Gabon: Elections 2023 - Questions à l'endroit des leaders de l'opposition...

23 Novembre 2022
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Chers leaders,

Permettez-moi de m'adresser à vous aujourd'hui au regard d'un processus électoral qui semble se lancer sous peu, sans avoir l'impression que vous y soyez, que dis-je, que nous y soyons véritablement associés.

Parmi vous, des personnalités qui ont l'âge de mes parents et même de mes grands-parents. Des personnes expérimentées, aussi bien professionnellement que politiquement.

Aussi pourrait-on penser à une sorte d'outrecuidance de ce que je me permette de vous interpeller. Loin s'en faut. Raison pour laquelle je ne me soumettrai qu'à de simples interrogations à votre endroit.

1) Quelle place accordez-vous au respect dans l'engagement politique ?

Trouvez-vous normal de vous contenter de simples déclarations verbales faites par un ministre de l'Interieur lorsqu'il s'agit des questions publiques et politiques ?

Lorsque nous avions saisi la Cour constitutionnelle sur la situation de caducité du bureau du Centre Gabonais des Elections (CGE), certains avaient affirmé que cette démarche était inutile parce que monsieur Lambert Matha, ministre de l'Interieur, leur avait confié que le renouvellement dudit bureau se ferait au cours de ce mois de novembre. Sans au préalable nous brandir le document officiel dans lequel cela était formellement consigné, puisque l'administration est censée être écrite.

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À une semaine de la fin du mois de novembre, où en sommes-nous ?

Était-il vraiment inutile de saisir la Cour constitutionnelle, lorsqu'on sait que sa décision no 049/CC du 06 octobre 2022 exige que le renouvellement du bureau du CGE intervienne dans le mois suivant la proclamation des élections législatives partielles d'octobre dernier ? Proclamation qui a eu lieu le 15 novembre 2022 sous les soins de la Cour constitutionnelle ?

Si la République doit demeurer une affaire impersonnelle, est-il préférable de se fier aux "confidences" ou aux déclarations verbales d'un ministre de l'Intérieur, ou à une décision formelle qui sous-entend désormais qu'un nouveau bureau du CGE doit être connu au 15 décembre prochain au plus tard ?

Pourtant, des leaders respectables de notre opposition ont dû se rendre au ministère de l'Interieur pour "forcer et improviser" une audience avec le ministre de l'Intérieur.

Chers leaders,

Permettez-moi de vous le dire... Je trouve cette attitude de monsieur Lambert Matha irrespectueuse à votre endroit.

Vous méritez qu'on vous respecte. Vous devriez donc faire imposer ce respect.

2) De la révision de la liste électorale...

Depuis quelques jours, une information laisserait entendre que le processus de révision des listes électorales est imminent. Soit.

Insistons sur la nécessité d'un respect qui se doit d'être mutuel entre les institutions et les acteurs (partis) politiques.

Aussi, combien portent leur attention sur le canal par lequel cette information nous est parvenue ?

Chers leaders,

Trouvez-vous normal qu'après avoir publiquement communiqué sur des memorandums relatifs au processus électoral, et après avoir formellement saisi les institutions et le ministère de l'Intérieur justement, des initiatives se fassent sans une concertation avec tous les acteurs impliqués dans le processus électoral ?Mieux, sans un début de considération à l'endroit des partis politiques qui ont depuis des mois souligné des préoccupations à ce sujet ?

Où est le respect ?

Est-il normal que ce soit par la fuite d'un document administratif adressé à la Mairie centrale de Libreville que les acteurs politiques sont informés de la préparation de la révision de la liste électorale ?

La Mairie de Libreville qui n'est pas acteur du processus électoral est informée avant les partis politiques et, dans la moindre mesure, le Centre Gabonais des Elections et le Conseil National de la Démocratie qui regroupe lesdits partis politiques ? A moins que cette information publique soit détenue par certains politiques et pas d'autres. Ce qui la reléguerait au caractère d'information privée.

Parce que le ministère de l'Interieur, sinon monsieur Lambert Matha, en fait une affaire personnelle qui ne semble nécessiter l'avis de personne d'autre.

N'a-t-il pas fallu la requête du parti REAGIR pour que des bribes d'informations nous parviennent indirectement par voie de presse ? Ce, à la suite de l'audition du ministre de l'Intérieur par la Cour constitutionnelle sur la mise à disposition des cartes nationales d'identité et la révision des listes électorales ? Après que le regroupement des partis de la PG 41 et la plateforme GABON D'ABORD soulèvent les irrégularités qui entachaient le fonctionnement du CGE ?

Malgré toutes ces interventions des partis politiques et des organisations de la société civile, monsieur Lambert Matha ne montre toujours aucune considération à l'endroit des acteurs prenant part au processus électoral.

Au regard de tout ce qui précède, permettez-moi encore de vous questionner...

Doit-on continuer en acceptant qu'une telle tutelle du ministère de l'Intérieur joue un rôle aussi important dans le processus électoral ?

N'est-il pas temps d'exiger fermement l'exclusion du ministère de ce processus ?

Un ministère de l'Intérieur qui est, de toute façon, partisan à plusieurs égards.

Partisan parce que le ministre, qu'il s'appelle monsieur Lambert Matha ou autre, est nommé par le Président de la République qui est, lui-même, potentiel candidat à l'élection présidentielle.

