En 15 mois de présidence, le chef de la junte a signé près de 600 décrets. Cette manière de gouverner par décret n'est pas forcément une bonne nouvelle pour la démocratie.
Selon un acteur politique qui a requis l'anonymat, en signant 600 décrets en seulement 15 mois de présidence, le colonel Mamady Doumbouya a battu le record de ces trois derniers prédécesseurs : Lansana Conté, Sékouba Konaté et Alpha Condé réunis.
"Dans les régimes en transition, la prise de décision se fait beaucoup plus par ordonnance et par décret du président de la transition. On en a vu par exemple sous Moussa Dadis Camara, en 2008-2009, qui rappelait par exemple qu'exceptionnellement, en Guinée, en 2009, une Constitution a été validée par décret du président de la transition. C'était Sékouba Konaté. Donc, c'est une pratique assez répandue dans les transitions", analyse Kabinet Fofana, politologue guinéen.
Nécessité
Bah Oury, président de l'Union pour la démocratie et le développement (UDD), estime pour sa part que la refondation de l'Etat guinéen nécessiterait cette série de nominations.
"Un régime a été déchu. Et donc, il faut remplacer tous les cadres nommés par le précédent régime à des postes clés de l'administration territoriale, de l'administration en tout point de vue", explique l'ancien opposant au président Alpha Condé.
Il ajoute que "c'est une transition qui remet en cause le système de la formation de l'Etat guinéen dans ses fondements. Donc, à ce niveau-là, les pouvoirs de décision sont concentrés essentiellement autour du président de la transition qui agit par ce biais-là, par décret."
Abus
Cependant, des voix critiquent ces nominations. Car, estiment-elles, le colonel Mamady Doumbouya n'est pas un président élu. Arrivé au pouvoir à l'issue d'un coup d'Etat militaire le 5 septembre 2021, sa mission devrait consister à créer les conditions, en vue d'un retour à l'ordre constitutionnel.
Maitre Mamadou Ismaïla Konaté, avocat et ancien ministre de la Justice du Mali, soutient que les régimes de transition militaires, qui sont consécutifs justement d'une situation de violation du droit, du renversement de la légalité constitutionnelle, abusent du pouvoir qu'ils se sont octroyés.
"Quand on est chef de latransition ou quand on est même chef des putschistes, on se voit totalement investi de toutes les prérogatives de puissance publique. C'est là où on se donne le droit de nommer qui on veut, d'enlever qui on veut, de créer des droits là où il y'en a pas et d'annuler et d'annihiler des droits là où il y'en a. On fait la pluie et le beau temps. Sauf que cette pluie et ce beau temps, parce que parti du néant a une limite dans le temps. Lorsqu'on se sent investi de tous les pouvoirs, bien évidemment, on agit en potentat, on agit en despote. Parce que mû par une certaine volonté populaire. On ne voit plus de limite dans la signature des décrets", argumente Maitre Mamadou Ismaïla Konaté.
Réformes du système politique
Bah Oury reconnaît que le système politique guinéen nécessite des réformes.
Le leader de l'Union pour la démocratie et le développement (UDD) affirme que "c'est une tradition. Nous sommes dans un cadre où depuis très longtemps, le régime est un régime de type présidentialiste fort (Le présidentialisme ou régime présidentialiste est un régime politique, souvent dérivé d'un régime présidentiel, dans lequel le chef de l'Etat est aussi le chef du gouvernement et joue un rôle prépondérant dans la vie politique. L'équilibre des pouvoirs entre exécutif et législatif penche en faveur du premier avec une réduction des pouvoirs du Parlement.) Donc, dans le processus qui va intervenir, certainement, dans la rédaction de la Constitution, il y aura des démarches pour essayer de tempérer le pouvoir du président de la République."
Le colonel Mamady Doumbouya a également recours aux ordonnances pour gouverner. C'est ainsi qu'il a promulgué, en janvier dernier, l'ordonnance portant loi de finances 2022. En l'absence d'un organe législatif qui devrait l'adopter avant sa promulgation par le chef de l'exécutif.
Le Conseil national de transition, qui fait office d'Assemblée nationale, a été installé en février de cette année. Depuis, c'est lui qui adopte les lois avant leur promulgation par le chef de la junte militaire, Mamady Doumbouya.