Afrique Australe: Accidents maritimes - Maurice en détresse

21 Décembre 2022

Les années se suivent et se ressemblent. Pourtant, après le drame du "Wakashio", on pensait que les autorités seraient mieux préparées. Mais il semble qu'il n'en est rien, alors que le "Yu Feng" s'est échoué au large de St-Brandon, menaçant de provoquer une autre catastrophe écologique. Où est-ce que ça coince ?

C'était vendredi. Lors de sa conférence de presse, le Premier ministre par intérim, Steven Obeegadoo, a dû répondre à une question dans le sillage du naufrage du Yu Feng à St-Brandon. "N'est-il pas temps pour Maurice d'acquérir des équipements de sauvetage (salvage) ?" lui demande un membre de la presse. Steven Obeegadoo explique que la question a été soulevée par le ministre du Shipping, Sudheer Maudhoo. Cependant, cela requiert de gros investissements. "L'argent public n'est pas une poche sans fonds mais c'est une priorité. Il faut agir vite sur ces sujets", avait-il souligné.

C'est également le ressenti des professionnels du secteur maritime, qui affirment que Maurice reste vulnérable face aux pétroliers, vraquiers et autres navires qui utilisent le passage innocent (NdlR, un concept de droit de la mer qui permet à un navire de traverser les eaux territoriales d'un autre État, sous réserve de certaines restrictions).

Sur sa page Facebook, Alain Malherbe, expert en la matière, mentionne l'Ionian Sea Fos, le "salvage tug" qui fut impliqué dans les opérations de sauvetage de l'Angel 1 à Poudre-d'Or, en 2011. À la fin des opérations, la société Five Oceans Salvage (FOS), décide de le positionner en permanence à Port-Louis. "Le propriétaire du remorqueur avait réalisé que Maurice, État insulaire, n'avait aucun moyen de se défendre des accidents maritimes et n'avait aucune possibilité d'intervention rapide afin d'éviter un drame comme celui du Wakashio." Pour Alain Malherbe, les frais portuaires étant exorbitants à Port-Louis, il est difficile financièrement de garder un tel remorqueur en stand-by.

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Mais le 25 février 2021, lors des travaux de la cour d'investigation pour faire la lumière sur l'échouement du Wakashio, Alain Donat, ancien Director of Shipping, et Benoit Barbeau, ancien Ports Master, ont fait mention de l'Ionian Sea Fos. Selon eux, ce remorqueur était en stand-by au port depuis 2011. Si celui-ci n'avait pu intervenir sur le Wakashio, c'est parce qu'il avait obtenu un contrat de remorquage et avait quitté Maurice. Alain Donat avait expliqué que le remorqueur n'a aucun contrat avec le gouvernement mauricien.

Benoit Barbeau abondera dans le même sens. "Le tug appartient à un opérateur privé et il est en stand-by depuis dix ans." Selon lui, si le remorqueur était présent à Pointe-d'Esny, il aurait pu aider à stabiliser le Wakashio car c'était un "designated salvage tug". Les professionnels maritimes sont convaincus que le gouvernement mauricien pourrait bénéficier de l'expertise de ce salvage tug en signant avec la FOS pour que l'Ionian Sea Fos ancré au port donc, ne quitte pas la Zone économique exclusive (ZEE). Dans les milieux concernés, l'on affirme qu'il y avait eu un début de pourparlers mais il n'y a rien de concret dans ce sens.

Désintérêt du gouvernement

Enter ensuite Polygreen. Le 14 novembre 2021, la société grecque s'implante à Maurice. Selon son chairman Athanasios Polychronopoulos, celle-ci compte apporter son expertise dans la gestion des déchets industriels et marins, la lutte contre les déversements d'hydrocarbures et de substances nocives, dans les interventions d'urgence dans l'océan Indien, mais aussi proposer des solutions environnementales durables dans la région.

Polygreen investit donc dans l'achat du Vasileios P, un navire anti-pollution polyvalent, qui est amarré à Port-Louis afin de soutenir les autorités dans le combat contre la pollution marine. C'est ainsi que celui-ci est intervenu lors des opérations concernant le Maan Yu Feng No.1 à Bain-des-Dames le 23 février dernier, et qui consistaient à remorquer le bateau de pêche taïwanais renfloué, jusqu'à l'entrée du port.

La présence du Vasileos P au port a permis au remorqueur de prêter main-forte aux autorités réunionnaises lors du naufrage du Tresta Star sur la pointe du Tremblet, à Saint-Philippe. Cependant, il s'avère que Polygreen a dû rappeler le Vasileos P car il y aurait "un manque d'intérêt du gouvernement pour une solution professionnelle". On parle également d'un investissement de 10 millions de dollars américains pour Maurice et "les promesses jamais tenues par le gouvernement". Des experts font ressortir si un "proper salvage tug" était présent en permanence, il aurait pu intervenir sur les sites de naufrages.

En ce qui concerne le Yu Feng, Steven Obeegadoo a affirmé que Bridge Maritime Company Ltd, une société sud-africaine, a été recrutée par le gouvernement pour la dépollution du bateau de pêche. Elle sera chargée de pomper les 70 tonnes de diesel, 208 litres de lubrifiants et d'enlever les appâts. Une équipe comprenant le salvage master est déjà sur place à St-Brandon pour une inspection générale du bateau de pêche drossé sur les récifs depuis plus de dix jours. Le tug qui sera mis à contribution dans cette opération est basé à Mombasa au Kenya. Selon les autorités, l'opération prendra entre une semaine et une dizaine de jours, dépendant des conditions météorologiques.

Le Dhruv dans tout ça ?

Cette question taraude. À quoi sert le Dhruv ? Pourquoi ne s'est-il pas rendu à St-Brandon? Selon nos informations, il n'existe pas d'infrastructures sur l'archipel pouvant accueillir un hélicoptère. Il nous revient que l'héliport construit au coût de Rs 30 millions à St-Brandon a été détruit par un cyclone. Autre raison : le Dhruv se retrouverait à cours de carburant. En effet, même s'il met le cap sur St-Brandon, il ne pourra pas faire le plein pour retourner car il n'y a pas de réservoir pour le stockage d'essence. Donc, le Dhruv ne pourra pas non plus hélitreuiller des "cubitainers" de diesel comme c'était le cas pour les autres naufrages à Pointe-d'Esny, Pointe-aux-Sables et Bain-des-Dames, entre autres. C'est le Dornier, avion de la National Coast Guard, qui a été dépêché sur le lieu du naufrage à St-Brandon. Steven Obeegadoo a expliqué lors de la conférence de presse vendredi que le Dornier prend entre 3 et 4 heures pour arriver sur les lieux.

Le capitaine en prison

Le capitaine du "Yu Feng" est en détention. Il est provisoirement accusé d'"endangering safe navigation". C'est la même charge qui avait été retenue contre le capitaine du "Wakashio", Sunil Kumar Nandeshwar et de son second, Hitihanillage Subhoda Janendra Tilakaratna. Ils avaient écopé de 20 mois de prison après le naufrage du vraquier japonais. Vu qu'ils avaient déjà passé 16 mois en détention et qu'ils ont bénéficié d'une remise de peine pour bonne conduite, ils sont rentrés en Inde et au Sri Lanka respectivement, fin décembre 2021.

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