Afrique: Des exilés, entre la mer et la mère

Nathalie Vairac, Artiste comédienne
5 Décembre 2022
interview

Ecrit et mis en scène par le dramaturge haïtien Guy Régis Jr «  L'amour telle une cathédrale ensevelie  » vous emporte telle une tempête de sable, vous arrache à vos certitudes et vous met nez à nez devant l'autre, l'exilé, celui qui est tant espéré, celui dont on ne connaît rien, nous, public, mais pour qui le périple et le désarroi sont tellement frontaux, que l'on ne peut que se résoudre à se révolter et s'émouvoir face à sa souffrance.

Comédienne aguerrie formée notamment par le regretté comédien et metteur en scène Sotigui Kouyaté, Nathalie Vairac habite au Sénégal depuis près de 10 ans. Elle est à l'affiche de cette pièce de théâtre, bouleversante, écrite pour elle et dans laquelle elle interprète le rôle d'une mère meurtrie. On est comme suspendu au-dessus des vagues par cette tragédie vécue par ceux qui partent, par la mer, ceux qui désespèrent de les voir arriver sur la terre ferme, et ceux qui finissent par apprendre qu'ils n'arriveront jamais.

Guy Régis Junior a écrit cette pièce de théâtre pour vous. Comment lui est venue cette idée et pourquoi son choix s'est porté sur vous ?

J'ai rencontré Guy Régis il y a 11 ans. J'avais vu l'une de ces pièces dans le cadre du Festival d'Avignon et j'avais été bouleversée par l'écriture et par son travail. Je jouais à l'époque et il était aussi venu me voir. A cette occasion, je lui ai dit que j'aimerais beaucoup travailler un de ces textes, et je lui avais dit aussi que je préférais travailler un nouveau texte innovant et il a accepté. En 2020, il m'a appelée pour me dire que le texte qu'il m'avait promis était là. J'ai d'abord été bouleversée qu'il ait pu le faire et ensuite je l'ai lu, et j'ai été bouleversée par le contenu, le rôle, l'écriture. C'est un cadeau extrêmement précieux pour moi et extrêmement touchant.

Comment le drame de l'exil a résonné en vous qui habitez dans un pays où de nombreux jeunes gens choisissent de le quitter et de prendre la mer pour un ailleurs incertain ?

Habitant au Sénégal, c'est quelque chose de très important pour moi de parler de ces pirogues, de ces bateaux de fortune qui partent. C'est un sujet qui me touche profondément. Au début de la pandémie, c'était presque 400 départs par jour. Il y a cette idée de rêver l'ailleurs et aussi de se demander pourquoi une partie du monde ne pourrait pas rêver de ces déplacements ? Et en même temps, ce ne sont pas que des déplacements, ce sont aussi des souffrances. Comment rêver demain ? Quels sont les rêves possibles ? Financièrement, au niveau de l'éducation et des possibilités d'emploi ? Et face à cela, il y a l'autre monde rêvé, imaginé, celui qui semble pouvoir répondre et apporter des solutions.

C'est bouleversant de rencontrer à chaque fois des personnes qui ont traversé par l'eau. Dimanche dernier, il y a une association de migrants qui est venue au théâtre avec des gens qui étaient partis du Sénégal en pirogue. C'était bouleversant d'écouter leurs témoignages. Quand quelqu'un dit « je suis passé par l'eau » on a envie de lui dire « mais pourquoi tu l'as fait ? ». C'est tellement terrifiant. Un autre homme racontait qu'il était venu en avion mais qu'il avait préféré faire passer sa femme par l'eau. On se dit à ce moment-là, il aime sa femme et il veut qu'elle le rejoigne… malgré le risque qu'il la perde…ce sont des récits bouleversants.

Scène par le dramaturge haïtien Guy Régis Jr « L'amour telle une cathédrale ensevelie »

Pourquoi avoir choisi le Sénégal plutôt qu'un autre pays ?

Et pourquoi pas j'aurais envie de vous dire… Le papa de mes enfants est lié au Sénégal. Mon beau-père est sénégalais et ma belle-mère est française. Et on avait envie que nos enfants grandissent au Sénégal. Il y a 14 ans, on est partis vivre au Kenya d'abord puis le Sénégal depuis presque 10 ans maintenant. C'est aussi un lieu où j'ai pu énormément m'épanouir artistiquement. Il y a un vivier au Sénégal qui est magnifique de créativité, de possibilités de rencontres et qui fait qu'aujourd'hui je ne serais pas l'artiste que je suis sans le Sénégal, sans ce terreau fertile à tous points de vue.

Quels sont vos projets artistiques à venir ?

J'ai un album qui sort. Je ne suis pas chanteuse mais c'est en voix parlée. J'ai écrit 11 textes sur des choses qui me touchent beaucoup et Ablaye Cissoko (auteur compositeur sénégalais ndlr) a composé 11 morceaux de musique avec la kora. C'est une rencontre entre la kora et les mots. L'album s'appelle « Nité » pour faire « humanité » en wolof. Il sort le 16 décembre prochain sur les plateformes et il y a un concert prévu le 17 décembre au Sokhamon à Dakar.

C'est un album produit par Osiwa, Hawa Ba, et Felwine Sarr par l'intermédiaire de sa plateforme, et le Goethe Institut. C'est un projet auquel je tiens beaucoup. Je prévois également des collaborations dans le domaine de l'art contemporain. Et je suis aussi passée par le cinéma avec un film qui sortira début 2023 mais je n'en dis pas plus (rires).

Concernant la pièce, elle est amenée à tourner en 2023. Des pays commencent à se prononcer pour accueillir ce projet. En tous cas, j'espère qu'elle va énormément tourner parce que parmi les retours du public qui m'émeuvent le plus, c'est que, à la différence des informations qui défilent sur nos écrans, on réalise au travers de cette pièce qu'il s'agit d'individus avec des enfants, une famille…Ce qu'ils disent c'est qu'ils ne verront plus jamais la migration de la même façon.

C'est un retour que j'ai quasiment chaque soir après la représentation. C'est important d'humaniser ces êtres qui prennent les bateaux et de pas en faire une information globale qui passe loin du vécu et des consciences des gens. Je souhaite que cela circule énormément. Pour ceux qui ont traversé, j'ai vu ce que cela produisait et pour ceux qui auraient envie de traverser, je pense que cela ne les arrêtera pas mais c'est un sujet important.

« L'amour telle une cathédrale ensevelie », Théâtre de la Tempête – Cartoucherie, Paris jusqu'au 11 décembre 2022

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