Burkina Faso: Suspension RFI au pays - Avait-on besoin d'en arriver là ?

RFI a pris connaissance, par voie de communiqué, de la suspension « immédiate et jusqu'à nouvel ordre » de la diffusion de ses programmes au Burkina Faso.

Les " accros " de Radio France internationale (RFI) sont en train de subir une cure de " désintoxication " forcée, sevrés qu'ils sont depuis le samedi 3 décembre 2022, des relais FM du 116 avenue du Président-Kennedy.

Le gouvernement burkinabè a, en effet, décidé de la " suspension immédiate jusqu'à nouvel ordre " de la diffusion des programmes de ce média français pour voix discordante à l'appel à la mobilisation populaire " pour la restauration de l'intégrité " du territoire national.

Décision prise après un reportage faisant état de mesure de répression du groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), une des katibas terroristes en action dans le pays, suite au recrutement de 50 000 Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) (lire page 2).

L'élément radiophonique incriminé est en réalité la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, si l'on en croit le porte-parole du gouvernement, puisque la suspension intervient après une précédente mise en garde faite début novembre. Ce premier tir de sommation procède d'une publication de la Radio mondiale qui avait fait cas de considérations ethniques potentiellement explosives dans l'enrôlement des VDP.

C'est donc pour l'ensemble de son œuvre que " Les voix du monde " ont été soumises à une cure temporaire de silence.

Une déconnexion qui intervient dans un contexte de désamour de plus en plus prononcé entre Ouagadougou et Paris, une partie de l'opinion manifestant régulièrement contre la présence de l'armée française au Pays des hommes intègres.

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On se rappelle la prise d'assaut du consulat de France dans la capitale et le saccage des instituts français de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso le 1er octobre, puis le rassemblement, trois semaines plus tard, au camp Bila Zagré contre la présence d'un détachement militaire français.

Il n'est pas jusqu'au Premier ministre, Me Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla, qui n'ait, devant l'Assemblée législative de transition (ALT), parlé de " partenaires déloyaux ", suivez son regard, apposant ainsi un sceau officiel au " French bashing " qui a, depuis, cours sur les rives du Kadiogo.

La suspension de RFI, considérée à tort ou à raison comme le versant médiatique de l'impérialisme français, n'est que le dernier épisode en date des convulsions diplomatico-militaires entre le Burkina Faso et l'ancienne puissance coloniale.

Le capitaine IB, serait-il donc en train de marcher sur les pas du colonel Assimi Goïta qui a lui aussi fait couper au Mali le signal FM de la radio qui, à son lancement le 6 mai 1931, s'appelait " Le poste colonial " avant d'ostraciser son correspondant ?

La similitude, en attendant Wagner, (qui sait ?) est assez frappante.

Mais avait-on besoin d'en arriver là ? C'est que sur le plan déontologique, c'est-à-dire professionnel, tout esprit de corporatisme mis à part, il n'est pas évident que notre confrère ait commis un manquement à la règle qui gouverne le métier de journaliste.

Ici, tout au plus peut-il être question d'éthique ou d'opportunité de la diffusion de l'information, toutes choses étant laissées à l'appréciation de la Rédaction.

Or, de ce point de vue, et au-delà de cette station audiovisuelle publique française, il y a bien longtemps que les médias locaux ne savent plus ce qu'il faut dire ou ne pas dire sans être accusés de saper le moral des troupes combattantes ou de faire l'apologie du terrorisme.

Vue sous un autre angle, cette sanction sonne comme un coup de semonce adressé à toute une confrérie qui ne sait plus à quelle encre tremper la plume, à qui tendre le micro, sur quoi braquer sa caméra.

A tout le moins donc, cette censure contre RFI est à la fois symptomatique d'une certaine frilosité gouvernementale, disproportionnée, inopportune et contreproductive. Elle l'est d'autant plus qu'à l'ère du numérique, ce ne sont pas les moyens de contourner cette oukase qui manquent. Bien au contraire.

Et nombreux sont les Burkinabè qui ont appris la nouvelle sur RFI à partir de leurs smartphones au lendemain de la " suspension immédiate ".

Reste maintenant la question du droit.

Revenait-il, en effet, à l'Exécutif, fut-ce pour des impératifs hautement stratégiques de sécurité nationale, de descendre dans l'arène en s'arrogeant une prérogative qui relève en principe du Conseil supérieur de la communication (CSC) ?

Mais encore fallait-il que le gendarme des médias fût à mesure d'assumer sa mission.

Faut-il le rappeler, en effet, cette instance de régulation est sur cale depuis de longs mois du fait des velléités de coup de force de l'ancien président Paul-Henri Sandaogo Damiba qui voulait imposer son homme, pour ne pas dire sa femme, à la tête du CSC avec tout le blocage que l'on sait.

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