Ile Maurice: Surenchère de la pension de vieillesse - Enjeux politiques vs conséquences économiques

20 Décembre 2022

Si nos politiciens de tous bords courtisent encore les retraités, promettant toujours plus, la réalité économique est loin d'être aussi simple, accentuant davantage cette spirale où nous dépensons plus que ce que nous produisons. Les allocations supplémentaires à la pension suivant le dernier exercice budgétaire devraient représenter des dépenses additionnelles d'environ Rs 5,3 milliards pour l'État. Quid de l'impact de ces promesses sur la dette publique, le déficit budgétaire ou encore le poids sur les Mauriciens économiquement actifs ?

Sans surprise, les personnes âgées se retrouvent de nouveau dans l'actualité face à la rhétorique populiste habituelle de nos politiciens. Entre qui a le plus augmenté ou augmentera le plus la pension de vieillesse ou encore les voyages à l'île de la Réunion, les quelque 252 727 personnes touchant la Basic Retirement Pension (BRP) sont de nouveau la cible d'opérations séduction. Or, ces opérations représentent un coût pour l'État, ont des conséquences sur la dette publique et finalement peuvent être un poids sur toute la population si elles ne sont pas entreprises de manière économiquement responsable, surtout dans une conjoncture pénible pour le consommateur.

Pour commencer, selon les chiffres de Statistics Mauritius, à novembre 2022, 247 764 personnes âgées entre 60 et 89 ans touchent la pension mensuelle de Rs 10 000, 4 791 personnes âgées entre 90 et 99 ans touchent Rs 17 710 mensuellement et 172 personnes de plus de 100 ans touchent Rs 22 710 mensuellement. Il est d'ailleurs estimé que les Rs 1 000 supplémentaires pour les pensionnaires entre 60 et 65 ans et les Rs 2 000 supplémentaires pour les pensionnaires de plus de 65 ans, comme annoncé dans le Budget 2022-2023, devraient représenter des dépenses additionnelles d'environ Rs 5,3 milliards pour l'État, avec des dépenses sociales estimées à Rs 55,3 milliards pour l'année financière 2022-2023 et Rs 64,9 milliards pour l'année financière 2023-2024.

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De manière générale, il est estimé que les dépenses étatiques pour cette présente année financière seront de l'ordre de Rs 154 milliards. Si le déficit budgétaire, c'est-à-dire les dépenses prévues dans le Budget contre les revenus, occasionné par les dépenses supplémentaires devrait s'élever à près de Rs 23 milliards, il faudra bien générer plus de revenus autrement. Toujours pour cette année, il est prévu que les revenus sur la taxe augmentent par Rs 22 milliards, comptant également sur l'aide de l'inflation.

Si, en général, autre que sa croissance, un État peut temporairement combler son déficit en ayant recours à de la dette, nous avons, nous, au courant des années précédentes, eu recours à divers transferts de la Banque centrale, affaiblissant au passage son capital. Pour cette année financière il est prévu que l'Etat vende ses actifs non performants valant Rs 22 milliards. Donc admettons que ces ventes s'avèrent fructueuses, l'État devrait donc pouvoir financer des dépenses additionnelles cette année, sans davantage exploser le niveau de la dette publique estimé à 86,4 % à juin 2022 par le ministère des Finances et à plus de 100 % par certains économistes.

Cependant, il ne s'agit pas là de revenu généré de manière soutenable à travers la production du pays. L'on se retrouvera donc à la prochaine année financière avec encore une fois plus de dépenses, incluant une surenchère sur la retraite. Aussi, il est prévu qu'en 2038, nous aurons plus de 320 000 personnes âgées de plus de 60 ans, augmentant le montant des dépenses. Les autorités devront donc rivaliser de créativité pour générer les revenus nécessaires, incluant le recours à de la dette alors que 2023 sera tout autant marquée par l'inflation, sans oublier la hausse des taux d'intérêt rendant le service de la dette extérieure plus cher. Dans ce contexte, il serait aussi opportun de mettre en exergue que la population économiquement active, capable de participer à la production du pays, est de 560 800, avec 515 500 Mauriciens ayant un emploi. À savoir que si, en 2014, on comptait 4,6 personnes actives pour contribuer à la pension d'un retraité, ce taux passerait à 2,4 personnes en 2034 et à 1,6 personne en 2054.

Face à des hommes politiques jouant la carte électoraliste sans prévenir ou expliquer les conséquences économiques de ces mesures à la population, il est bon de rappeler la mise en garde des diverses instances internationales. Selon le rapport Mauritius Systematic Country Diagnostic (SCD) Update 2022 de la Banque mondiale, si Maurice dispose d'un système de protection sociale efficace qui a contribué à la réduction de la pauvreté, le coût budgétaire a augmenté de façon spectaculaire au cours de la dernière décennie en raison d'un ciblage insuffisant. La part moyenne des dépenses de protection sociale est passée de 22,2 à 28,2 % des dépenses publiques totales avec 50 % consacrées à la BRP.

Or, prévient la Banque mondiale, la BRP n'est pas un instrument efficace de lutte contre la pauvreté car elle touche également les ménages les plus aisés et représente une utilisation inefficace des fonds publics. Selon le rapport, le taux de pauvreté des personnes âgées de 60 ans et plus n'est que de 4,4 %, alors que le taux de pauvreté des personnes de moins de 60 ans est de 11,7 %.

Passons à présent à l'analyse du Fonds monétaire international (FMI). Pour l'instance internationale, le système de retraite, tel qu'il est appliqué, n'est pas soutenable. Avec le paiement de la Contribution sociale generalisée (CSG) en 2023-24, les dépenses combinées relatives à la pension passeront à 8,4 % du Produit intérieur brut (PIB) alors que les contributions engrangées sous la CSG ne représenteront que 1,5 % du PIB. Aussi, cet écart sera appelé à se creuser avec une population vieillissante, ce qui alourdira le ratio de dépendance des personnes âgées tout en augmentant les finances publiques.

Donc finalement, un déficit budgétaire insoutenable entravera nos efforts pour réduire le niveau de la dette publique et réduit la marge de manœuvre de l'État pour aider ceux ayant le plus besoin de soutien social, ou encore dans sa lutte contre l'inflation en réduisant le poids de certaines taxes, à l'instar de la taxe sur les carburants. Dans le cas où l'État devrait avoir recours à de la dette, cela aura également un impact sur le verdict des agences de notation internationales, indice important pour les investisseurs internationaux.

Face au ralentissement économique à l'international, nos priorités devraient donc rester concentrées sur la relance, la production et la croissance cela afin de protéger l'économie contre les chocs futurs. Entre populisme et réalité économique, qui l'emportera? Au vu des discours du gouvernement comme de l'opposition, autant se préparer aux conséquences...

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