Ile Maurice: Pamplemousses - Un coup de peinture au mur du cimetière fait voir rouge

10 Décembre 2022
interview

Le mur du cimetière situé en face de l'église Saint-François-d'Assise à Pamplemousses vient d'être repeint. Ce qui a déclenché l'ire d'Alain Gordon-Gentil, journaliste et écrivain. Pour lui, cela participe au "désir d'effacer une partie de notre passé".

Alain Gordon-Gentil: "Ma colère, c'est celle d'un enfant de Pamplemousses"

Quand avez-vous constaté le "coup de neuf" donné au mur du cimetière de Pamplemousses situé près de l'église?

Il y a quelques jours, j'ai vu arriver des personnes avec des touques qui ont commencé à badigeonner avec entrain le joli mur du cimetière. Ils avaient l'air déterminé et sûrs d'eux. Je me suis garé et j'ai observé le massacre sans intervenir. Je ne sais pas si c'est par peur de la foudre divine qui a quelquefois le bras long. Mais toujours est-il qu'en une demi-journée, deux siècles et demi d'histoire avaient été souillés. Devant mes yeux incrédules.

Avant cela, dans quel état était le mur d'enceinte du cimetière?

Cela faisait des décennies que ce magnifique mur était tout simplement recouvert de chaux comme il est de tradition pour de nombreux murs d'enceinte. Celui qui a donné l'ordre de faire ça fréquente peut-être l'évêché ; il aurait pu s'inspirer de son mur. Celui de Saint-François-d'Assise était comme une belle traînée blanche abritée par les immenses arbres que l'on peut déjà voir dans des lithographies du 19e siècle. Ce mur fait partie d'un tout et donne à ce coin de Pamplemousses une magie particulière.

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Pourquoi êtes-vous aussi remonté contre cette rénovation?

D'abord, il ne faut pas insulter le mot rénovation. Je suis remonté, non pas en tant que journaliste, ni comme écrivain ni comme cinéaste documentaire. Ma colère, c'est celle d'un enfant de Pamplemousses qui, depuis son jeune âge, fréquente les coins et les recoins de son village et qui en est fier. Un village historique où esclaves et maîtres ont vécu, se sont haïs, se sont peut-être entendus. Derrière ce mur du cimetière tant d'histoire : l'aumônier de Napoléon, la pierre tombale sous laquelle repose Ernest Wiehe, et plus loin, un autre cimetière, celui des noirs anonymes. Ma colère vient de toutes ces choses qu'on ne peut pas vraiment expliquer en termes concrets, mais qu'on peut appeler le souffle des souvenirs, de la mémoire. Ces choses qui nous construisent.

Vous parlez de la "célérité" avec laquelle les travaux ont été exécutés. Vous comparez cela à la lenteur de quel chantier ?

Celui de la mise en état du jardin botanique de Pamplemousses. Ça fait 10 ans au moins que notre jardin plie sous le poids de l'incompétence de ceux qui en sont responsables. La colère dont je fais état vient aussi du fait que, cette fois, ce mur ne dépend pas de l'État mais de la paroisse et de l'évêché, qui nous ont habitués à plus de respect de notre patrimoine. De l'État mauricien, on ne peut plus rien attendre. Je ne dis pas cela par désespoir mais par réalisme.

Je m'explique : il y a une volonté clairement affichée d'effacer tout ce qui relève de près ou de loin à notre passé colonial. Notre passé est un tout. Pour certains, l'histoire de Maurice commence en 1835, pour d'autres en 1968, pour d'autres encore en 1983. Bientôt, on nous dira qu'elle commence en 2019. Tout ce qui a existé sur cette terre fait partie de nous, de notre histoire, si courte et pourtant si riche. Mais si l'on n'arrête pas ce désir d'effacer une partie de notre passé, cela aura des répercussions sociales et humaines dont on mesure mal la profondeur.

Vous citez Jocelyn Grégoire, curé de Saint-François-d'Assise, une église classée patrimoine national. Ce statut n'aurait pas protégé le cimetière du "mauvais goût et du laisser-aller". Que faut-il changer ?

Je ne veux pas m'attarder sur le cas de Grégoire. Il a son agenda, ses accointances, ses représentants qui, heureusement, ne parlent pas souvent. Ce qui m'inquiète, c'est que se sont agrégées autour de la camorra politique une flopée d'hommes d'affaires, d'architectes, d'entrepreneurs de travaux qui, faute d'avoir le talent nécessaire pour pouvoir laisser une trace, s'escriment à faire disparaître celle d'autres avant eux. La seule manière de briller étant pour eux de ternir le passé.

Jocelyn Grégoire : "le mur a été repeint pour les besoins d'un tournage"

Jocelyn Grégoire est le curé de Saint-François-d'Assise. Il explique qu'il y a eu récemment des travaux le long de la route longeant ce cimetière, pour y installer des trottoirs et des mains courantes. Le mur en chaux blanche avait été sali suite aux travaux. Dans la foulée, une équipe de tournage indienne a approché la fabrique de cette paroisse. "L'équipe voulait tourner à cet endroit, mais le mur était un peu sale. C'est pour les besoins du tournage que le mur a été repeint." Qui donne l'autorisation pour repeindre le mur du cimetière ? Le curé précise que c'est, "la fabrique de la paroisse, pas moi personnellement".

Il conclut : "Il y a des rénovations à la cure et à l'église. C'est sûr que tout sera remis à l'état d'origine. On va rehausser le cadre de Pamplemousses." Le tournage concerné est celui de "The Archies", une comédie musicale adaptée d'Archie Comics des années 1960. Il s'agit d'une production de Tiger Baby Films de Reema Kagti et Zoya Akhtar en collaboration avec Archie Comics et Graphic India. Le film sera diffusé exclusivement sur Netflix en 2023. Sa bande annonce a été publiée le 14 mai dernier. Des scènes ont aussi été tournées dans le jardin de Pamplemousses, fin octobre.

Mieux comprendre : De deux cimetières, un seul est patrimoine national

Il y a deux cimetières à Pamplemousses. Le cimetière des esclaves, un peu excentré et situé au fond d'une ruelle, est classé patrimoine national. Tout comme l'église Saint-François-d'Assise. Elle a été classée patrimoine national en 2016, parmi les plus anciens lieux de culte de Maurice. La date inscrite au frontispice de l'église impressionne : 1756. C'est durant le mandat de Mahé de La Bourdonnais que ce lieu de culte est construit, alors que la première pierre avait été posée durant le gouvernorat de son prédécesseur, Maupin.

Le presbytère de Saint-François-d'Assisse est également classé patrimoine national. Le mur qui a été repeint longe le cimetière dit des blancs. Si ce cimetière n'est pas classé patrimoine national, en revanche, cinq de ses tombes sont reconnues comme patrimoine national. Qui sont ces notables ? Il s'agit des tombes d'Adrien d'Epinay, de l'abbé Buovanita, de Charles Planel, de Charles Thomy Pitot et de Magon de la Villebague.

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