La situation sécuritaire, humanitaire et des droits humains dans la partie orientale de la République démocratique du Congo suscite l'inquiétude de la communauté internationale et en particulier du Conseil de sécurité de l'ONU.
A l'issue d'une visite RDC en novembre 2022, la Conseillère spéciale des Nations Unies pour la prévention du génocide, Alice Wairimu Nderitu s'est déclarée profondément alarmée par l'escalade de la violence dans la région des Grands Lacs.
Et pourtant, malgré cette sombre situation, des jeunes femmes congolaises ont décidé de prendre leur destin en main et de créer leur propre entreprise. Esther N'sapu, correspondante d'ONU Info en République démocratique du Congo, a rencontré cette année deux de ces jeunes femmes et a brossé leur portrait.
Valoriser les déchets plastiques et leur donner une seconde vie
A Bukavu, la capitale de la province du Sud-Kivu en pleine croissance, en République démocratique du Congo, la gestion des déchets, notamment plastiques, pose de sérieux problèmes. De nombreux déchets plastiques sont jetés dans la rue et dans les caniveaux et se retrouvent dans le lac.
C'est dans ce contexte qu'une jeune femme a décidé de recycler ces déchets en leur donnant une seconde vie.
Nicole Menemene, une entrepreneure de 29 ans, est aujourd'hui à la tête d'une entreprise appelée Plastycor. Plastycor est un établissement commercial qui a vu le jour en décembre 2019 et qui a pour objectif le recyclage, la vente et la valorisation de déchets plastiques en RDC.
" Il faut savoir que, d'un problème on peut chercher une solution, une solution qui peut même être lucrative ", a confié Nicole à ONU Info.
L'idée de créer Plastycor lui est venue lorsque qu'elle voyait les déchets plastiques envahir le Lac Kivu et boucher les caniveaux alors qu'en se rendant dans les pays voisins, elle pouvait voir les gens mettre les déchets dans leurs sacs ou bien dans les poubelles.
" J'étais révoltée de voir les gens garder leurs déchets dans leurs sacs mais lorsqu'ils arrivaient à Bukavu, ils les jetaient sur la route. Ça m'énervait ", dit-elle.
A Bukavu, la jeune entrepreneure collabore avec un réseau local de jeunes qui l'aide dans le ramassage des déchets plastiques (bouteilles en plastique, sachets plastiques, bidons... ) à travers toute la ville.
Grâce aux déchets plastiques collectés, elle et toute son équipe transforment certains déchets en bouquets de fleurs et en tableaux artistiques. Avec les bouteilles en plastique, Nicole fabrique des fauteuils, des étagères, des paniers multi-usage, des murs avec et sans maçonnerie etc. Ces productions sont achetées par des individus mais aussi par des organisations qui sont dans le besoin.
En 2020, environ 18.000 bouteilles plastiques ont été mises en valeur par Plastycor dans la construction d'une maison dans le village de Katana situé à environ 43 kilomètres de la ville de Bukavu.
Pour réaliser toutes ces œuvres, Nicole collabore avec des jeunes filles et garçons de différents quartiers de Bukavu.
" J'aime beaucoup m'entourer des jeunes. Ils sont vraiment dynamiques et créatifs. Alors, j'ai trouvé que c'était plus facile pour moi de travailler avec les jeunes, avec lesquels je peux communiquer facilement ", raconte Nicole Menemene.
" C'est ce que je dis à tout le monde : quand un jeune arrive dans le monde du recyclage plastique, je vais lui apprendre une chose, mais demain c'est lui qui pourra m'apprendre à son tour des choses. Ce travail nous oblige à toucher la saleté à longueur de journée. Et ce n'est pas tout le monde qui est prêt à le faire. Lorsque je vois ces jeunes travailler avec dévouement et sans relâche ça m'encourage! ", ajoute-t-elle.
Les déchets plastiques détruisent l'environnement
A Bukavu, comme dans plusieurs villes de la RDC, la gestion des déchets plastiques est devenue un vrai problème qui est en train de détruire les lacs et les rivières. La centrale hydroélectrique de Ruzizi en souffre et la santé des populations en dépend.
La mairie en charge de cette question est confrontée à plusieurs difficultés, notamment celle liée au manque de finances, sans oublier aussi que la ville de Bukavu n'a pas de dépotoir public.
Pendant la saison des pluies, les conduites d'eau et les caniveaux sont bouchés par les déchets plastiques et par conséquent, les eaux de pluies se retrouvent sur la chaussée et provoquent des inondations.
A ce jour, Nicole travaille encore d'une manière artisanale. Cela ralentit sa production d'autant plus que son entreprise n'a pas encore de gros moyens pour se procurer les machines. Depuis le début de l'année 2022, son entreprise a collecté au moins trois tonnes de déchets plastiques.
Elle appelle le gouvernement congolais à accompagner les jeunes entrepreneurs. Elle appelle également la population à adopter un comportement responsable en évitant de jeter les déchets dans la rue et en achetant les produits recyclés fabriqués localement. La ville de Bukavu n'en sera que plus belle.
Réaliser son rêve d'entrepreneure et servir de modèle à d'autres jeunes
A Goma, dans l'Est de la République démocratique du Congo, des jeunes prennent l'initiative de créer leur propre entreprise, alors que l'accès à l'emploi est difficile et que nombre d'entre eux ne trouvent pas d'opportunité de travail dans leurs domaines d'études malgré leurs diplômes.
