Madagascar: Les faiseurs de " rija " condamnés par les hommes d'Église

N.J. Gueunier mène, dans les années 70, des recherches sur le rija betsileo, genre et style de chansons populaires spécifiques à ce peuple et qui se développent autour de divers thèmes. Il précise néanmoins à l'époque, qu'il est ouvert à toute remarque et à tout conseil.

Certains historiens indiquent qu'il existe plusieurs sortes de chansons traditionnelles de ce peuple, " dont bon nombre ne sont plus ni entendues ni chantées de nos jours pour des raisons multiples ". L'auteur cite notamment la tendance de plus en plus affichée vers les chansons conçues sur des modèles occidentaux et livrés au public par les moyens audiovisuels. Il y a aussi le fait que le rija n'est pas comme le zafindraony qui " a l'avantage de véhiculer le message de la foi chrétienne en des créations musicales originales ".

Dans le rija, la musique et le thème

doivent être conformes à la manière traditionnelle. " Les vocables qui sont venus de fraîches dates enrichir la terminologie de la discipline, ont prouvé leur utilité en servant uniquement de symboles qui n'ont souvent aucun rapport avec le thème de la chanson. " Vocables qui, selon Gueunier, ne sont pas généralement compris par les personnes âgées.

Presque tous les rija sont des chansons d'amants ou d'amantes. La partie débute par des propos alambiqués et allusifs et débouche sur une réflexion profonde. Si l'artiste y arrive, " celle-ci n'est perçue que par les intelligences fines uniquement, car elle revêt une forme voilée, sibylline, à la manière des devinettes ". L'allure générale est celle des kabary (discours), hain-teny et proverbes.

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Le rija obéit à un certain nombre de règles. Dans la première, par exemple, les mots doivent être dits et entendus en même temps que d'autres termes qui lui ressemblent plus ou moins morphologiquement et phonétiquement : " Ny lalana an'Ihosy e ro manolakolaka - Ny apela te-ho roso e ro mamolapolaka "

(la route qui mène à Ihosy fait des détours, la femme qui est prête à partir, se montre difficile). Ensuite, c'est le second vers et non le premier, qui donne naissance à la suite: il est ici fait allusion à la femme qui cache sa bonne disposition à réintégrer le domicile conjugal.

Ainsi, pour respecter cette première règle, il faut répéter les mots prononcés autant qu'on veut, recourir à une figure de rhétorique en comparant deux thèmes ou idées qui s'énoncent et se traduisent différemment parfois : " Vorona an-tananao aho ro maneno- Isaky ny mahatsiahy aho ro mikaika " (Je suis un oiseau captif qui crie dans ta main- Chaque fois que je me souviens, je pousse un cri). Enfin, il faut user de jeux de mots.

Le procédé consiste à juxtaposer deux patronymes, même s'il faut employer du vary amin'anana (langues mélangées). " Ny satro-boanetra ro an-dranomangazay- Zao tsa miboaka eto e havanay izay " (Le chapeau de feutre se vend en magasin- Notre parente ne sortira pas d'ici aujourd'hui).

On peut aussi citer des noms de villes connues de tous : " Ambalavao-Atsimo ro latsaka ambany- Azo omen-tsiny leha tsa afaka androany " (Ambalavao-Sud est au bas fond- Ne m'en voulez pas car je ne pars pas aujourd'hui).

Le rija est essentiellement bâti sur un thème d'amour. C'est pourquoi il a la faveur des jeunes. Les spécialistes du genre s'accompagnent sur des instruments traditionnels, jejo en calebasse ou kabaosy fait de bois blanc. Ils animent les fêtes populaires dans leur contrée, mais ne réalisent que de modestes recettes, car ils n'en font pas leur métier. " Ils sont en réalité des cultivateurs et éleveurs comme tous les villageois. "

Autrefois, dit-on, les hommes d'Église ont été très sévères à l'égard des faiseurs de rija. Si ces derniers ne font pas amende honorable, ils sont impitoyablement rejetés par leur paroisse, " leur art étant jugé incompatible avec la morale et la conduite recommandée par le christianisme ". Il arrive même que l'on va jusqu'à saccager les instruments de musique. " Il est exact que les séances de rija allaient de pair avec les plaisirs charnels, mais c'est un défaut qui naît du cœur de l'homme et non des chansons elles-mêmes. "

Souvent le rapport de dépendance s'établit entre symboles et mots presque homophiques: " L'art met en relief le charme de la diction et la profondeur de la pensée de l'artiste ". Exemple :

" Rano mandeha, ranama, ro any Manakara- Leky mandeha, ko manin'an'afara " (Le courant d'eau, l'ami, est à Manakara- Si tu pars, tu auras le regret plus tard).

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