Sénégal: Utilisation abusives des écrans - Une agression des yeux risquée pour la santé

13 Décembre 2022

L'addiction aux écrans est aujourd'hui devenue un problème crucial de santé publique, avec toutes les complications que cela implique. Un échange avec quelques Dakarois a permis de mesurer l'ampleur du phénomène dans le vécu des populations.

Une amitié si fidèle, on n'en avait jamais vu dans l'histoire. La relation entre les utilisateurs et les écrans se solidifie de jour en jour. Les écrans refusent de nous quitter des yeux. Ils nous fixent du regard et s'ouvrent à nous avec aisance. Ils nous poursuivent comme notre ombre pour montrer leur serviabilité au quotidien. Logé dans la poche, tenu à la main ou fixé des yeux, les écrans sont toujours prêts à nous offrir un décor reluisant et une offre de service efficiente.

Grands ou petits, faciles à manipuler ou à allumer, tenus à la main, installés dans les salons ou dans les bureaux, ils sont toujours des accompagnants loyaux. Ils montent la garde partout comme des soldats dévoués à leurs missions. Ils permettent de voyager en un temps record et de captiver l'espace. Cependant, la dépendance vis-à-vis des écrans constitue un sérieux problème de santé publique causant des maladies des yeux ou une désorganisation sociale.

Se tenant juste debout à l'arrêt bus, écouteurs bien branchés, Mariama Touré n'épargne pas ses yeux des écrans. " Je ne quitte pas mon téléphone un instant. J'avoue que c'est mon point faible ", soutient-telle. Mme Touré précise que le téléphone lui tient compagnie dans sa boutique de tissu. Elle révèle que son appareil est aussi un instrument de travail. " Je suis obligée de jeter un clin d'œil à chaque fois pour vérifier les commandes de tissu. Pour me distraire, je suis des vidéos comiques sur Tik Tok ou Facebook ", déclare-t-elle. A cause de l'écran Mariama Touré a des maux de tête à force de fixer les écrans. " Mon mari n'arrête pas de m'interdire les téléfilms à cause de la récurrence de mes maux de tête ", souligne-t-elle.

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Abdou Khadre Guèye, assis sur une chaise en plastique devant son magasin, tête penchée sur le téléphone, est aussi un autre accro du smartphone. " Si je ne regarde pas le téléphone, je n'ai aucune information sur le pays ", avance-t-il. Il confie avoir des insomnies à cause de ses habitudes d'utilisation de son appareil. " J'avoue qu'il m'arrive de vouloir dormir tôt, mais je suis habitué à manipuler mon téléphone à des heures tardives ", détaille-t-il.

Massaër Samb est du 3ème âge, il tient un portable classique. Il a pris conscience de l'addiction des enfants aux smartphones. " J'avais installé le wifi, je le coupais à 22 heures, mais les enfants profitaient du temps accordé pour télécharger beaucoup de vidéos pour pouvoir être sur leur téléphone la nuit. J'ai désabonné tout simplement ", fait-il savoir. Selon M. Samb, " le plus agaçant, c'est que si les enfants sont concentrés sur leurs écrans, ils ne communiquent avec personne ".

Modou Mbaye est électricien de voiture, il n'est pas trop chaud sur les écrans. " Mon travail est pénible, tu n'as pas le temps pour des futilités, en plus, je suis un nouveau marié, à 22 heures, je me couche ", affirme-t-il en éclat de rires. Il soutient toutefois qu'il suit la télé à des heures tardives le week-end. Selon, le jeune homme, il n'a jamais remarqué des soucis de santé par rapport à l'utilisation du téléphone.

Ousmane Ndiaye est soudeur métallique. Il s'est réfugié sous l'ombre des arbres du jardin public des Hlm 1. " J'avais remarqué que mes yeux piquaient momentanément, depuis lors, je réduis au minimum la luminosité de mon téléphone ", indique-t-il. " C'est pourquoi, j'ai retiré les tablettes que j'avais acheté à mes enfants ", nous informe-t-il, invitant les parents à préserver leurs enfants des écrans pour éviter des difficultés de la vision.

Manipulation des téléphones

C'est l'heure de la descente pour bon nombre d'élèves. Sur l'avenue Cheikh Ahmadou Bamba très empruntée par les passants, les élèves en uniformes défilent pendant que les voitures restent coincées dans un embouteillage gigantesque. Fatou Ndiaye et Adja Khady Diop sont deux potaches bien renseignées sur cette question. Pour Fatou Ndiaye, l'utilisation accrue du téléphone portable est un vrai problème. " À l'école, il y'a des camarades qui ne peuvent pas se séparer de leurs téléphones, Ils n'arrêtent pas de les manipuler en plein cours ", renseigne-t-elle. La jeune fille affirme que ses parents lui font des reproches à cause de son penchant continu pour son téléphone. " Parfois, mes yeux me font mal et cela me cause des maux tête ", raconte-t-elle. Khady Diop, confie que son portable a été confisqué par sa mère pour une faute commise. " A la maison, pendant l'année scolaire, tous les apprenants déposent leurs téléphones à 22 h pour aller se coucher, mais un jour, j'ai voulu continuer à discuter sur Watshap avec un ami, ma mère m'a surpris en train de manipuler mon téléphone ", narre-t-elle.

