuis le discours de La Baule. Les jalons doctrinaux qui ont été posés à l'époque s'avèrent aujourd'hui inadaptés. Le nouveau contexte stratégique international nous impose de forger une nouvelle boussole pour notre politique de coopération. Quelles pourraient en être les lignes de force, les points cardinaux ?

Vers des coopérations de souveraineté et de responsabilité

Dans un monde d'interdépendance, coopérer revient à construire des solutions mutuellement bénéfiques face à des enjeux d'intérêt commun. La logique de l'aide, perçue par nos partenaires comme la marque d'une relation asymétrique de dépendance, doit être abandonnée. Elle devrait être remplacée par une logique de partenariat, plus symétrique et horizontale.

La coopération n'est pas qu'un outil technique : c'est avant tout un levier au service de la politique étrangère des États. Face au retour de l'État-puissance, il convient de construire des coopérations de souveraineté et de responsabilité.

Souveraineté, car les États sont libres de choisir le modèle de développement qui leur convient, en conformité avec leurs trajectoires socio-historiques respectives. À ce titre, notre offre de coopération pourrait davantage se concentrer sur les sujets régaliens et laisser les enjeux sociétaux aux sociétés concernées.

Responsabilité - corollaire de la souveraineté - car le développement, comme la sécurité, relève au premier titre des États eux-mêmes. La coopération n'est pas la substitution. Répondre de manière durable aux fragilités qui traversent les sociétés est avant tout de la responsabilité des États concernés. L'identification et la formulation des solutions à apporter ne peut être qu'endogène. Pour que l'appui fourni par les acteurs de la coopération soit efficace, les besoins doivent avoir été clairement exprimés.

Si on ne développe pas un État ou une société par le biais de la coopération, on peut en revanche se développer ensemble. Davantage que la notion d'aide au développement, il conviendrait de privilégier l'idée de co-développement qui traduit cette réalité. Les besoins croissants en matière de développement dans les États avec lesquels nous coopérons, particulièrement dans les pays d'Afrique francophone, sont autant d'opportunités partagées qui doivent permettre, dans un cadre partenarial, de valoriser nos propres compétences et savoir-faire, publics comme privés. Les entreprises françaises gagneraient à être mieux associées à cette politique de co-développement, tout particulièrement celles de taille moyenne qui peinent souvent à franchir le cap de l'internationalisation.

En matière de sécurité, l'interdépendance croissante des sociétés face aux risques et aux menaces qui les touchent génère des besoins grandissants de coopération entre États. Qu'il s'agisse de trafics, de terrorisme ou bien de traite des êtres humains, les enjeux de sécurité ont acquis une dimension internationale croissante.

Dans ce contexte d'interconnexion, appuyer les États dans leurs efforts visant à renforcer leur sécurité intérieure est également un moyen de contribuer, par effet de retour, à notre propre sécurité, tant à l'échelle française qu'européenne.

L'opérationnalisation de ce nouveau socle doctrinal nécessitera de retrouver la dimension profondément interministérielle qui caractérisait historiquement notre dispositif de coopération internationale. Ainsi, si le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères doit avoir un rôle pivot en cette matière, une plus grande synergie entre l'action de tous les ministères concernés doit être recherchée.

Il faudra également mettre à profit des leviers contemporains encore trop peu mobilisés. De ce point de vue, l'apport des diasporas pour un renouvellement de notre approche de la coopération internationale ne doit pas être sous-estimé.

Une connaissance fine des dynamiques locales étant cruciale pour assurer la réussite de toute action de coopération, valoriser l'expertise issue des diasporas ainsi que l'expertise locale, encore trop négligée, pourrait permettre une meilleure adaptation de notre offre aux contextes d'intervention. Car la coopération est avant tout une politique du terrain, à taille humaine, qui nécessite souplesse et capacité d'innovation à l'échelle locale. Il s'agit de ce point de vue d'" écouter et construire ensemble ".

Un cas d'espèce : la filière élevage au Niger

À quoi pourraient ressembler, dans la pratique, des coopérations internationales fondées sur ce nouveau socle doctrinal ? Le cas de la filière élevage au Niger nous en fournit un exemple fécond.

Alors que le Niger dispose d'un des plus grands cheptels laitiers d'Afrique de l'Ouest, le pays importe massivement le lait consommé localement depuis l'étranger. Les produits laitiers fabriqués et commercialisés par les entreprises nigériennes sont aujourd'hui largement issus de poudre de lait importée, parfois ré-engraissée à l'huile végétale au détriment de sa qualité nutritionnelle.

Cette situation de dépendance constitue un enjeu majeur pour l'autonomie et la sécurité alimentaire du Niger, dans un contexte national et régional particulièrement précaire en la matière. Le faible niveau d'inclusion économique des éleveurs nigériens est par ailleurs une des causes à l'origine de l'augmentation de la conflictualité entre éleveurs et agriculteurs, elle-même ferment du développement des mouvement armés insurrectionnels dans la région au cours de ces dernières années.

En développant un partenariat avec l'État nigérien pour renforcer sa filière élevage et appuyer les entreprises laitières nationales en vue de remonter les chaines de valeurs, la France et ses partenaires pourraient contribuer à renforcer la souveraineté alimentaire et économique du Niger, tout en désamorçant une des causes de la conflictualité locale. Ce " partenariat à large spectre ", incluant les différents ministères et opérateurs concernés, mais également les acteurs économiques français, européens et nigériens disposant d'une expertise spécialisée, devra être servi par une communication stratégique interministérielle fondée sur le renforcement croisé de la souveraineté alimentaire et économique des États partenaires. Ce narratif devra être décliné de manière opérationnelle par les différentes strates d'acteurs impliqués afin d'en maximiser la portée.

Comme le formulait au siècle passé l'historien britannique Arnold Toynbee : " L'histoire est de nouveau en mouvement ". À l'échelle internationale, alors que les défis collectifs à relever sont plus importants que jamais, un effort de réinvention de notre politique de coopération s'impose.

Etienne Huyghe, Doctorant en Relations Internationales à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.