TUNIS — Un couple, un homme et une femme, s'est enfermé dans un cercle vicieux et mortel, probablement physiquement et psychiquement duquel il ne peut s'échapper. Il n'ose pas le dépasser par crainte de voir exploser une mine terrestre, plutôt imaginaire, sous ses pieds.
Quitter le cercle de la " Mine-terrestre " du metteur en scène palestinien Georges Ibrahim est un danger éminant pour le duo " Nada ", un rôle interprété par Amira Habash, et Ghassan qui est le personnage de l'acteur Ghassan Ashkar.
L'état d'enfermement plonge le couple dans une remise en question où le questionnement sur la notion de la vie et de la mort trouve tout son sens à travers le texte élégant du Libanais Elie Kamal qui valse aisément entre théâtre et cinéma.
Mine-Terrestre en lice pour le Tanit d'or des 23èmes Journées Théâtrales de Carthage (JTC) a été présentée, mercredi soir, au Théâtre du Rio à Tunis. Cette œuvre est lauréate de plusieurs prix en Palestine (meilleure œuvre, meilleur metteur en scène, meilleure actrice et meilleur acteur).
Georges Ibrahim, un grand habitué du théâtre tunisien est de retour par une pièce du genre comédie noire, produite en 2021 par Théâtre- Cinémathèque al-Kasbah, à Ramallah, dont il est le fondateur et directeur général. La scénographie de cette pièce, en un seul acte, s'appuie sur un décor minimaliste ; un banc et un cercle que le duo d'acteurs occupe pour une heure et demie.
Cet enfermement dans le cercle est un laps de temps dans l'histoire et la vie qui a donné une dimension supplémentaire à la performance du duo d'artistes. Les personnages de Nada et Ghassan se livrent dans un duel proche du délire et dévoilent les différentes facettes de leur personnalités respectives.
La mort acquiert toute une autre signification dans un monde où l'individu (le couple dans la pièce) perd sa passion pour la vie et le citoyen (dans un contexte politique) se trouve privé de ses droits les plus élémentaires qui commencent par la liberté de circulation.
Le titre " Mine-Terrestre " est celui d'une pièce qui rentre dans le champ de la psychanalyse et d'un théâtre intelligent. Quoique la connotation en lien avec la guerre soit assez pesante dans le titre, la pièce aborde des questions existentielles dans une lecture assez philosophique.
La dualité de la vie et de la mort chez l'être humain avec toutes ses contradictions, ses faiblesses et ses espoirs est abordée dans une œuvre théâtrale originale. Nada et Ghassan enfermés dans un cercle, livrent une performance qui entraine le spectateur dans un univers méconnu, en dehors du temps et de l'espace.
La belle performance du duo d'acteurs a enrichi la portée du texte de la pièce et sa scénographie. Le tableau de dance argentine présenté a parfaitement épousé le cercle dans lequel se retrouve le couple tout au long de la pièce sans pour autant donner l'impression qu'on est devant un espace limité.
Au milieu du cercle, la peur de l'inconnu cohabite avec cette nostalgie pour l'autre, la famille et l'image du père (de Ghassan) dont la disparition est synonyme de la perte du protecteur pour un homme privé de sa liberté.
La pièce aborde plusieurs thématiques dans une lecture assez profonde d'un metteur en scène expérimenté et une œuvre qui se situe entre deux genres de théâtre. Elle répond aux règles du théâtre classique notamment au niveau de l'unité de l'espace, tout en adoptant les techniques du théâtre moderne dans un décor minimaliste où le jeu d'acteurs constitue la base de l'oeuvre.
Né à Ramallah en 1945, Georges Ibrahim est un homme de théâtre qui joue un rôle important dans le développement du mouvement théâtral palestinien. Ce dramaturge, metteur en scène, producteur et acteur est l'un des artistes pionniers dans les territoires occupés.
Si l'on place le titre de sa pièce "Mine-Terrestre" au sens réel du mot, les mines terrestres forment un outil de guerre qui constitue un véritable drame pour des millions de personnes dans le monde dont les conséquences sont dramatiques pour les populations civiles. Des chiffres alarmants sont établis par les organisations humanitaires spécialisées alors que les conventions interdisent l'usage des mines qui sont des engins explosifs placés sous le sol et dont le déminage est assez lent et couteux.
Dans la vraie vie, le cercle dans lequel le metteur en scène a mis le duo d'acteurs peut aussi renvoyer à la situation de beaucoup de Palestiniens privés de leur liberté et qui sont encerclés dans les territoires occupés, depuis des décennies. Dans la Bande de Gaza, plus de deux millions de personnes sont enfermées dans une zone soumise au blocus depuis une quinzaine d'années.
Au-delà du cadre psychique du couple, le cercle est celui de l'occupation et des Palestiniens placés dans des camps avec des barrages militaires qui les entourent de tous les côtés. Toute personne qui ose dépasser le cercle risquerait sa vie. En l'absence de la liberté de circuler et d'agir, la vie risque ainsi d'être dépourvue de tous sens.
Georges Ibrahim qui est l'une des figures de proue du cinéma palestinien et arabe a choisi d'adapter l'œuvre du libanais Elie Kamal en la plaçant dans un contexte palestinien. L'œuvre originale a déjà été présentée en 2018 en version libanaise qui s'intitule "Mine antipersonnel", interprétée par le duo Ammar Chalak et Nada Abou Farhat et mise en scène par son auteur, Elie Kamal
Faty