Ile Maurice: Dessalement - "Eaux" oubliettes ?

11 Décembre 2022

Après le Nord et Flic-en-Flac en septembre, d'autres régions, dont Belle-Mare, ont été privées d'eau ces derniers jours. Et le calvaire ne fait que commencer. Depuis des années, une des solutions plébiscitées est le dessalement. Or, le projet piètine. Est-il tombé à l'eau ?

Pluies de coupures, robinets à sec, réservoirs qui s'assèchent: la fourniture d'eau en fait voir de toutes les couleurs. Depuis plusieurs semaines, de nombreux citoyens en sont privés. L'été et l'absence d'averses empireront la situation. Pourtant, depuis des années, une solution à ce problème est brandie, soit le dessalement d'eau de mer. Toutefois, si ce projet est une realité à Rodrigues, nous semblons être en panne sèche à Maurice.

En octobre 2022, le ministre Joe Lesjongard avait déclaré que le dessalement était une option envisagée, sauf que la concrétisation se fait attendre. Pourquoi ? Le projet est-il toujours d'actualité ? "On n'entend rien. Le gouvernement doit prendre une décision à ce sujet. Chaque année, c'est la même chose : il y a pénurie d'eau ainsi qu'une baisse de la pluviométrie. On ne peut continuer ainsi", déclare l'ancien directeur de la Central Water Authority (CWA), Harry Booluck, Selon lui, on ne plus compter sur la nature uniquement et attendre les pluies pour garantir la fourniture d'eau.

Il estime que si le dessalement est effectif dans les régions côtières, cela permettra d'approvisionner les habitants de ces localités. "On pourra aussi utiliser cette eau pour les régions intérieures, comme les hautes Plaines-Wilhems ou Moka, etc. Si la sécheresse dure plus longtemps que prévu, on peut conduire l'eau dessalée vers les zones côtières et ces inland regions. On peut même prévoir d'alimenter La Marie avec de l'eau dessalée", ajoute-t-il. Pourquoi ne voit-on rien venir alors ? Il évoque le coût qui pourrait être un facteur entravant mais "il y a un prix à payer".

%

Pour l'ingénieur environnemental et océanographe Vassen Kauppaymuthoo, le système de dessalement doit être prévu. Selon lui, la pluviométrie annuelle est estimée à 2 000 millimètres. D'ailleurs, soutient-il, 60 à 70 % de notre eau est souterraine. "Maintenant, la problématique est de savoir la gérer. Quand il pleut, il faut pouvoir collecter l'eau. Hélas, l'un des plus gros soucis est que la moitié de l'eau entrant dans les tuyaux est 'perdue'. La première forme de cette perte relève des fuites dues aux tuyaux vétustes. Quant à la deuxième forme, on assiste à des connexions illégales au réseau. Troisième facteur : l'installation de pompes pour 'pomper' l'eau du réseau de la CWA, ce qui n'est pas normal."

D'autres aspects entrent en jeu. Ainsi, avec le changement climatique, une diminution de 8 à 9 % de la pluviométrie est observée, ce qui nous ramène à environ 1 800 millimètres. Un taux considérable qui a un impact certain, observe-t-il. Auparavant, la pluviométrie était distribuée plus uniformément tout au long l'année. Il faut aussi construire plus de réservoirs pour plus de stockage. "Il faut doubler la capacité des réservoirs. On pourrait en avoir dans des zones où cela est nécessaire. Par exemple dans le Nord, il n'y a pas de rivière. Des développements dans l'Ouest dépassent la capacité d'eau que nous avons. À Rivière-Noire, certains habitants sont dépourvus d'eau depuis un mois. Ceci démontre une disparité territoriale."

Pour en revenir au dessalement, il évoque des initiatives d'hôteliers, notamment dans la région du Morne, car ces derniers n'ont d'autre choix par rapport au nombre de touristes. "Ce sont des dessalements localisés mais au niveau de Maurice, on pourrait avoir de petites unités dans les villages concernés par la pénurie. Ainsi, on pourrait en produire pour six mois, de mai à novembre-décembre", affirme-t-il. Par contre, de gros projets de dessalement ne sont pas indiqués pour Maurice car cela risque d'avoir un impact négatif sur l'environnement et provoquer "un désastre écologique". Il penche en faveur de petites installations, comme préconisées par certains établissements hôteliers.

