Intervenue pour la première fois à Marseille pendant la trêve hivernale en janvier 2020, puis pendant la pandémie de COVID-19, Médecins Sans Frontières offre aujourd'hui une assistance médicale et un accompagnement pluridisciplinaire aux mineurs isolés étrangers dont la minorité est contestée par les autorités. Aujourd'hui, 20 jeunes sont hébergés par l'association. Julien Delozanne, coordinateur de projet pour MSF à Marseille, revient sur les origines de ce programme et dresse le bilan d'une année d'intervention.
En quoi consiste le projet de MSF à Marseille ?
Aujourd'hui, MSF héberge 20 mineurs non accompagnés qui n'ont pas été reconnus comme tels à la suite d'une évaluation conduite par le conseil départemental des Bouches-du-Rhône et qui ont saisi le juge des enfants pour contester cette décision.
En collaboration avec les Avocats du Barreau de Marseille et les collectifs de citoyens solidaires, nous accompagnons ces jeunes tout au long de cette procédure. MSF prend en charge ceux qui ont été identifiés comme très vulnérables, notamment ceux atteints d'une pathologie somatique, comme la tuberculose ou l'hépatite B, ou psychique, comme les troubles psycho-traumatiques sévères ou les psychoses.
Nous mettons l'accent sur la prise en charge médicale dans un environnement rassurant et priorisons l'accès à la scolarité. En effet, l'inscription à l'école ou à une formation qualifiante offre à ces jeunes une opportunité de se construire un avenir, de s'intégrer rapidement dans la société et contribue également à accélérer la réparation des blessures invisibles, causées par la rupture avec le pays d'origine et la famille, l'isolement, l'exil et la survie à la rue.
La particularité de notre approche est l'accompagnement pluridisciplinaire. Chaque jeune est suivi par une équipe composée de différents professionnels (infirmiers, psychologues, travailleurs sociaux) qui examine les difficultés du jeune et œuvre pour le soutenir dans ce parcours du combattant, tout en lui offrant l'opportunité de se reconstruire dans un environnement sécurisant et bienveillant.
Toutefois, ce dispositif d'hébergement ne bénéficie qu'à un nombre restreint de jeunes. La plupart sont en effet hébergés dans des lieux de vie alternatifs supervisés par des collectifs solidaires. MSF intervient dans ces lieux pour leur apporter une aide médicale à travers des permanences de santé qui ont pour but de guider les jeunes dans leurs parcours de soins.
Malgré le fait que tout semble être mis en œuvre pour rendre extrêmement difficile l'accès d'une majorité de ces jeunes à une protection, nos efforts portent leurs fruits : à la fin de la procédure en reconnaissance de minorité, près de 80% des jeunes font finalement l'objet d'une mesure de protection temporaire ou permanente.
Pourquoi MSF mène un tel projet à Marseille ?
Au début de l'année 2020, la quasi-totalité des jeunes sur le territoire marseillais devait attendre plusieurs mois avant de pouvoir être admis provisoirement et en urgence à l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Réglementairement, cette mise à l'abri provisoire doit être " systématique et immédiate " pour toutes les personnes se présentant comme mineure et isolée. C'est à l'issue de cette période d'accueil provisoire de cinq jours qu'a lieu l'évaluation en minorité. Or, en plein hiver, ils dormaient dans la rue, sans qu'aucun moyen ne soit mis en œuvre pour leur subsistance.
Face à l'inaction des pouvoirs publics, Médecins Sans Frontières est intervenue en soutien et en collaboration avec les associations et les collectifs locaux, en finançant 100 places d'hébergement d'urgence pour ces jeunes. Cela a duré six mois, pendant lesquels nous avions alerté à plusieurs reprises le département du fait qu'une majorité des jeunes hébergés par MSF relevait de sa responsabilité : jeunes primo-arrivants - c'est-à-dire arrivés récemment sur le territoire et n'ayant pas encore été évalués, jeunes reconnus mineurs et jeunes placés provisoirement auprès de l'ASE par le juge des enfants.
