Afrique du Sud: Via Katlehong Dance - "La danse a changé ma vie"

interview

Depuis la première mondiale au Festival d'Avignon, la compagnie sud-africaine Via Katlehong Dance du township Katlehong, à 25 km de Johannesburg, poursuit sa tournée en France et au Luxembourg. Jusqu'à la fin décembre 2022, les danseuses et danseurs présentent à Créteil, Annemasse, Grenoble, Annecy, Châlons-en-Champagne et Luxembourg leur nouvelle création, " Via Injabulo ". Entretien croisé avec le directeur artistique et codirecteur Buru Mohlabane et Amala Dianor, l'un des deux chorégraphes du spectacle.

RFI: Votre programme joyeux et puissant réunit deux pièces dans lesquelles surtout les mouvements ultrarapides et spécifiques de votre township Via Katlehong sont mis en valeur. De quel style de danse s'agit-il?

Buru Mohlabane: Dans ces deux spectacles, vous voyez principalement la danse de la culture contestataire du pantsula [née pendant l'apartheid, NDLR]. Pour cela, nous utilisons surtout des jeux de jambes et des mouvements de pied. À travers ces mouvements, nous créons également les pas et le rythme de la chorégraphie. La danse pantsula est une danse très énergique et bruyante pour laquelle nous utilisons également le sifflement comme élément de communication.

RFI: En tant que chorégraphe français, comment avez-vous construit et déconstruit ces éléments de la street dance sud-africain à l'intérieur de votre chorégraphie pour Katlehong?

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Amala Dianor: Quand je travaille avec un interprète ou une compagnie pour un projet, j'utilise la matière des danseurs, c'est-à-dire les pas de danse qu'ils vont me proposer. À partir de ces propositions, je vais sélectionner certains mouvements, certains pas, et avec cela, je vais pouvoir commencer à construire une base que je vais ensuite déployer tout au long du processus de la création. Ce qui était intéressant avec Katlehong, c'est qu'ils ont un caractère très fort, une identité, grâce à la danse pantsula, cette street dance qui vient des townships. Et comme je viens d'une culture hip-hop, il y a beaucoup de connexions qui se sont créées. Donc, c'était facile pour moi de composer avec cette matière-là.

Dans la danse pantsula, il y a des mouvements très techniques. En danse classique, par exemple, il y a plusieurs positions : première, seconde, port de bras... Et là, c'est pareil. Ils s'appellent ça des footworks, des séries de mouvements de pieds et de jambes qui constituent vraiment la base. À partir de cela, ils font des déclinaisons. Du coup, j'ai utilisé cette base-là, et après, je leur ai demandé à faire des compositions un peu plus complexes. Avec ça, j'ai pu vraiment monter la chorégraphie.

Qu'avez-vous découvert sur votre danse en invitant le chorégraphe portugais Marco da Silva Ferreira et le chorégraphe français Amala Dianor?

Buru Mohlabane: Tout d'abord, laissez-moi vous expliquer que nous sommes issus d'un monde culturel. Nous avons beaucoup d'histoires, mais il y a aussi beaucoup d'histoires que personne ne nous a racontées jusqu'ici. Nous adorons rencontrer des gens différents, partager avec eux nos expériences de vie et aussi les faire venir dans notre pays pour qu'ils puissent voir comment nous vivons dans notre township. Dans tous nos spectacles, nous racontons notre vie.

Avec ces deux chorégraphes, nous avons d'abord vérifié d'où ils venaient. Nous avons regardé leur parcours et constaté que les deux chorégraphes ont un parcours dans la danse de rue. Nous avons une très grande expérience dans la danse de rue, avec la danse pantsula [une sorte de hip-hop non-acrobatique du township, NDLR] et la danse gumboot [danse appelée d'après le nom des bottes en caoutchouc sur lesquels les mineurs tapaient en dansant, NDLR]. Donc, nous avons étudié leur travail et nous nous sommes rendu compte que leur travail est très énergique et qu'il y a beaucoup de similitudes entre nous et ces deux chorégraphes. Nous voulions créer un spectacle ouvert, avec beaucoup d'énergie et qui exprime ce que nous ressentons. C'était une bonne idée de faire venir les deux chorégraphes de la France et du Portugal en Afrique du Sud. Ainsi, nous avons pu apprendre aussi leur culture et leur façon de travailler.

En travaillant avec les danseuses et les danseurs de Via Katlehong, qu'avez-vous appris sur votre façon de chorégraphier?

