Ile Maurice: Amour interdit - 20 ans après, le mystère reste entier...

29 Novembre 2022

C'était en novembre 2002. Et, 20 ans et quelques jours après, l'affaire Bassin-Blanc n'a pas quitté la mémoire de nombreux Mauriciens. Les proches des victimes s'en souviennent comme si c'était hier. Malgré le temps qui passe, certaines plaies ont du mal à se refermer. Cet amour interdit s'est terminé en drame...

Elle s'appelait Anshi Ittoo, elle avait 17 ans. Lui s'appelait Tagoresing Sandoram, il était âgé de 38 ans. Tous deux étaient portés marquants le 11 novembre 2002, avant que leurs corps ne soient retrouvés près de trois jours plus tard, flottant à Bassin-Blanc. Le Premier ministre (PM) a lui-même fait référence à ce triste fait divers, la semaine dernière, lors d'une fonction de la Central Water Authority. Une remarque qui a ravivé la douleur des proches...

"Bassin-Blanc (... ) Eski sé enn swisid ou eski sé enn meurtre ? Enn assassinat ?" a demandé Pravind Jugnauth face aux questions des journalistes lors d'une fonction officielle de la Central Water Authority, le 17 novembre. C'est la question qui taraude également les parents d'Anshi Ittoo depuis 20 ans. Daya et Ranibhai Ittoo, à qui nous avons parlé au téléphone, confient que malgré la douleur, ils n'ont jamais baissé les bras. "Dépi ki PM inn dir sa, mo latet extra bouleversé", confie la maman. Elle rejoue le drame dans sa tête depuis. Elle se souvient de la dernière fois où elle a vu sa fille comme si c'était hier. "Le jour de sa disparition, je l'ai coiffée, je lui ai préparé une tasse de lait avant qu'elle ne parte à l'école. Je ne savais pas encore que c'était la dernière fois que j'allais voir mon bébé (NdlR, Anshi Ittoo est la dernière d'une fratrie de trois)."

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La douleur est perceptible dans la voix de cette mère meurtrie ; un sentiment qui ne s'est pas estompé malgré les années. Mais courageuse, elle se ressaisit. "Mo touzour éna lespwar pou koné ki finn ariv li. Mon enfant ne s'est pas suicidée. Il n'y avait pas d'eau dans ses poumons. On l'a bel et bien tuée et on veut savoir qui, comment et surtout pourquoi on a fait une telle chose..." Un espoir que ne partage pas Daya, le papa d'Anshi. "Zamé pou koné ki finn arivé sa... " De faire le parallèle avec l'affaire Kistnen. Persuadé, dit-il qu'il y a un complot de "bann gran latet" derrière. "Je suis réaliste, on ne saura jamais ce qui lui est arrivé... Même si depuis le jour de sa disparition, je souffre atrocement. On ne peut rien faire de plus..."

Le premier article sur cette affaire est paru en Une de l'express, le mercredi 13 novembre 2002, avec pour titre : "Enlèvement ou fugue ?" Les journalistes, à l'époque, expliquent qu'après près de 20 heures de vaines recherches, Anshi Ittoo et Tagoresing Sandoram n'avaient toujours pas été retrouvés à Bassin-Blanc, d'où ils avaient lancé un dernier appel sur un portable. Le couple vivait alors un amour condamné par les proches d'Anshi Ittoo, car Tagoresing était marié et père d'un enfant de 6 ans. Leur escapade avait d'ailleurs été cachée à leur entourage. Ce serait un proche qui avait surpris le couple ensemble et avait aussitôt averti Ranibhai de leur idylle quelques mois avant le drame. Daya l'avait lui appris de la bouche de sa femme. Pour eux, c'était le choc en raison de la différence d'âge - 21 ans - entre sa fille et son petit ami.

Le jour de sa disparition, Anshi devait prendre part à des épreuves de mathématiques. Ne pouvant aller à sa rencontre, son père lui avait remis Rs 50 pour qu'elle prenne l'autobus à sa sortie du centre d'examens. Daya était alors loin de se douter, au moment où Anshi franchissait la porte de l'école à 8 heures, qu'il ne la reverrait plus en vie. Ne la voyant pas rentrer à l'heure prévue, c'est-à-dire vers 16 heures, il a commencé à s'inquiéter. Il s'est alors souvenu que sa fille avait un bon ami, Sachin Padaruth, qu'elle considérait comme un frère et qui habitait Quartier- Militaire.

Joint au téléphone, l'ami avait alors lancé : "Zot pankor koné kinn arivé ?" Avant de révéler qu'Anshi et Tagoresing avait passé l'après-midi à Bassin-Blanc et qu'à un moment, le couple s'est retrouvé en difficulté. "Tagoresing inn téléfonn li enn prémyé fwa dépi so portab pou dire li vinn zwenn zot Bassin-Blanc parski dé boug ti pé rod lamerdman ek zot..." Sachin s'était alors empressé d'aller les rejoindre en voiture. Arrivé à hauteur de Curepipe, il avait reçu un deuxième appel téléphonique de Tagoresing qui voulait savoir où il se trouvait exactement. Tagoresing l'avait appelé une troisième fois alors qu'il était dans les parages de La Mairie, lui demandant de l'appeler sur son portable aussitôt qu'il serait arrivé à Bassin-Blanc.

Le jour fatidique...

