Madagascar: Une longue liste de mets interdits

Nosy Varika est l'ile aux Makis que le fleuve Sakaleona, " rival jaloux de l'océan ", entoure de ses immenses bras " (Pierre Platon, 1958). L'ile aux makis est sans makis (ou presque), car la hache et le feu ont détruit l'œuvre de la nature et de la forêt. Et " au cours des années de disette, quand les silos à riz sont vides et que les habitants sont obligés de consommer, pour faire face à la soudure, des racines amères de plantes aquatiques, un civet de maki tente plus d'un Betsimisaraka... " L'ile de Nosy Varika, bien que peuplée en majorité de Betsimisaraka, est fortement marquée par le passage de " Hova, d'Antemoro, et d'Antambahoaka se réclamant d'origine arabe ". Selon la tradition " pieusement conservée " dans la région de la basse Sakaleona, Rahova, accompagné de sa sœur Riala, se serait établi, il y a fort longtemps, à Ambohibe, avant de remonter près de Fanivelona, très fertile.

C'est, à l'époque, le fief du puissant clan des Ranomena qui n'apprécie pas du tout cette installation d'étrangers sur la terre des ancêtres. D'autant que l'un des fils de Rahova, sous le charme de l'épouse d'un Ranomena, enlève celle-ci sous le nez de son mari. Une guerre s'ensuit, à plusieurs épisodes, mais les migrants triomphent de leurs adversaires. D'ailleurs, tout finit bien : grâce à l'arbitrage bienveillant des Antambahoaka de Mananjary, appelés à la rescousse, Rahova et Ranomena scellent dans le sang d'un taureau rouge, une paix solennelle, s'engageant mutuellement à ne pas faire de réclamations sous peine de mourir, si l'un ou l'autre commet un larcin chez son voisin.

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" Le serment tient encore et il n'est pas rare de voir quelqu'un se disant Ranomena, venir impunément ramasser des poulets au passage à Fanivelona ", indique Salomon Rahatoka, cité par Pierre Platon en 1958. Clairvoyants, les Ranomena ont la sagesse de quitter leur terre ancestrale et de s'établir au bord du lac Morongary, près de Mananjary. Les Rahova, définitivement maitres des lieux, prospèrent, donnant à leur lignée le nom de Zafindrahova " dont ils tirent quelque fierté ". Mais les plus anciens habitants de l'ile sont assurément les Betsimisaraka et ils sont restés farouchement fidèles aux usages et coutumes de leur ethnie. Certains sont pêcheurs, la plupart préfèrent les pentes des montagnes proches : entourés de caféiers et, contrairement aux Zafindrahova, ils y cultivent le riz sur tavy, pratique interdite par la loi ; mais les ancêtres l'ont fait avant eux et avec succès... !

Il faut dire, à leur décharge, que les fady sont nombreux, variés et parfois inattendus, et ils redoutent de les transgresser. Il suffit qu'un membre du clan se soit noyé ou enlisé, en des temps immémoriaux, dans un terrain marécageux, et celui-ci devient tabou. Le même interdit frappe les marécages où l'on enterre les fœtus. Les fady ancestraux, ou décrétés par les ombiasy, suivent le Betsimisaraka de l'ile dans tous les actes de sa vie. Ainsi en ce qui concerne la nourriture, les fady varient selon les clans, mais en tout cas, personne ne peut consommer du poulet ou un quelconque volatile dans la journée. Sinon, s'abstenir d'aller au champ ! Autres mets souvent inscrits sur la liste des interdits : pigeon vert, crabe, hérisson, porc, anguille, grenouille, pintade. Cependant, dans plusieurs groupes, si l'on ne peut se lancer dans l'élevage porcin, on a le droit d'en consommer.

À condition que cela ne soit pas en plein champ ! D'autres se voient interdire l'élevage des oies, la culture de l'arachide ou la chasse aux caïmans. Mais " aucun des soixante-huit clans recensés s'interdit la consommation du maki ". Une légende persiste à rappeler que Raminia, l'ancêtre des Antambahoaka, venant de La Mecque, débarque à Ambinany, séduit par le charme du village baptisé Alamanonofy, " la forêt des rêves " et s'y fixe. C'est lui qui aurait déchargé de son bateau, auquel elles servaient de lest, de belles pierres de quartz blanc " dont quelques échantillons se trouvaient encore à Ambinany en 1958 ". D'autres pierres, apportées également d'Arabie, auraient le pouvoir spécial d'arrêter les voleurs et de préserver des bandits. Hélas ! L'imagination aidant, un habitant persuadé que la plus belle de ces pierres marque l'endroit où serait enfoui un trésor, la fait exploser à la dynamite. L'unique résultat qu'il obtient est " la destruction d'un objet de vénération consacré par les siècles ! "

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