"Il faut doubler la capacité des réservoirs. On pourrait en avoir dans des zones où cela est nécessaire."

De son côté, le président de l'Association des professionnels du tourisme, Daniel Saramandif, estime que le dessalement demeure un projet important face aux multiples coupures. "Si les hôtels affichent complets à 90 à 100 %, la pénurie d'eau engendrera plus de problèmes pour la clientèle étrangère appelée à y séjourner", souligne-t-il. Pour lui, ces initiatives doivent être déployées par d'autres prestataires. Et d'ici 2023, l'État doit apporter son soutien aux petits et grands hôteliers souhaitant prendre les devants en ce qu'il s'agit du dessalement. "Cela contribuera à plus d'autonomie en approvisionnement d'eau aux hôtels et régions touchées par le manque d'eau", ajoute-t-il.

Nous avons essayé d'avoir des déclarations du directeur de la CWA Prakash Maunthrooa ainsi que des ministres Joe Lesjongard et Kavy Ramano, mais sans succès. Toutefois, jeudi dernier, le directeur de la CWA a déclaré sur Top TV que la dry season de 2023 se prépare dès maintenant. De plus, il a soutenu que l'organisme veillera à appliquer des solutions soutenables pour résoudre les problèmes d'eau. On ne peut que souhaiter que ce ne soient pas des coups d'épée dans l'eau.

Le procédé

L'eau est abondante sur terre, elle représente 1380 millions de km3 . L'essentiel toutefois est constitué d'eau de mer (97,2 %) et de glace (2,15 %) inutilisables directement. L'eau douce, facilement disponible (lacs, fleuves, certaines eaux souterraines), ne représente que 0,07 % de la ressource totale soit environ un million de km3 . Mais la répartition de cette eau est très inégale. En effet, dix pays se partagent 60 % des réserves d'eau douce et vingt-neuf autres principalement en Afrique et au Moyen-Orient, sont au contraire confrontés à une pénurie chronique d'eau douce. Dans ces pays, selon le Water Resources Institute, 250 millions d'individus ne disposent pas aujourd'hui du minimum vital d'eau défini à 1000 m3 par habitant et par an. 400 millions de personnes vivent en situation de stress hydrique, estimé entre 1000 et 2000 m3 par habitant et par an. Et on estime que 2,5 milliards de personnes pourraient souffrir du manque d'eau en 2050 compte-tenu de l'évolution de la démographie et de l'augmentation des consommations d'eau. Pour faire face à cette pénurie annoncée d'eau, de nouvelles techniques de production d'eau potable devront être mises en place pour satisfaire les besoins de la population croissante. Une des techniques prometteuses pour certains pays est le dessalement de l'eau de mer ou des eaux saumâtres. Les techniques de dessalement de l'eau de mer sont opérationnelles depuis de nombreuses années. Mais leur coût (de 1 à 2 euros / m3 ) limite souvent leur utilisation aux pays riches.

Les technologies actuelles de dessalement des eaux sont classées en deux catégories, selon le principe appliqué :

Les procédés thermiques faisant intervenir un changement de phases : la congélation et la distillation.

Les procédés utilisant des membranes: l'osmose inverse et l'électrodialyse. Parmi les procédés précités, la distillation et l'osmose inverse sont des technologies dont les performances ont été prouvées pour le dessalement d'eau de mer. En effet, ces deux procédés sont les plus commercialisés dans le marché mondial du dessalement. Les autres techniques n'ont pas connu un essor important dans le domaine à cause de problèmes liés généralement à la consommation d'énergie et/ou à l'importance des investissements qu'elles requièrent.

Quel que soit le procédé de séparation du sel et de l'eau envisagé, toutes les installations de dessalement comportent 5 étapes :

Une prise d'eau de mer avec une pompe et une filtration grossière,

Un pré-traitement avec une filtration plus fine, l'addition de composés biocides et de produits anti-tarte,

Le procédé de dessalement lui-même

Le post-traitement avec une éventuelle reminéralisation de l'eau produite.

A l'issue de ces 4 étapes, l'eau de mer est rendue potable ou utilisable industriellement, elle doit alors contenir moins de 0,5 g de sels par litre

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.