Sachin avait alors essayé de contacter Tagoresing à plusieurs reprises une fois sur place mais celuici était injoignable. Il avait toutefois découvert que le 4x4 de Tagoresing, une Land Cruiser noire, immatriculée EK 65 était garé sur le bas-côté de la route. La clé de contact se trouvait encore sur le tableau de bord, signe que les occupants l'avait sans doute quitté avec empressement ; ou qu'ils y avaient été contraints. Sur le siège arrière du véhicule se trouvait le sac à dos d'Anshi. Sachin avait alors fait une déposition dans le courant de l'aprèsmidi au poste de police de CheminGrenier. Suite à cette conversation téléphonique avec Sachin, Daya s'était, lui, rendu, au poste de Quatre-Bornes pour signaler la disparition de sa fille.

Les corps sans vie de Tagoresing Sandooram et d'Anshi Ittoo étaient retrouvés après 48 heures de recherches, flottant dans le lac de Bassin-Blanc. Ils présentaient des hématomes à la tête. Les autopsies pratiquées par le Dr Satish Boolell avaient conclu que leurs morts étaient dues à une hémorragie cérébrale. La police privilégiait alors la thèse du suicide. Le Dr Boolell avait aussi décelé des hématomes conséquents au niveau des scalps des victimes de même que la présence de différentes blessures et hématomes sur leurs corps. Des prélèvements avaient été effectués sur leurs cadavres et leurs vêtements avaient été envoyés au Forensic Science Laboratory à des fins d'analyses. Tagoresing portait également une blessure au bras Selon les enquêteurs, un impact sur une surface dure aurait pu avoir causé les blessures susmentionnées. Ils pensaient aussi qu'il était possible que le défunt ait appelé Sachin, de son portable afin que ce dernier sache où Anshi et lui se trouvaient avant leur double suicide. Leurs funérailles avaient eu lieu le même jour, dans l'après-midi.

En juin 2004, l'affaire connaît un rebondissement de taille. Le Directeur des poursuites publiques (DPP) demande à la police de rouvrir l'enquête sur la mort des deux amoureux. Décision prise après qu'une lettre anonyme est parvenue aux autorités. Le Premier ministre d'alors, Paul Bérenger, en avait donné la confirmation au Parlement durant le même mois, en répondant à une question du député de l'opposition, James Burty David.

Trois ans après le drame qui a brisé deux familles, le DPP avait alors pris la décision d'envoyer le dossier au tribunal de Souillac pour demander l'ouverture d'une enquête judiciaire. Il faut savoir qu'à l'époque, une autre thèse avait été évoquée : lé véhicule dans lequel se trouvaient les deux victimes appartenait quelques semaines auparavant à Kishan Hazareesingh, un proche du défunt. Il était inculpé dans l'agression à l'acide du Dr Krishan Malhotra, ex-directeur de la clinique MedPoint, qui était aussi le gendre de sir Anerood et Lady Sarojini Jugnauth. Les enquêteurs avancent alors la thèse selon laquelle en voulant s'attaquer à Hazareesingh, les agresseurs se seraient trompés de personne, du fait que le véhicule était conduit par l'amoureux d'Anshi...

Par la suite, en 2006, Bipin Ittoo, 26 ans, le frère de la défunte, Anshi, avait été arrêté par les enquêteurs de la Major Crime Investigation Team mais avait été relâché par la suite. "Zot in sey fer mo garson pran sarz, mo ti toulétan koné li inosan", lâche Ranibhai aujourd'hui encore.

Le 2 novembre 2010, l'express titre sur le fait que l'enquête est relancée après que l'enquête judiciaire a conclu à un foul play. La magistrate Razia Jannoo-Jaunboccus s'était basée principalement sur le témoignage de Satish Boolell, ex-Chief Police Medical Officer pour cela. Lors de sa déposition dans l'enquête judiciaire, le Dr Boolell était allé droit au but. Les deux amoureux n'ont pas été victimes de noyade, a-t-il affirmé haut et fort. Un avis qui n'était cependant pas partagé par tous. Notamment par la professeure Sophie Gromb, de l'hôpital universitaire de Bordeaux Il, qui avait confirmé l'hypothèse de suicide, après l'examen du dossier photographique. Les traces de blessures étaient des lividités hypostatiques après la mort, c'est-à-dire la stagnation du sang vers le corps le plus bas, selon elle. Philippe Bishop et Nicolas Pajani, respectivement commandant et capitaine de la police judiciaire scientifique française, avaient eux aussi conclu à un suicide en 2008 après avoir inspecté plusieurs dossiers et effectué une descente sur le lieu du drame. Satish Boolell pour sa part, avait soutenu ses dires par plusieurs points, qu'il a d'ailleurs énumérés dans son premier livre, Forensics in Paradise, A Mauritius Odyssey.

Et l'enquête dans tout cela ? Plusieurs pistes, nous dit-on, ont été explorées dans cette troublante affaire au fil des ans. Mais elles n'ont rien donné de concret et ont même parfois soulevé d'autres questions. "De nombreuses thèses laissent à penser qu'il s'agit d'un suicide. Aujourd'hui, il n'y a plus rien. Sauf si de nouvelles preuves ou pistes resurgissent. Chose qui est peu probable", confie une source parmi les enquêteurs. Est-ce qu'on aurait poussé les amoureux à sauter ? Est-ce qu'on les a menacés ? Comment expliquer les coups de fil si vraiment ils voulaient se donner la mort ? N'y avaitil pas d'autres moyens plus "classiques" ? S'agit-il vraiment d'un cas à la Roméo et Juliette ? L'un a-t-il convaincu l'autre ? Des questions auxquelles seuls les défunts pourraient répondre. Ou peut-être ceux qui étaient en leur compagnie au moment de leur mort...

La famille d'Anshi, elle, ne parvient toujours pas à faire son deuil. Car selon elle, les coupables courent toujours...

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