Avec le temps, certaines de ces entreprises se développent et emploient d'autres jeunes, notamment des femmes. A Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu, Esther Bishweka fait partie de ces jeunes dont les entreprises ont permis de donner du travail à d'autres jeunes.
Agée de 24 ans, Esther est une jeune entrepreneure qui s'est spécialisée dans le domaine de la restauration après avoir obtenu son diplôme en gestion hôtelière et tourisme à l'université César Ritz en Suisse.
Elle est à la tête de " Kivu Groupe Service ", une entreprise congolaise qui a vu le jour en 2020. Elle est spécialisée dans les secteurs de la restauration, le nettoyage et l'entretien, le commerce de fleurs, le conseil en hôtellerie, le tourisme et le développement commercial à travers ses marques Kivu Eat, Kivu Flowers, Kivu Cleaning et Kivu Consultancy.
Esther a eu l'idée de créer " Kivu Groupe Service " pour contribuer au développement du Congo en tant que jeune femme entrepreneure. " Depuis toute petite, j'ai voulu toujours intégrer le monde des affaires comme mes parents. Je rêvais d'avoir mon propre restaurant et de pouvoir travailler avec d'autres jeunes talentueux de ma génération ", a-t-elle confié à ONU Info.
Aujourd'hui, Esther possède un restaurant dénommée " Kivu Eat " situé au rond-point Signers et à l'aéroport international de Goma. Le restaurant propose également un service de livraison à domicile et possède un menu diversifié qui valorise des produits locaux.
A Goma, la jeune entrepreneure a choisi le nom du " Kivu " pour non seulement faire de sa société une référence au Congo mais aussi changer l'image que les gens ont du Kivu.
" Lorsqu'on parle du Kivu, directement les gens pensent à la guerre, les gens pensent à l'insécurité et à l'instabilité. Je veux que les gens entendent parler du Kivu d'une façon positive. Un Kivu beau où il y a beaucoup de potentiel et d'opportunités surtout entrepreneuriales. Un Kivu où les jeunes sont dynamiques et aspirent au développement de l'économie de leurs villes ", a expliqué Esther Bishweka.
Collaborer avec les femmes
Pour encourager les talents des jeunes, Esther travaille en collaboration avec plusieurs jeunes notamment des filles et femmes de sa région dans différents secteurs. Au total 15 jeunes sont employés par Kivu Groupe Service dont neuf femmes congolaises dont l'âge varie entre 20 et 25 ans.
" Personnellement je crois en la femme. Elle est sous-estimée mais elle est forte, créative et possède beaucoup de potentiel. C'est ce qui me motive à travailler avec autant de femmes ", dit Esther.
Dans son restaurant Kivu Eat, ONU Info a rencontré Nabintu Alice, une jeune boulangère de 22 ans. Selon elle, le fait de travailler dans cette entreprise, lui a permis de mettre en pratique son savoir-faire mais aussi de gagner l'argent pour subvenir aux besoins de sa famille.
Kahindo Grâce, fait partie de ces jeunes qui travaillent dans la propreté. Elle assure la propreté soit des bateaux rapides qui font la navette entre la ville de Goma et la ville de Bukavu au Sud-Kivu ou soit dans certains avions. A travers ce qu'elle fait, elle arrive à se prendre en charge financièrement tout en encourageant les jeunes filles à lui emboiter le pas.
De l'autre côté du lac Kivu, plus précisément à Nyangoma, Esther Bishweka collabore également avec " l'initiative des femmes dans le café cacao " IFCCA, dans le but de favoriser la production et la consommation locale. Environ 45 femmes issues de différents villages aux environs de Nyangoma travaillent dans la plantation de café. Leurs rôles consistent à non seulement pailler le champ de café mais aussi sarcler, ce qui permet de couvrir le sol d'une couche de matière organique mais aussi protéger le sol contre l'érosion.
Pour récompenser le travail de ces femmes, l'entreprise met à disposition un espace où elles cultivent les haricots. Bushashire Zawadi est l'une de ses femmes. Elle est cultivatrice dans son village à Nyangoma depuis plusieurs années. Elle cultive les haricots dans la plantation de café qu'elle revend au marché de Minova au Sud-Kivu.
" Lorsque je travaille dans la plantation, c'est non seulement un moment de cultiver mais aussi un moment de partage et d'échange d'expérience avec d'autres femmes de Nyangoma. Les chants que nous chantons lorsque nous cultivons nous redonnent le sourire mais aussi de la force. Cela me motive car je sais que lorsque je vais récolter, je vais gagner beaucoup d'argent que je vais utiliser pour épargner et subvenir aux besoins de ma famille ", dit-elle.
Le défi d'entreprendre
En tant que jeune entrepreneure qui aspire au changement, Esther est confrontée à un certain nombre de difficultés surtout dans une ville comme Goma, où la majorité d'entrepreneurs sont des hommes qui possèdent plusieurs années d'expériences. Selon Esther, les impôts et les taxes sont les premiers éléments qui fragilisent les secteurs de l'entreprenariat sans compter le nombre des formalités administratives pour obtenir un crédit bancaire. Selon elle, l'Etat congolais devrait plus s'imprégner de tous ses défis qui entourent le secteur de l'entreprenariat pour permettre aux jeunes d'entreprendre et de contribuer au développement de l'économie du Congo.
La jeune entrepreneure espère un jour étendre son entreprise dans différentes villes du Congo sans se laisser intimider par la concurrence. Elle encourage les jeunes, surtout les femmes de sa génération qui aspirent à investir dans le secteur de l'entreprenariat, d'oser et de croire en soi pour réaliser leurs rêves.