Sénégal: Patrimoine Cinématographique - La souveraineté en question

11 Décembre 2022

Au festival Dakar Court, un panel a réuni des acteurs de la cinématographie sur la question des films du patrimoine. Il en ressort que les œuvres des cinéastes pionniers, qui ont capté de grands pans de notre histoire, sont "perdues" en Occident. Après le défi de la conservation et de la restauration, la question de la souveraineté s'invite aussi dans les débats.

L'heure est à l'affirmation culturelle et la quête identitaire en Afrique, ces dernières années. Et puisque le cinéma est l'art le plus accessible pour nos peuples, comme le concevait Sembène Ousmane, le 7ème art se fait l'écho de ce travail d'histoire et de mémoire. Avant-hier, à l'Institut français de Dakar, dans le cadre de la 5ème édition du Dakar Court, la problématique a été interrogée. De cette discussion, il a été d'abord établi que nos films du patrimoine sont difficiles à trouver, avec leurs négatifs perdus dans les laboratoires et archives occidentaux. Souvent d'ailleurs, dans un état de conservation précaire. Léa Baron, parmi les panélistes, est chargée de projet de la Cinémathèque Afrique de l'Institut français de Paris. Son unité s'occupe, notamment, de la restauration de ces films de patrimoine. Elle indique que le fonds de la Cinémathèque Afrique ne détient maintenant que des copies de diffusion qui ont beaucoup circulé, d'ailleurs "assez en mauvais état avec des rayures et des couleurs qui partent". Elle soutient que les cinéastes savent aujourd'hui la présence dans cette entité, mais "en réalité ce sont des copies en très mauvais état et dont on ne peut pas vraiment identifier les négatifs". Ce qui est, selon elle, l'un des grands enjeux. Car, de son avis, c'est une urgence de restaurer et de numériser ces bijoux avant leur détérioration. Par ailleurs, il y a eu, en 2018, un fonds de restauration lancé à Cannes qui réunit 12 experts du cinéma africain qui avaient travaillé sur une liste prioritaire. Léa Baron soutient qu'il y a présentement un objectif de restauration de 21 films en 2023.

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C'est dans ce cadre que "Le Prince noir de Saint-Germain-des-Prés", un film de Ben Diogoye Bèye de 1975, a été choisi et restauré. Léa Baron informe qu'il avait fallu déjà avoir l'autorisation de "Ben Diogoye Bèye qui détient les droits de son film". Ensuite, aller chercher les négatifs, les scanner et les numériser. "Ça semblait tout acquis jusqu'à ce qu'on nous rappelle pour nous dire que ça allait coûter plus cher que prévu. C'est finalement revenu à 650 000 FCfa la minute. Il y avait des champignons sur les pellicules. Aussi, on ne sait pas ce qui peut vraiment arriver à ces films dans ces labos, même si les conditions de conservation sont bonnes", déplore Léa Baron. Elle s'étonne d'autant plus que 1975 soit récent dans l'histoire et trouve inquiétant le fait de perdre des éléments patrimoniaux aussi importants de cette manière négligente.

Le film du premier Magal de Touba restauré et numérisé

Ben Diogoye, présentement doyen des cinéastes sénégalais, était d'ailleurs parmi les panélistes. Il confie qu'on envisage de restaurer également "Samba Tali" (1975), son autre court-métrage de cette époque qui lui avait valu le Tanite d'or de 1976 aux Journées cinématographiques du Carthage (Jcc). Le "Vieux" a dit sa tristesse de s'être rendu que son film "soit dévoré" par des insectes, avant de s'émerveiller de la restauration qui donne une nouvelle vie à ces œuvres historiques. Il croyait en effet à une arlésienne, car "à un moment il ne pensait même plus retrouver ses films, avec les laboratoires qui s'étaient restructurés".

Au vu de l'acuité des questions de conservation des archives audiovisuelles, il ne serait pas imprudent d'évoquer la souveraineté. Ainsi, se demande-t-on que font les Etats pour mener ce travail qu'effectuent les Occidentaux. Surtout avec les droits et dividendes qui peuvent être conséquents. Mouhamed El Mounir Baro y répond. Il est chef de la division promotion, coopération et communication à la Direction nationale de la cinématographie. "Depuis quelques années, avec l'aide de la Cinémathèque de Toulouse (France), nous menons un travail important en ce sens. Pour information, le tout premier Magal de Touba a pu être restauré et numérisé. Le patrimoine iconographique concentre aussi beaucoup de nos efforts, car nous sommes conscients de ce que ce travail constitue pour notre affirmation et notre éducation historiques", apprend El Mounir Baro.

Justement sur le point de la souveraineté dans ce travail mémoriel, l'agent de la Direction de la cinématographie (Dci) soutient qu'ils ont pensé à la formation de compatriotes sénégalais pour la prise en charge intégrale de ce patrimoine. Egalement, sur les droits d'auteurs, Ben Diogoye Bèye soutient lui-même que la Dci fait un "bon travail", notamment à travers le Fonds de promotion de l'industrie cinématographique et audiovisuelle (Fopica). Il en a effectivement bénéficié pour la restauration de "Samba Tali". Par ailleurs, dans la perspective de cet effort de préservation de notre patrimoine, El Mounir Baro invite tous ceux qui détiennent un fonds d'archives à s'approcher de la Dci pour démocratiser notre histoire et faire connaître notre patrimoine.

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