Partisan parce qu'un précédent ministre de l'Intérieur, monsieur Pacôme Moubelet Boubeya, affirmait déjà, avant la présidentielle de 2016, qu'aucun opposant ne peut remporter cette élection tant qu'il sera ministre. Ne faut-il donc pas considérer que ce dernier a simplement eu le courage de dévoiler à voix haute une philosophie établie au sein du Parti Démocratique Gabonais (PDG) duquel sont si souvent issus les ministres de l'Interieur ?

Serait-ce moi, le "Né hier hier là", qui vais vous rappeler l'épisode de la présidentielle de 1993 avec un certain ministre de l'Intérieur qui en proclamait les résultats avant la fin du dépouillement ?

Alors que cette déconsideration du ministère de l'Intérieur est déjà évidente, certains leaders de notre opposition en sont-ils toujours à vouloir négocier au rabais avec une telle tutelle ? Tout en ne jouant pas collectif au sein de l'opposition pour établir un réel rapport de force face à ces manquements ?

Ne devrions-nous pas, en conséquence, oser :

Mettre en place un Front le plus large possible de l'opposition, intégrant les coalitions déjà existantes ;

Engage d'ores et déjà ce Front sur le terrain, chacun dans sa zone d'influence et selon ses capacités au profit de cette dynamique d'ensemble de l'opposition ;

Exiger que le ministre de l'Intérieur partisan ne soit plus à la manœuvre du processus électoral ;

Exiger le rattachement au CGE des services techniques dudit ministère affectés au processus électoral ;

Mettre en place, au profit de toutes les autres problématiques, un cadre de concertation et de décision de ce Front de l'opposition ;

Parce que le temps s'écourte alors que le travail à faire demeure dense, si nous voulons réellement capitaliser sur les expériences électorales passées.

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En ce qui me concerne modestement, l'opposition doit pouvoir se donner les moyens de réunir les conditions des présidentielles de 1993 et 2016 pour être demain victorieuse.

De même, nous devons cesser de sensibiliser nos compatriotes sur la seule base des pourcentages (suffrages exprimés) obtenus lors des élections.

Nous devons plutôt mettre davantage de lumière sur le nombre de voix obtenues. Afin que chacun prenne conscience de la puissance du bulletin de vote. Puisque la stratégie du PDG a toujours été d'éloigner les électeurs de l'opposition de la voie des urnes par la fraude qui engendre le découragement et des discours d'auto-exclusion.

Car, il ne sert par exemple à rien de réclamer 72% des suffrages au profit de monsieur Jean Ping en 2016 dans la province du Woleu-Ntem, si on ne précise pas que ces 72% ne représentent que 25 000 voix sur un collège électoral de 54 000 inscrits. En réalité, l'opposition n'a obtenu qu'un peu plus de 40% des voix sur le collège électoral du G9. Est-ce satisfaisant ?

Pareillement dans l'Estuaire. Dire simplement que l'opposition à travers monsieur Jean Ping a obtenu 60% des suffrages, c'est occulter une autre réalité moins satisfaisante.

En réalité, dans le G1, monsieur Jean Ping n'a obtenu qu'un peu plus de 71 000 voix (à l'exclusion du contentieux du 2e arrondissement de Libreville) sur un collège électoral de 260 000 inscrits. Autrement dit, moins de 30% des électeurs du G1 a voté pour monsieur Jean Ping dans la province la plus représentative au plan électoral. Est-ce satisfaisant ?

De façon globale, et en dépit des résultats frauduleux de 2016, aucun candidat n'a pu obtenir plus 180 000 voix sur plus de 800 000 Gabonais en âge de voter, en considérant les données du Recensement général de la population publiés en 2015.

Même la fameuse machine fantasmée du PDG est à la ramasse face à ce constat, malgré l'occupation par ses militants et cadres de l'essentiel des fonctions au sein des institutions - Présidence de la République, Assemblée nationale, Sénat, Mairies... ( malgré tout l'argent qui va avec). Une soi-disant machine incapable de traduire sa fameuse puissance financière dans les urnes n'en est pas une. C'est un pur fantasme.

Ceci pour dire que nous n'avons pas encore éprouvé la voie électorale. Contrairement à ce qui se dit : la voie électorale n'a pas encore montré toutes ses limites parce que l'opposition a certes voté et gagné par le passé... Mais en laissant la possibilité aux "fraudeurs" du PDG d'inverser les résultats.

Ceci au regard de notre relative et faible mobilisation dans les urnes (comme démontré plus haut en 2016 particulièrement). Des écarts de voix insuffisants du candidat consensuel de l'opposition qui ont été jugés rattrapables par les "fraudeurs" du PDG. Lesquels, en pareille situation, ne s'interdisent alors pas l'indécence de bloquer la proclamation des résultats pendant des jours, en attendant de s'attribuer des suffrages et des taux de participation imaginaires comme de la province du Haut-Ogooué en 2016.

Chers leaders,

Même si nous devons nous inscrire massivement sur les listes électorales, où sont nos cartes nationales d'identité ?

Doit-on retourner aux urnes sans avoir objectivement tiré les leçons de 2016 ?

Autant de questions qui attendent des réponses.

Cordialement.

Étienne Francky Meba Ondo

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