Amala Dianor: J'ai appris que rien n'est gagné. Que c'est à chaque fois un travail immense d'aller à la rencontre d'une équipe de danseurs. Moi, ce qui m'intéresse avant toute chose, c'est dévoiler l'individu sur scène. C'est-à-dire de ne pas seulement montrer des danseurs sur scène, mais vraiment la personne qui est en train de danser. Ce n'est pas simple, parce qu'il faut gagner la confiance des danseurs. Il faut les amener à comprendre qu'il est possible de se déployer autrement sur scène que juste être un danseur et réciter une chorégraphie. Tout cela est un chemin qu'on doit faire ensemble, l'équipe et moi. Et au début, l'équipe ne comprenait pas du tout où je voulais aller. Il a fallu que je déconstruise d'abord un peu leur manière de se présenter sur scène : ils avaient une manière très frontale d'être sur scène, chaque fois, ils étaient face au public et ils oubliaient à se regarder les uns les autres. Et moi, ce qui m'intéresse avant toute chose, c'est la connexion qu'ils vont avoir les uns avec les autres. Avec les danseurs avec lesquels je travaille, cela devient naturel, mais avec eux, il a fallu que je remets tout cela en place, alors que j'avais oublié que ce n'était pas naturel...

La Via Katlehong Dance Company a été fondée, il y a 30 ans. À cette époque, vous aviez 9 ans. Aujourd'hui, vous faites partie de la deuxième génération. La compagnie était très forte dans le travail artistique, mais aussi dans le travail social au sein de votre township. Qu'est-ce qui a changé dans votre quartier défavorisé grâce au travail artistique, culturel et social de la Via Katlehong Dance Company?

Buru Mohlabane: Notre compagnie de danse a été fondée en 1992 à Katlehong, par quatre danseurs de rue. À cette époque, il y avait beaucoup de problèmes à Katlehong. Leur objectif était d'éloigner les enfants de la criminalité et de la mauvaise énergie qui régnait dans notre township. Dans notre quartier, il y avait beaucoup de violences. De nombreux enfants ont été détournés. J'ai beaucoup de chance d'être l'un de ces enfants qui ont été arrachés à la rue pour devenir danseur. La danse a changé ma vie. Dans la danse, je n'ai pas seulement appris la danse, mais aussi la discipline, la discipline de la vie, la discipline de la danse. Je suis tombé amoureux de la danse, à cause de la discipline et l'engagement qui y régnaient entre les membres de Via Katlehong. Nous avons pris cela au sérieux et nous nous sommes engagés. Ensuite nous avons eu de nombreuses opportunités en Afrique du Sud, puis nous sommes même partis à l'étranger. Aujourd'hui, la France est notre deuxième maison ! C'est là que notre carrière a commencé. C'est là que nous avons commencé à prendre cela au sérieux en tant que carrière ou profession.

Et votre influence sur votre township?

Buru Mohlabane: Nous avons eu un bon impact dans notre communauté. Katlehong est un township à cent pour cent noir. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, Katlehong s'est retrouvé à l'écart de la société. Aucun touriste ne s'aventurait à Katlehong, considéré comme dangereux. Aujourd'hui, nous avons un impact positif sur notre township et nous y promouvons le tourisme. De nombreux visiteurs du monde entier viennent nous rendre visite dans le township. Nous vivons avec eux. Ils finissent par avoir des amis qui sont nos amis et ils passent de bons moments chez nous. Voilà l'impact positif que nous avons sur notre communauté.

Nous créons également des emplois pour les jeunes. Et pas seulement pour Katlehong, mais dans toute l'Afrique du Sud. Nous travaillons avec de nombreux artistes très différents. Cela dépend du spectacle, des personnages, du concept, etc. De toute façon, maintenant, nous nous étendons. Nous travaillons avec tout le monde.

Vous avez fait toute votre formation et votre carrière en France. Pour cette création, vous êtes allé en Afrique du Sud, dans le township Katlehong à Johannesburg. Quelles similarités avez-vous observé entre les danseurs de la compagnie Via Katlehong et vous?

Amala Dianor: J'ai constaté que je me suis retrouvé très proche de ces danseurs et de cette communauté. Ils ont une manière de se retrouver qui était similaire à la manière de mes amis et moi de nous retrouver à l'époque. C'est-à-dire, sans aucune prétention, se retrouver pour passer de bons moments, pour écouter de la musique, pour danser... Tous les prétextes étaient bons pour se retrouver et pouvoir danser, faire la fête, etc. Buru m'amenait dans les townships, on voyait ses amis, sa famille, il m'a emmené aussi dans des soirées, c'est vraiment une proposition que j'essaie de retransmettre sur scène, avec des glacières, des boissons, etc. C'est quelque chose de très commun là-bas. On se retrouve, on ne va nulle part, on se retrouve dehors, on écoute de la musique dans les voitures, on s'assoit, on discute, on boit, on danse, et c'est la vie...

La tournée de Via Katlehong Dance :

29 novembre : Château Rouge (Annemasse)

1er et 2 décembre : MC2: (Grenoble)

6 et 7 décembre : Bonlieu Scène nationale Annecy

9 décembre : La Comète, Scène nationale de Châlons-en-Champagne

14 et 15 décembre :Grand Théâtre de Luxembourg

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