Interdits dans l'Union, mais exportables ailleurs
De nombreux pesticides sont interdits d'utilisation dans l'Union européenne. Il est illégal de les utiliser dans les États membres de l'UE, mais il est permis de les produire et de les exporter vers des pays tiers, où ils présentent de grands risques pour les populations et leur environnement.
Cette pratique, qualifiée "d'odieuse" par les Nations unies, est pourtant courante, notamment en France où il est permis d'exporter des produits extrêmement toxiques et donc illégaux, tant qu'il s'agit de leur forme pure.
Selon les prévisions du marché, le nombre d'exportations de pesticides vers les pays de l'hémisphère sud va continuer à augmenter. Les cinq plus grandes entreprises de pesticides dont Bayer, BASF et Syngenta, réalisent déjà plus d'un tiers de leurs ventes de pesticides à partir d'ingrédients actifs classés par le " Pesticide Action Network " (PAN) comme hautement dangereux.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), les pesticides hautement dangereux présentent des niveaux particulièrement élevés de dangers aigus ou chroniques pour les humains et l'environnement. Pour cette raison, nombre de ces pesticides ne sont plus autorisés dans l'Union européenne.
Cependant, les entreprises européennes sont toujours autorisées à vendre ces pesticides, notamment à des pays extérieurs à l'UE. Les fabricants de pesticides eux affirment que leurs produits sont sûrs et ne mettent en danger ni humains, ni insectes,ni masses d'eau lorsqu'ils sont manipulés correctement. Une manipulation correcte comprend souvent le port d'un équipement de protection individuelle et le respect de durées d'application spécifiques, de distances de pulvérisation et de directives pour la co-application avec d'autres substances.
En réalité, l'application prescrite ne peut souvent pas être garantie dans les pays du Sud, parce que les demandeurs sont insuffisamment formés ou pas du tout formés, et insuffisamment informés des risques pour la santé et des distances à respecter lors de l'application de pesticides. Les équipements de protection individuelle sont souvent difficiles à obtenir, trop chers, ou il n'est tout simplement pas raisonnable de les porter en raison des températures élevées.
Différentes études montrent également que de nombreux utilisateurs ne sont pas en mesure de lire les instructions, soit parce qu'ils ont un faible niveau d'éducation scolaire, soit parce que les instructions ne sont pas rédigées dans les langues courantes du pays.
Les experts en droits de l'Homme critiquent la pratique des États membres de l'UE consistant à exporter vers le Sud des pesticides interdits par l'UE, car elle externalise les impacts sanitaires et environnementaux de ces substances dangereuses sur les plus vulnérables. Les organisations de la société civile demandent donc une interdiction légale de ces pratiques. En 2020, le projet de stratégie sur les produits chimiques de la Commission européenne comprenait pour la première fois un engagement à empêcher l'exportation de produits chimiques dangereux interdits dans l'UE. Un premier projet juridique est à prévoir en 2023.
Certains Etats européens ont déjà pris des mesures nationales. En France, une loi interdisant la fabrication, le stockage et l'exportation de pesticides interdits dans l'UE est entrée en vigueur en janvier 2022. Ces substances ne peuvent plus être utilisées pour l'entretien des espaces verts, des allées ou des forêts. La Suisse a interdit l'exportation de cinq pesticides particulièrement toxiques depuis 2021, d'autres matières actives suivront.
En Allemagne, l'annonce de mettre un terme légal à ces exportations à l'avenir a été confirmée et concrétisée en septembre 2022. Les pays importateurs ont également pris des mesures contre les doubles standards dans le commerce des pesticides : les autorités tunisienne, palestinienne et mexicaine ont imposé une interdiction d'importation de pesticides interdits dans le pays exportateur ou producteur lui-même.