Ernest Gomis, teint clair, vêtu du maillot du Sénégal est un féru du football. Il dit passer des heures à jouer au " PlayStation " avec des amis. " Si, je n'ai pas cours, je me regroupe avec mes amis dans le salon pour jouer ", explique-t-il.

Vêtue d'une robe multicolore, gourde à la main, Ramatoulaye Dièye, vient récupérer son enfant en classe de 5ème primaire dans une école publique. Elle explique que la manipulation accrue des écrans est un phénomène à surveiller. Elle souligne que ses enfants ne jouaient même pas à un autre jeu que sur leurs tablettes dans une longue durée. " J'ai remarqué, qu'elles se grattaient les yeux presque tout le temps. J'avais cru qu'ils avaient une allergie. Mais le médecin m'a demandé s'ils passaient un temps important devant l'écran. C'est par la suite qu'il m'a demandé de restreindre le temps d'utilisation des tablettes ", avance-t-elle.

Des yeux rougis

En pleine discussion avec un ami, Mohamed Dieng, en mode rastafari bien attaché à la queue, tient deux téléphones portables à la main. " Les smartphones, ce sont mes instruments de travail, je fais de la livraison à longueur de journée ", justifie-t-il. Le livreur affirme toutefois avoir du mal à se séparer de son téléphone. " J'avoue que moi, mes activités sur les réseaux sociaux commencent à partir de minuit, je dors mal et j'ai presque les yeux rougis tout le temps ", partage-t-il. Malick Seck est employé dans un cabinet en hygiène et qualité, il avoue que son problème de vision l'a rattrapé au fil du temps. " Je n'avais pas de difficulté de vision au moment de décrocher un boulot, il y'a 3 ans, mais à force d'être en face de l'ordinateur à longueur de journée pour traiter des dossiers, ma vision, c'est progressivement réduit, c'est pourquoi, le médecin m'a prescrit des lunettes ", avance-t-il.

Cheikh Cissé est un étudiant en informatique, il fait savoir que l'essentiel de la nuit est utilisé pour explorer des connaissances dans son domaine. " Moi, je réduis la luminosité de ma machine, je travaille la nuit, je dors la journée jusqu'à midi et le soir, je pars à l'université ", explique-t-il.

En attendant une étude réelle sur ses conséquences sur la santé des utilisateurs, la surconsommation des écrans gagne des proportions de plus en plus grandiose au Sénégal.

DR MOUCTAR DIENG BADIANE, COORDONNATEUR DU PROGRAMME NATIONAL POUR LA PROMOTION DE LA SANTÉ OCCULAIRE

"L'utilisation prolongée des écrans peut causer des risques de dérèglement du sommeil"

Spécialiste de santé occulaire, le médecin Mouctar Dieng Badiane revient sur les risques et les conséquences sanitaires sur l'utilisation abusive des écrans.

Médecin ophtalmologiste, Dr Mouctar Dieng, coordonnateur du programme national pour la promotion de la santé occulaire a indiqué que l'exposition prolongée aux écrans peut être source de douleurs visuels. Il fait le constat sur l'impact de l'exposition abusif aux écrans. "L'exposition aiguë aux écrans peut être à l'origine des effets phototoxiques mais aussi l'apparition de problèmes visuels comme la myopie", soutient-il. Il souligne que l'addiction chronique aux écrans peut aussi causer une dégénérescence maculaire (Dmla) surtout pour les personnes âgées. Selon Dr Badiane, la dégénérescence maculaire correspond à une dégradation d'une partie de la rétine et elle peut mener à la perte de la vision centrale.

Il affirme qu'une utilisation prolongée des écrans peut également provoquer des risques de perturbations des rythmes biologiques et un dérèglement du sommeil à cause de l'effet de la lumière bleue sur les yeux, le jour comme la nuit. Ainsi, il conseille "une utilisation quotidienne de 01 heure de temps pour les enfants de 6 ans, de 2 heures pour ceux âgés de 12 ans et 3 heures pour les adultes âgés de 20 ans et plus."

Selon l'ophtalmologue, l'addiction aux écrans est favorisée par l'abandon des activités en plein air et des situations comme le confinement ainsi que les activités nécessitant une vision de près comme la lecture. "Après chaque utilisation de 20 minutes, il faut effectuer une pause de quelques secondes et essayer de regarder à une distance de 20 pieds, c'est-à-dire, 5 mètres pour éviter une situation d'inconfort", renseigne-t-il. Docteur Badiane précise que cette technique est conseillée aux adultes pour éviter les effets de la lumière bleue. Il soutient que les petits enfants doivent être protégés, car leurs yeux ne sont pas en mesure de filtrer complètement la lumière bleue. Le médecin exhorte les parents à proposer d'autres jeux aux enfants pour leur épargner des écrans. D. DIOUF (Stagiaire)

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