Compte tenu de la crise sanitaire, la fin de ce dispositif, initialement prévue pour le 31 mars 2020, a été repoussée à la fin du mois de mai 2020. Il s'agissait d'une action humanitaire d'urgence, au cours de laquelle nous avons pu mieux appréhender les difficultés des mineurs non accompagnés et des collectifs qui les accompagnent sur le territoire.
Faute de solution proposée par le département, nous avons saisi avec Médecins du Monde le tribunal administratif de Marseille à deux reprises. La justice a systématiquement donné raison aux associations en rappelant le conseil départemental des Bouches-du-Rhône à ses obligations en matière de protection de l'enfance et en l'obligeant à mettre à l'abri ces jeunes.
En juillet 2020, l'ouverture d'un projet régulier à Marseille s'est imposée : nous sommes passés d'une action humanitaire d'urgence à une prise en charge pluridisciplinaire. L'expérience acquise dans la prise en charge des MNA en Île-de-France nous a permis d'apporter un soutien concret aux associations et collectifs œuvrant de longue date pour le respect des droits des mineurs non accompagnés dans ce département. Dans les deux cas, le constat est le même : le principe de présomption de minorité n'est pas appliqué et la vulnérabilité de ces jeunes n'est pas correctement évaluée et prise en considération au moment de l'évaluation.
Quels sont les sujets qui préoccupent MSF ?
En premier lieu, les évaluations sont conduites souvent au faciès et un premier tri est fait entre les jeunes considérés " manifestement mineurs ", les jeunes " manifestement majeurs " et ceux pour lesquels " un doute " subsiste. Cette pratique du " tri préalable " est illégale et discriminatoire.
Deuxièmement, à l'issue d'une évaluation défavorable, les jeunes considérés majeurs sont remis à la rue. Sans hébergement et devant subvenir à leurs besoins fondamentaux, il est illusoire de penser que ces jeunes pourront faire valoir leur droit au recours.
En troisième lieu, une évaluation de la minorité défavorable ne devrait pas signifier la fin de la prise en charge médicale. Dans les faits, nous avons observé que les jeunes qui ont bénéficié d'un dépistage pendant la période de premier accueil et qui ont été diagnostiqués avec une pathologie n'ont pas tous bénéficié d'un suivi médical. A défaut de prise en charge médicale, leur état de santé s'est dégradé, alors même qu'un diagnostic avait déjà été posé.
Nous avons également constaté que nombre de jeunes pris en charge par MSF n'ont jamais eu accès à un bilan de santé. C'est inacceptable et irresponsable de la part de l'ASE des Bouches-du-Rhône lorsque l'on sait que ces jeunes, du fait de leur parcours de vie et d'exil, constituent un public fragilisé, surexposé aux risques sanitaires et aux troubles psychiques.
Quel est le bilan de cette intervention ?
Depuis le début du projet en 2020, nous avons admis dans notre programme 154 jeunes : ce qui peut paraître un nombre très réduit par rapport aux besoins existants sur le territoire. Cependant, les cas que nous avons pris en charge étaient souvent très complexes et ont demandé un travail conséquent en termes de prise en charge individuelle, mais aussi beaucoup de travail sur les dynamiques collectives. Il ne faut pas oublier que c'est la responsabilité de l'Etat, de la préfecture et du Conseil départemental de protéger ces jeunes étrangers isolés, notamment en hiver.
Depuis 2015, Médecins Sans Frontières apporte une assistance médicale aux personnes migrantes exclues des soins sur le territoire français. En Île-de-France, MSF a ouvert, en 2017, un centre d'accueil de jour offrant une prise en charge pluridisciplinaire à travers 4 pôles : santé somatique, santé mentale, accompagnement juridique et accompagnement social. Le centre a accueilli plus de 3000 jeunes depuis son ouverture. À Marseille, un foyer de 20 places accueille des MNA en recours depuis janvier 2020. Deux foyers de 20 lits à Sevran (Seine-Saint-Denis) accueillent depuis octobre 2020 des jeunes en recours. Un foyer de 10 lits à Bobigny accueille des jeunes filles depuis avril 2021. Au total, depuis 2019, plus de 350 mineurs non accompagnés ont été hébergés avec un suivi pluridisciplinaire par Médecins Sans Frontières et plus de 900 mises à l'abri d'urgence ont été financées.